Influences (n. fem. pluriel)
  1. Fluide provenant des astres et agissant sur la destinée humaine.
  2. Action exercée sur quelqu’un.
  3. Action exercée sur quelque chose.

Les Influences

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#Mariage pour tous #Patrick Avrane #Psychanalyse #PUF

Ces pères qui nous encombrent

Publié le 29 août 2013 par

Qu’ils soient absents ou présents, ils encombrent leurs enfants. Le psychanalyse Patrick Avrane décrit cette fonction paternelle qui, à l’heure du mariage pour tous, n’en finit pas d’être « incertaine »

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L’idée générale de cet essai interpelle, agace, asticote. Souvent considérés comme étant trop «  absents  », les pères sont ici analysés par le psychanalyste Patrick Avrane par leur capacité à «  encombrer  » leurs enfants. Un encombrement parfois réel, lorsqu’il s’agit de régenter la vie de leur progéniture, mais qui est ici surtout étudiée sous l’angle symbolique.
Qu’il soit trop présent, ou au contraire trop absent («  incertain  », ou dans la «  dérobade  »), un père sera de toute façon encombrant. Pour le démontrer, le psychanalyste s’appuie sur une multitude d’exemples tirés de ses échanges avec ses analysants mais aussin piochés dans la littérature. Autant de cas qui viennent nous rappeler l’importance du rôle de «  guide  » qu’incarne le père. «  La fonction paternelle, toute partagée qu’elle soit entre les parents, n’est pas uniquement de reconnaître, mais de guider. Indiquer une direction permet de la suivre comme de s’en écarter, dans tous les cas de situer son désir (…)  », prévient Patrick Avrane.

Pères incertains, célèbres, «  idoles  », «  canailles  »…

Parmi les exemples évoqués, il s’est penché sur les écrits et la bio de l’écrivain Patrick Modiano, qui n’a jamais pu rencontrer son père et aura passé sa vie à tenter de combler ce manque : «  J’avais besoin de points de repère, de noms de stations de métro, de numéros d’immeuble, de pedigrees de chiens, comme si je craignais que d’un instant à l’autre les gens et les choses ne se dérobent ou disparaissent.  » Car quand le père «  se dérobe  », il faut bien lui trouver une figure de remplacement. Et généralement, «  la dérobade du père laisse la place à tout ce qui tente de s’y substituer  », affirme le psychanalyste avant de conclure : «  Mais se promener dans la vie avec des annuaires, des bottins, des plans, des guides, des atlas ou des portulans, cela encombre.  » Euphémisme.
Autre père « encombrant » et ô combien emblématique, si ce n’est totémique : Sigmund Freud, père de la psychanalyse, qui a réalisé l’analyse de sa propre fille Anna. «  Il n’y a de place pour aucun autre homme dans la vie d’Anna Freud, pas uniquement parce que Sigmund Freud les éloigne. Son père, plus qu’encombrant, occupe tout l’espace.  » Ainsi, personne ne semble épargné. Interview.

LesInfluences.fr : Comment éviter d’être un père « encombrant » ?

Patrick Avrane : Un père n’est pas encombrant si lui-même n’est pas encombré par sa paternité. Il peut s’agir du père trop autoritaire, trop copain, du père qui se défile… Le problème, d’ailleurs, est moins celui du père que celui de l’enfant qui doit trouver un père qui est capable de répondre aux questions, et de prendre les décisions qui lui incombent, bien entendu en partage avec la mère.

LesInfluences.fr : Comment expliquer qu’un père, plus qu’un autre, puisse devenir ainsi ?
Patrick Avrane : Cela peut s’expliquer par un problème dans la transmission de la paternité. Le père lui-même peut avoir eu un père absent par exemple. Cela peut aussi être lié au manque d’intérêt pour la paternité, ou par le fait qu’il ait été père «  par hasard  »… Comme dans le cas de Jules Verne qui n’était intéressé que par la célébrité… et qui a été un piètre père. Concernant les pères trop présents, ils ne sont encombrants que si tout tourne autour de leur enfant, que s’ils n’ont pas de recul sur leur paternité, et ne la partage pas avec une mère. Un père est d’abord un homme, il ne doit pas avoir que ce seul souci. Pour certains, l’enfant est le but de leur vie.
«  Il s’agit de mettre à mort ce que le père incarne à un moment donné, de se séparer de ses attentes, désirs et souhaits, de façon à choisir sa propre route.  »

LesInfluences.fr : Vous expliquez que la mort du père peut-être moins problématique que lorsqu’il «  se défile  ». Pourquoi ?

Patrick Avrane : Quand il se défile ou est incertain, on peut dire qu’il n’y a personne en face, pas de présence. Mais lorsqu’il s’agit d’une mort, un travail peut s’effectuer : le deuil. Une autre personne peut aussi occuper cette place de père. Le risque est qu’une fois le père mort, une image idéale de lui, généralement entretenue par la mère, subsiste… Dans ce cas, l’enfant ne pourra jamais le mettre à mort, symboliquement s’entend. Il s’agit donc de mettre à mort ce que le père incarne à un moment donné, de se séparer de ses attentes, désirs et souhaits, de façon à choisir sa propre route. Le père, dit-on, incarne la Loi, mais c’est aussi sa loi, elle n’est pas universelle, c’est de celle-là dont l’enfant doit se séparer. Sinon, il rencontrera des difficultés à se créer ses propres idéaux. Et lorsque l’idéal repose sur une personne réelle, même décédée, il est plus facile de prendre ses distances que lorsqu’il repose sur une personne évanescente, incertaine. Par ailleurs, lorsque l’on parle de «  père  », il s’agit plus d’un rôle, d’une fonction, que du père en lui-même. La mère peut également l’incarner.

« N’importe quel enfant va chercher une autre figure que le père lorsqu’il disparaît… Mais oui, une mère peut également endosser ce rôle « 

LesInfluences.fr : Le rôle du «  père  » peut-il être endossé par la mère, notamment dans le cadre des familles monoparentales ?

Patrick Avrane : Les mères strictes oui. Mais souvent les mères trouvent un autre compagnon… qui peut lui aussi incarner cette fonction. On parle alors en psychanalyse de «  transferts latéraux  ». Ils peuvent aussi avoir lieu avec des professeurs par exemple. N’importe quel enfant va chercher une autre figure que le père lorsqu’il disparaît… Mais oui, une mère peut également endosser ce rôle. Les fonctions peuvent se répartir autrement, et de plus en plus aujourd’hui, où quelque chose est en train de se rompre. Avant on considérait que le père était incertain, mais la mère toujours certaine, parce que l’on voyait qui mettait au monde. Aujourd’hui, même si les familles concernées sont peu nombreuses, quelque chose a changé : avec les tests de paternité, il est possible de vérifier que l’on est bien le père. Tandis que la mère, qui est-ce : celle qui met au monde ? Celle qui a fourni l’ovule ? C’est à la loi, c’est-à-dire au symbolique de trancher.

LesInfluences.fr : A l’heure du «  mariage pour tous  », l’absence du père ou le fait d’avoir deux pères, ne risque-t-il pas de les rendre plus «  encombrants  » encore ?

Patrick Avrane : Pas nécessairement. Dans le cas d’un couple de femmes, cela dépend de l’attitude de chacun à l’égard de la séparation entre ce qu’on appelle «  la fonction paternelle  » et le «  père géniteur  ». Et dans le cas d’un couple d’hommes ce serait plutôt la fonction maternelle qui pourrait être problématique. Le désir sexuel d’un adulte ne conditionne pas la capacité d’être père, ou mère.

LesInfluences.fr : Ne serions-nous pas en train de rompre avec le «  père freudien  », omniscient, omniprésent, puissant et autoritaire ?

Patrick Avrane : En effet. Le père freudien est le «  pater familias  », celui du code civil. Mais il ne faut pas oublier que la famille d’aujourd’hui ne date que du Xe ou du XIe siècle. L’autorité qu’on lui attribue n’a pas toujours été aussi présente. Les enfants n’ont pas toujours pris le nom du père, longtemps ils n’avaient qu’un prénom. Cependant, cette image du père puissant est toujours très présente aujourd’hui, et très importante, car il en faut bien une qui incarne la Loi ou l’autorité. Mais le père ne fait pas que punir, il est la personne à qui l’on peut dire «  non  », ou encore : «  Je ne prends pas la même route que toi.  » Il est important pour un enfant de se cogner, de se heurter. Si l’enfant ne peut pas se confronter, il aura du mal à se construire, à savoir ce qui est bien pour lui. Dans l’exemple de l’écrivain Patrick Modiano, qui n’a jamais pu rencontrer son père, il a fallu qu’il parte à sa recherche… Ce qu’il raconte dans ses livres.

LesInfluences.fr : Sigmund Freud a été l’analyste de sa fille Anna. Mais un enfant peut-il (doit-il), tout dire à son père ?

Patrick Avrane : Qu’est-ce que signifie «  tout dire  » ? On ne se dit déjà pas tout à soi-même… On ne peut pas être surpuissant ou omniscient. C’est le paradoxe de la psychanalyse qui est fondée sur une pratique du “tout dire“. Le problème, dans le cas d’Anna Freud, est qu’il y a eu confusion des rôles. Son père a incarné le savoir. Elle est donc restée dans une position dogmatique à l’égard de la psychanalyse, heureusement réfutée par d’autres psychanalystes, tels que Mélanie Klein.
Donc le «  tout dire  » reviendrait à considérer qu’une seule personne a le savoir : le père donc. Mais ce n’est pas le cas. Un père ne doit pas demander à son enfant de tout dire non plus ! Son rôle est de poser des questions, mais absolument pas d’exiger des réponses… Au risque d’en recevoir des fausses. L’enfant a besoin de son propre monde, de son propre espace fantasmatique pour se construire. Et là, le père ne doit pas l’encombrer.
 »

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