Influences (n. fem. pluriel)
  1. Fluide provenant des astres et agissant sur la destinée humaine.
  2. Action exercée sur quelqu’un.
  3. Action exercée sur quelque chose.

Les Influences

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#Alstom #Areva #EADS #Etats-Unis #Le Rhéteur cosmopolite #Leadership américain #Michelin

EADS, porte-parole de la grandeur américaine – en vain.

Publié le 25 février 2011 par

EADS se plaint. EADS a raté le contrat des avions citernes. EADS a manqué la belle occasion. Pas moi. Décryptage de sa stratégie rhétorique.

(Source Klincksieck)
(Source Klincksieck)
D’abord, un peu de philo : «  Hasard et Occasion gouvernent la totalité entière des affaires humaines  » s’amuse à dire Platon dans les Lois[[Platon, Lois, IV, 709b (Œuvres complètes, XI, édition d’Édouard des Places, Paris, Les Belles Lettres, 2003).]]. A quoi Aristote, l’œil rivé sur la politique plus que sur «  les lois  » ajoute à ce couple un troisième moteur : la «  technique rhétorique  », abrégée en «  rhétorique  » qui, pour les Grecs et au dam de Platon, était le vrai nom de la politique, y compris du commerce – Athènes était un empire commercial, on ne doit jamais l’oublier.

Où veux-je en venir ? A la manière dont nos grandes entreprises nationales parlent hors de France, pour jongler avec le hasard et l’occasion, leur tournemain, comment nos joyaux de l’industrie et de l’innovation, dont vous et moi sommes en partie propriétaires, se font le porte-parole de pays étrangers, font l’amour à l’étranger. A ce sujet Oscar Wilde aurait dit à André Gide: «  Nous démoralisons  ». Il voulait dire : nous ruinons leurs mœurs. AREVA, EADS et Cie «  démoralisent  » la France. Gide, lors de ces mêmes orgies algéroises, remarquait aussi qu’on a toujours grand mal à comprendre comment les autres font l’amour[[Dans Si le grain ne meurt, me semble-t-il.]]. Eh bien, on voit et on comprend rarement comment nos compagnies nationales font donc l’amour à l’étranger. Sauf à en être, soudain, le témoin, comme ce fut mon cas.

Car, voilà qu’un jour, l’an dernier – puisque je suis cette affaire pour mon prochain livre Capitol Rhétorique[[Éditions François Bourin.]] – en ouvrant un quotidien de Washington, Politico, je tombe sur une réclame en pleine page, avec ce titre :

«  UNE QUESTION DE LEADERSHIP AMERICAIN  »

La réclame en question est payée par une volée de compagnies qui adressent, au nom de lʼAmérique (excusez du peu), trois questions au Congrès et au Président afin de résoudre l’énigme du titre :

*«  Quand lʼAmérique va-t-elle être maîtresse de son énergie, donc de sa sécurité ?  »

*«  Quand lʼAmérique va-t-elle se remettre sur les rails en créant des emplois liés aux énergies nouvelles ?  »

*«  Comment lʼAmérique va-t-elle vraiment protéger ses ressources naturelles ?  »

Somme de ces questions : «  Il y va du leadership américain dans le monde  ».

Je bâille et m’apprête à tourner la page quand mon regard tombe sur les logos des compagnies qui en appellent au leadership planétaire des États-Unis, comme à Alger le regard de Gide tomba sur l’arrière-train d’un dénommé Daniel besognant son jeune Ali. Et, là, au milieu de General Motors et autres Honeywell, je vois : AREVA, ALSTOM, MICHELIN.

A ce ban et à cet arrière-ban de la fine fleur de nos industries il ne manque qu’EADS. Mais notre grand procureur d’armes[[La France est actionnaire majoritaire par la SOGEADE (Société de gestion de l’aéronautique, de la défense et de l’espace). Les ventes d’armes représentent 30% des revenus d’EADS. Quand ces armes tuent, vous et moi sommes donc pourvoyeurs de mort.]], depuis des mois, achetait (j’ai vérifié aussitôt) de pleines pages dans Politico, au point quʼavec les publicités du lobby des pêcheries («  Sauvons le poisson-chat américain  ») EADS servait de pompe à finance pour ce journal. Son absence de cette page tapageuse est donc toute relative.

De fait, les réclames propres à EADS, magnifiques au demeurant, faisaient partie dʼune stratégie lobbyiste pour arracher au Pentagone le juteux contrat des avions-citernes, toujours à sec. Que ses publicités nous montrent des hélicoptères de combat glorifiés à la manière de tableaux de Primitifs italiens (ciel bleu tendre, terre rose céleste, fuselage doré divin), qu’elles offrent au regard des avions de chasse photographiés comme de luxueuses montres de haute horlogerie, ou qu’elles exhibent des pilotes et mécaniciens gominés et campés tels des Grands d’Espagne de la 1ère classe, que ces réclames soient si belles, si léchées, si esthétiques quʼon en oublie qu’elles vantent des engins et des agents de massacre et de mort, passe encore – mais que toutes ces réclames portent en bandeau, comme un cri du cœur, un appel au destin, une profession de foi : «  NOUS REPONDONS PRESENT A L’APPEL DE L’AMERIQUE  » – alors je m’interroge et je me dis, comme Gide, qu’on a souvent grand mal à comprendre comment les autres, ici nos «  grandes compagnies  » font l’amour à l’étranger.

EADS ? LʼEADS de Monsieur Gallois, répond présent à l’appel de l’Amérique? En sus d’AREVA, ALSTOM et MICHELIN qui se mêlent de définir et de proclamer le «  leadership américain  » ? Je reste interloqué, je me répète que «  Hasard et Occasion gouvernent la totalité entière des affaires humaines  ». Mais je vous mets au défi d’avoir jamais eu vent de ce micmac rhétorique en France.

Piqué au jeu, je consulte à nouveau Politico un ou deux mois plus tard et je tombe sur un placard publicitaire, un centerfold, comme on dit. Naguère le centerfold, la double page du milieu, là où sont les agrafes, était le sanctuaire des pin-up à la lingerie dégrafée. Désormais la page titillante est pour l’armement. Il s’agit une nouvelle fois d’EADS.

En centerfold donc, un hommage avionique au bleu dʼYves Klein. Le publicitaire a du génie. La réclame, pour séduire les sénateurs américains, est somptueuse : bleu intense, bleu Klein, avec quatre ailes. Mais, mieux encore, le slogan, le cri de guerre, lʼâme (comme on dit en emblématique) est «  GET REAL  ». Traduction : lʼavion-citerne franco-européen KC-45 aidera lʼAmérique à devenir «  réelle  ».

On admire le patriotisme américain dʼEADS : lʼAmérique, grâce à la citerne volante, maintenant envolée, deviendra «  réelle  », mieux «  get real  », bref «  se saisira du réel  ». J’appelle cela une haute trahison car si les USA se «  saisissent du réel  » grâce à EADS, nos jours sont comptés. Dieux merci, le coup a raté, et ce contrat de traître leur a échappé.

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