Il a le mérite bling-bling
Publié le 14 octobre 2009 par Rédaction LI
Jean Sarkozy n’a qu’un mérite, mais il est de première importance dans la société contemporaine : il est connu et visible dans les médias. C’est le « mérite bling-bling » selon l’expression du philosophe Yves Michaud qui tente d’éclaircir la notion de mérite, de plus en plus obscure dans ses intentions comme dans ses applications.
Jean Sarkozy, 23 ans, a t-il fait ses preuves pour mériter la présidence de l’établissement public qui gère le site de la Défense ? L’anecdote qui a fait le tour du monde et provoqué le ricanement généralisé des médias internationaux – Chine comprise- repose une question lancinante et plutôt universelle, même si en France elle revêt une acuité particulière avec le modèle de la méritocratie républicaine.
Egalité des chances, reconnaissance, ascenseur social, droits fondamentaux et spécifiques… Le bon vieux mérite républicain renaît de ses cendres dans le débat public. En témoigne la publication, cette rentrée, d’un essai stimulant et qui rencontre son petit succès d’estime, « Qu’est ce que le mérite ? » (Bourin Editeur) du philosophe Yves Michaud. Question ultrasimple en apparence, et même vignette d’Epinal, et pourtant véritable casse-tête conceptuel lorsque le mérite se frotte au principe d’égalité, autre conception très puissante de la république française.
Un imposant livre collectif de philosophes et d’anthropologues, sous la direction d’Alain Caillé et de Christian Lazzeri, intitulé « La Reconnaissance aujourd’hui » (CNRS Editions) vient renforcer cette réflexion.
Le mérite déborde l’actualité. La courte présidence de Barack Obama méritait-elle autant d’excès de Nobel ? Ces élèves méritent-ils d’être rétribués pour ne pas s’absenter durant leurs cours ? Qui mérite réellement le Goncourt dans le jeu des prix littéraires ?
Le socle méritocratique de la république est un ciment délité. « Notre conception des actions méritoires n’a plus d’éthique et est strictement individualiste », énonce Yves Michaud.
People et mérite
Revenons au jeune Jean Sarkozy. C’est un mutant du mérite. Une nouvelle catégorie de mérite est née, et est en passe de supplanter toutes les autres affirme Yves Michaud : le « mérite bling-bling »
« La pipolisation » accrûe dans la société médiatique a créé une nouvelle catégorie du mérite : le mérite de la visibilité, explique le philosophe à ideeajour.fr. Une nouvelle élite se constitue qui n’a que le mérite d’être célèbre et d’occuper de la place dans les médias. C’est une méritocratie qui se réinvente, et m’intéresse beaucoup, en tant que philosophe. « Tu es méritant, combien tu gagnes ? » ou « Tu es méritant, comment es-tu visible ? » : Aujourd’hui on est en admiration pour un méritant qui est dans Paris-Match. Et nous sommes nombreux à cultiver cette fascination. »
« Je prône des vertus antiques comme l’estime pour soi ou pour les autres. Après tout, pourquoi ne réhabiliterait-on pas l’éthique ? Ce serait le début de la dignité. « On aimerait pouvoir dire « A chacun ses mérites ? Non ! A chacun selon la dignité de sa vie », explique Yves Michaud. Mais qui sait encore mesurer la dignité, et d’ailleurs qui s’en soucie ? » Il faudrait le demander au jeune Jean Sarzozy.