Know Hope : l’espoir comme étendard
Publié le 10 mars 2015 par Jean-Luc Hinsinger
Si la notion d’« art contemporain urbain » implique plasticité, inventivité, questionnement, on pense à une poignée d’artistes, dont Know Hope fait indéniablement partie.
Né en Californie en 1986, il s’en éloigne lors de sa dixième année. Il vit depuis à Tel Aviv, havre économique et culturel régulièrement troublé de stridentes sirènes d’alerte. Adolescent, face aux disputes de ses parents, déchirés par un amour finissant, il se réfugie dans la rue, le skate et le graff… Intimes blessures.
Passionné de dessin et de peinture, Adam Yekutieli, n’a pas vocation à être artiste. Pourtant sa prestation à l’exposition de fin d’année universitaire, section art, préfigure parfaitement ses créations futures.
Dans un premier temps, il colle dans l’université des affichettes porteuses d’une simple phrase comme : « Il est si bon de se sentir désiré. »
Dans un deuxième temps, il récupère les adresses personnelles des élèves et leur envoie un courrier totalement anonyme renfermant cette même affichette.
Adam laisse libre cours aux perceptions, ressentis, imaginations, des destinataires. Ceux-ci ne devant être influencés par aucun élément signifiant, y compris une signature ou un nom d’expéditeur.
Dans l’exposition, à chaque phrase sera joint un visuel. L’image accompagnant « Il est si bon de se sentir désiré » : une prostituée en attente d’un client…
C’est cette ambivalence que l’on retrouve dans le nom qu’il utilise – au moins temporairement – pour ses travaux artistiques, un énigmatique Know Hope, à la sonorité déroutante, jouant sur l’« espoir » ou le « dés-espoir ».
Ignoring enemies is the best way to fight / Jenny Holzer
De sa jeunesse américaine, son esprit est imprégné d’images fortes. Celles de Raymond Pettibon, plasticien et musicien, qui excellait dans la cohabitation entre imagerie inspirée des comix et textes décalés, déstabilisants.
À la manière d’autres artistes américains, Jenny Holzer ou John Fekner, acrobates truistes et jongleurs sentencieux, il graffe ici ou là, quelques syllabes ou courtes phrases sibyllines, bouteilles lancées aux vagues des passants. Il dessine des mots aux maux, les panse de ses pensées…
Don’t carry the world upon your shoulders / Lennon-McCartney
Inspiré par le colosse barbu Shel Silverstein, auteur-compositeur pour Mick Jagger ou Marianne Faithfull et grand poète et illustrateur jeunesse au dessin simple, clair et expressif, Know Hope crée un personnage récurrent, longiligne aux yeux clos, privé de parole, aux membres étirés et longs doigts fins. Celui-ci, silencieux mais actif, se débat sans relâche avec les intégrismes, les idéologies, les sectarismes, culpabilisé par la vision de ce monde déchiré, tel Sisyphe il pousse inlassablement son rocher…
Nulle interférence avec le conflit qu’il côtoie depuis son arrivée à Tel Aviv. Know Hope ne connaît pas d’ennemis, seulement des femmes et des hommes en souffrance, porteurs de vides à combler, en quête de paix et de vie harmonieuse.
On ne voit bien qu’avec le cœur.
L’essentiel est invisible pour les yeux / Antoine de Saint-Exupéry
Le langage pictural de Know Hope tourne autour de symboles aussi identifiables que complexes, appartenant à un patrimoine culturel commun.
Le cœur, rouge, unique touche colorée. Sur la poitrine, c’est le cœur fardeau qui nous renferme sur nous-mêmes, notre histoire, notre passé… c’est le cœur que le combattant frappe de son poing en signe d’appartenance, de victoire, d’égocentrisme…
Know Hope préfère l’avoir sur la main, formellement sur le bras, en guise de partage, de tolérance, de fraternité !
L’arbre. Totem de sagesse et d’épanouissement, sous la main de l’artiste, il peut être forêt dévastée ou embrasée. Les troncs tantôt partiellement évidés d’un manque à combler, ou découpés, débités, posés en cercle de protection d’un espace vide, en traduisent la vanité, la vacuité !
L’oiseau, libre de toute attache, survole les territoires, porte en son bec un lien apte à recoudre les déchirures et à estomper les cicatrices.
Le drapeau blanc, oublieux du poids de l’histoire, des malentendus entre les peuples, des couleurs identitaires, hélas trop souvent poussiéreux et troqué pour des arguments belliqueux et nationalistes…
J’espère pouvoir apporter du baume au cœur,
tout en reconnaissant être pétrifié par l’état d’un monde
dont je reste secrètement amoureux / Know Hope
En galerie, les palettes, tubes de peinture, pinceaux deviennent matériaux de récupération…
Know Hope récupère des éléments épars livrés à la rue, bouts de bois, cartons, verre, débris de chantier. Le tout (r)assemblé, cloué, vissé, attaché, cousu… Un monde en reconstruction…
Depuis 2009, de Los Angeles (The Times Won’t Save You, This Rain Smells of Memory / The Weight) à Londres chez Lararides (The Abstract and the Very Real), de Tel Aviv (Things That Stand Between) à Djerbahood, et enfin pour sa première en France, à Paris chez Openspace, ses expositions sont prétexte à des installations narratives, allégories d’une plongée introspective au parfum d’universalité.
http://www.thisislimbo.com/
Talent « Know Hope, le cœur sur la main » dans Graffitiart n°18, 2013.