Influences (n. fem. pluriel)
  1. Fluide provenant des astres et agissant sur la destinée humaine.
  2. Action exercée sur quelqu’un.
  3. Action exercée sur quelque chose.

Les Influences

Filtré pour vous : L'actualité politique et intellectuelle

#François Hollande #Le Rhéteur cosmopolite #Lucien de Samosate #Nicolas Sarkozy #Société américaine de philosophie

L’oie, notre nouvel emblème national

Publié le 14 juin 2012 par

(Source Klincksieck)
(Source Klincksieck)
J’ai voté dimanche soir pour le 2e tour. Par une de ces ironies de la rapidité électronique les Français qui sont expatriés (un vocable ancien que je revendique comme un titre de noblesse) pouvaient voter pour le second tour dès le mercredi précédant le 1er tour. Il fallait la dernière mise à jour Java et même si le Mac n’aime pas la java (quoi qu’on en dise du côté du Balajo) j’avais résolu la compatibilité et j’avais même pu voter, depuis le Mexique, dès le 23 mai pour le 1er tour. Autant dire que grâce à l’électronique, loin de voir le temps s’abolir dans l’instant, je disposais de tellement de temps que je pouvais me décider avant même d’être importuné par les campagnes de propagande des personnages souvent cocasses (ah, quelle galerie !) qui, à l’étranger, réclamaient nos précieux votes dans cette manipulation électorale, tellement dans le goût du président déchu et de son équipe de pieds-nickelés. Bref, je suggère d’étendre ce système électronique aux Français résidents en France et dans les anciennes colonies, y compris la Corse et Saint-Barth, et qui pourront ainsi voter trois semaines avant le jour des élections «  papier  », en se moquant des pubs électorales. Comme cela nous aurons résolu la quadrature du cercle de l’irrationnel électoral. Ce que je vous raconte est une Histoire véritable. (L’explication des italiques arrive).

Revenu du Mexique, je suis allé à Philadelphie et jʼai rendu visite à la Société américaine de philosophie, dans une demeure de style colonial, à peu près dʼépoque. «  A peu près  », mot clef : la plupart des lieux dits «  historiques  » aux Etats-Unis sont des faux, comme les palais tsaristes autour de Léningrad refaits en béton doré sur tranche par les moujiks de Staline, où tout est faux et archi-faux, comme les fameuses « chaussettes de lʼarchiduchesse sont-elles sèches ou archi-sèches » – les guides, à force de répéter la même chansonnette, que tout cela est vrai de vrai de vrai, vous finissez par ne plus faire fourcher votre langue sur ce qui est, en fait, une fiction. En Amérique, dʼautres lʼont dit avant moi, lʼart du simulacre est élevé à une rhétorique dʼEtat concernant sa propre Histoire. Lentement mais sûrement nous lui emboîtons le pas : regardez autour de vous ce que la folle dépense publique a fait de nos vrais quartiers, des décors de cinéma ; et du parlement, siège de la Souveraineté.

Donc, au moment où jʼallais, sous une averse de printemps qui enluminait les cerisiers en fleurs, pousser la porte de la vénérable Société américaine de philosophie (1743), pour saluer l’amie qui la préside, je me fis cette réflexion, philosophique cela sʼentend, sur les fictions nationales : à savoir que le rhétoricien ancien Lucien de Samosate avait écrit deux textes sur lʼhistoire, précisément. Le premier, Comment on écrit lʼhistoire, sʼen prenait au défaut majeur des historiens, vouloir donner du «  relief  » aux choses – Lucien connaissait de première main ces techniques de marketing, lui qui était un haut fonctionnaire de Marc-Aurèle, et un Syrien rompu au bagout du bazar. Le second, un récit abracadabrant de voyage en aéronef (au IIe siècle après l’Incarnation !), qu’il intitule … Histoire véritable. Bref vous avez saisi : la fiction est jugée vraie, et le récit historique, faux. Mais alors ? Alors : dans le Comment on écrit lʼhistoire, Lucien explique, la bouche en cul de poule, qu’un bon historien doit être comme un bon miroir, c’est-à-dire un reflet exact et bien centré. Donc : une reconstruction historique (même partielle, ainsi, l’Elysée dans la très niaise photo officielle du troisième quinquennal) est «  historique  » dans la mesure où elle donne un reflet exact du monument disparu. Mais elle est fausse.

A Philadelphie, la petite bâtisse besogneuse où se loge lʼimprimerie de Benjamin Franklin («  Ben  » pour les Américains…imaginez que nous disions «  Max  » pour Robespierre et vous mesurerez l’abime qui sépare nos deux Républiques), le fondateur de la Société, est la reproduction exacte de la vraie, mais ni au même endroit ni avec quoi que ce soit d’origine, pas même la presse; elle est donc une fiction mais aussi une «  histoire véritable  » qui sert à l’édification populaire et au mythe national américain de la toute puissance du journalisme (je fais régulièrement mes dévotions au bar du National Press Club, qui est effectivement un temple à la liberté d’expression).

En me tenant ce soliloque, «  car ne je puis rester muet quand je me vois entouré de gens qui racontent tout et n’importe quoi  » (Lucien de Samosate), je pénètre dans le hall d’entrée, style Directoire, de ladite Société. Je salue la réceptionniste, que je semble déranger, et, pour m’encadrer, je lui annonce que je suis un «  French philosopher  ». Elle s’exclame : «  Mais ici nous faisons de la Natural Philosophy  ». Moi : «  Je ne vous en tiens pas rigueur  », et je lui demande où sont les toilettes pour m’y soumettre à cet appel de la Nature. J’aime beaucoup voir les cabinets privés des clubs et sociétés, où le commun des mortels n’est pas admis. On y voit la culture. En refermant donc la porte en acajou de la restroom (idée subtile quʼaux toilettes on fait des restes qui vous reposent – rest ), une autre idée philosophique me vient à l’esprit : en suivant le raisonnement de la dame il y a donc face à face, ou dos à dos, la «  philosophie française  » et «  la philosophie naturelle  », comme les toilettes Messieurs et Dames. Et, pour avoir entendu son ton scandalisé, les deux sont antithétiques. Une porte ou l’autre.

Pour me racheter, je lui demande si je peux visiter l’exposition sur Darwin. Quelques jolies vitrines, des objets, des lettres, des documents du grand Charles. Mais quelle nʼest pas ma stupeur de voir une oie, une oie photographiée, une oie bizarre. Je me penche et je lis qu’il s’agit d’une oie aux ailes inversées, race quʼun ami fermier de Darwin, dans le Missouri, avait manipulée génétiquement. C’est stupéfiant : s’il existe une French Philosophy et une Natural Philosophy, il existe aussi des oies aux ailes d’avant en arrière, et des oies avec des ailes d’arrière en avant. Serait-ce que Descartes-Derrida sont des oies pas nature, avec des ailes à l’envers, tandis que Bacon-Dewey sont des oies nature ? Ma perplexité s’intensifie quand je me rappelle que les palmipèdes sont les seuls oiseaux qui ne peuvent pas reculer (essayez donc de reculer avec des palmes de plongée !). Donc, une oie qui ne peut pas reculer et qui a des ailes inversées est condamnée à ne pouvoir que marcher devant, ou voler du derrière … non, cela nʼest pas même possible car pour s’envoler il faut prendre son élan et, si les ailes sont à l’envers, il faut donc que la bête recule pour accélérer, et comme un palmipède, telle la Garde à Waterloo, ne recule pas, l’oie se plante. Aporie de l’oie. Aporie politique.

Je termine ma visite et remercie la dame mais, me ravisant, je m’enquiers : «  Mais où est le vrai bâtiment de la Société ?  » Elle me toise et lâche : «  Au coin de la rue  ». C’est le musée. Qui lui-même a été reconstruit.

Vous voyez bien, dès qu’on entre dans la fiction d’une « histoire véritable », il n’y a pas moyen de reculer, comme une oie. Mais si on est, en plus, un French philosopher, pas moyen non plus de prendre son élan. Alors que fait-on de cette aporie ? Eh bien, on la pèse, comme le voulait Derrida ; ou, comme le disait Descartes : on y pense. Ce qui est exactement la même chose, naturellement. Et on se prend à méditer sur les technologies rhétoriques qui, de subterfuge en subterfuge, remplacent le vrai par du faux plus que vrai et peuvent aller, comme les ailes à l’envers, jusqu’à dire le contraire que ce qui fut, lequel devient, grâce au «  relief  » de la propagande et des idées imposées par ces mêmes technologies, non pas une opinion reçue mais une opinion recevante[[Dans mon Hyperpolitique, une passion française (Klincksieck, 2009)]] . L’aporie de l’oie fut l’aporie de M. Sarkozy. Ne pouvoir ni avancer, ni reculer. Et c’est déjà celle de M. Hollande dont les ailes sont à l’envers. L’oie remplacera bientôt le coq comme volatile national.

Je m'abonne ! Partage Twitter Partage Facebook Imprimer

Laisser un commentaire

Ce site web utilise ses propres cookies et ceux de tiers pour son bon fonctionnement et à des fins d analyse. En cliquant sur le bouton Accepter, vous acceptez l utilisation de ces technologies et le traitement de vos données à ces fins. Vous pouvez consulter notre politique en matière de cookies.   
Privacidad