Influences (n. fem. pluriel)
  1. Fluide provenant des astres et agissant sur la destinée humaine.
  2. Action exercée sur quelqu’un.
  3. Action exercée sur quelque chose.

Les Influences

Filtré pour vous : L'actualité politique et intellectuelle

«  La nature allume des lumières dans nos têtes  »

Publié le 2 novembre 2018 par

logo-caoua_-_copie.jpg Paradoxe, alors qu’une industrie s’inspirant de la nature est en train de se développer, le changement climatique et le saccage de la planète détruisent le plus grand gisement naturel d’idées.

Par Julien Tarby

Innovation. «  Ces vers marins m’intriguaient parce qu’ils parvenaient à vivre à l’air libre durant six heures, en attendant la marée suivante …  » Le docteur Franck Zal, spécialiste de l’hémoglobine des invertébrés marins et cofondateur en 2007 de la start-up Hemarina, a eu raison de s’interroger en regardant ces petites créatures. «  Nos recherches ont démontré que le sang d’Arenicola Marina pouvait fixer 50 fois plus d’oxygène que le sang humain et qu’il était compatible avec tous les groupes sanguins  », poursuit Hugues Le Choismier, DG adjoint. Ni plus ni moins que la mise à jour d’une super molécule universelle, 250 fois plus petite qu’un globule rouge humain, et dont les applications laissent rêveur : la société de Morlaix travaille sur un pansement cicatrisant, un système d’oxygénation des greffons avant transplantations et à terme, un substitut sanguin ! Tout cela en observant entre ses pieds, les vers de vase du sable breton.

Choses vues et entendues : Les rendez-vous de Biomin’Expo qui se sont tenus à l’Hôtel de ville de Paris, puis à la Cité des sciences de la Villette en octobre,ont été comme un panorama des utopies possibles. Bienvenue dans la nouvelle industrie du biomimétisme. Elle regorge de petits succès, d’intuitions et d’idées qui réenchantent le capitalisme moderne entre Jules Verne et Nicolas Hulot.

La biologiste Janine Benyus, théoricienne du biomimétisme.
La biologiste Janine Benyus, théoricienne du biomimétisme.

Quoi donc ? «  Ni une science, ni une discipline, mais un état d’esprit, voire une méthodologie que l’on applique dans la recherche  », décrit Gilles Bœuf, biologiste, ex-président du Muséum national d’histoire naturelle. Il s’agit de s’inspirer du vivant pour tirer parti des solutions et inventions qu’il a concoctées. «  Soyons plus humbles. Nous sommes peu de chose devant cette grande « entreprise » qu’est la planète. Usain Bolt court à la vitesse d’un chat. Michael Phelps nage aussi vite qu’une carpe, qui est un poisson lent  », rappelle le biologiste. La biologiste américaine Janine Benyus a déposé les ferments de cette discipline avec son essai, Biomimétisme : quand la nature inspire des innovations durables ( Rue de l’échiquier, 2011).

Les savoirs biomimétiques ont explosé en dix ans

Certes, l’approche ne date pas d’hier. En 1890, Clément Ader n’a-t-il pas conçu son premier avion en copiant les ailes de chauve-souris ? Gilles Bœuf :«  On parlait de bionique à la fin des années 1950. Les ingénieurs se sont intéressés à la nature pour parfaire les sonars ou radars, et pour dépenser moins d’énergie. Nous avons régulièrement organisé des expositions au Muséum, dans les années 60, 80 et 90 pour expliquer la biodiversité et esquisser ses applications  ». Longtemps restées timides, les initiatives dans ce domaine s’accélèrent. Kalina Raskin, DG du Ceebios (Centre européen d’excellence en biomimétisme) en témoigne : «  Sur la décennie, les connaissances biologiques et articles académiques ont été multipliés par 15. Rien qu’en France, on compte 175 équipes de recherches qui travaillent sur le biomimétisme aujourd’hui  ».

IDRISS ABERKANE : NE BRÛLONS PAS LA GRANDE BIBLIOTHÈQUE HIGH-TECH ! Décrié, controversé, trop péremptoire, il est pourtant  l’un des conférenciers les plus bankables et clinquants du moment sur l’économie de la connaissance. «  Comme la connerie, la connaissance est infinie  », aime à dire Idriss Aberkane qui enseigne à  Centrale Supelec, chronique au Point et multiplie les conférences sur le sujet. Tel n’est pas le cas des matières premières qui viennent à manquer. «  Si nous basons notre croissance économique sur leur exploitation, nous sommes limités. Mieux vaut la brancher sur l’économie de la connaissance  », assure t-il. Il compare la nature à une bibliothèque alors «  lisons-là au lieu de la brûler, elle est high tech ! » Il aime ainsi évoquer l’exemple des  diatomées, phytoplanctons qui possèdent des squelettes en silicium dotés de branches espacées de 10 nanomètres : «  Intel dépense des milliards pour obtenir des semi-conducteurs aux espacements de 22 nanomètres. Dans une goutte d’eau de mer, on a des puces électroniques high tech qui flottent, présentes depuis trois milliards d’années !  »  Connaître les propriétés de ce qui nous entoure est décisif.
IDRISS ABERKANE : NE BRÛLONS PAS LA GRANDE BIBLIOTHÈQUE HIGH-TECH ! Décrié, controversé, trop péremptoire, il est pourtant l’un des conférenciers les plus bankables et clinquants du moment sur l’économie de la connaissance. «  Comme la connerie, la connaissance est infinie  », aime à dire Idriss Aberkane qui enseigne à Centrale Supelec, chronique au Point et multiplie les conférences sur le sujet. Tel n’est pas le cas des matières premières qui viennent à manquer. «  Si nous basons notre croissance économique sur leur exploitation, nous sommes limités. Mieux vaut la brancher sur l’économie de la connaissance  », assure t-il. Il compare la nature à une bibliothèque alors «  lisons-là au lieu de la brûler, elle est high tech ! » Il aime ainsi évoquer l’exemple des diatomées, phytoplanctons qui possèdent des squelettes en silicium dotés de branches espacées de 10 nanomètres : «  Intel dépense des milliards pour obtenir des semi-conducteurs aux espacements de 22 nanomètres. Dans une goutte d’eau de mer, on a des puces électroniques high tech qui flottent, présentes depuis trois milliards d’années !  » Connaître les propriétés de ce qui nous entoure est décisif.

Aujourd’hui, les petits-enfants de Clément Ader comme les concepteurs de drones s’inspirent des abeilles ou des mouches pour gagner en autonomie. Les constructeurs d’avions ajoutent des ailettes à leurs avions sur le modèle des aigles pour limiter les tourbillons en bout d’aile et gagner en stabilité, «  ce qui a représenté -4% d’émissions  », complète Laure Couteau, spécialiste de l’écodesign environnemental chez Airbus. Depuis, l’avionneur est passé de l’observation du rapace à celle des des vols en formation des pélicans afin de diminuer la consommation.
«  Nous nous intéresserons de plus en plus au morphing, c’est-à-dire à des matériaux inspirés d’animaux volants et qui se déforment et vibrent  », décrit encore l’éco-designeuse. Des ingénieurs japonais se sont inspirés du bec du martin-pêcheur – à la pénétration dans l’eau exceptionnelle – pour profiler le Shinkansen, le TGV nippon. Malgré ses nombreux passages de tunnels aux pressions différentes, il a ainsi pu réduire ses nuisances sonores, faire baisser de 15% sa consommation énergétique et gagner 10% de vitesse. L’exemple est connu, mais il a été suivi de beaucoup d’autres. Des industriels recherchant de bons revêtements et vernis, se sont trouvés une passion pour le requin. Sa peau inspire d’ailleurs déjà des combinaisons de plongée, pour sa bonne pénétration dans l’eau et sa texture décourageant les bactéries de s’y fixent.
Le squelette externe de certains insectes comme la libellule est composé de chitine dont la couleur, la rigidité, la résistance à l’oxydation et la perméabilité à l’air ont inspiré les chercheurs de l’Institut de Wyss (Université de Harvard). Ils ont mis au point un matériau mince, transparent et flexible : le Shrilk. Ce matériau nouveau, peu cher à produire, biodégradable, biocompatible, pourrait bien remplacer le plastique dans les produits de consommation courante. «  À nouvelles contraintes environnementales, nouvelles solutions. La nature allume des lumières dans nos têtes en matière d’ingénierie, de communication, d’énergie  », nous explique Maria Fabra-Puchol. Responsable R&D chez Isover (groupe Saint-Gobain), elle s’est sentie inspirée par les feuilles de lotus. Ses feuilles sont extrêmement hydrophobes et idéales pour concevoir une vitre autonettoyante : les gouttes emportent sur leur passage saletés et bactéries collées à la surface.
Il faut savoir repérer les comportements remarquables dans la nature et les extrapoler… Lui a un faible pour l’espadon. «  L’hélice naturelle existe dans l’air – certaines graines en sont dotées pour se déplacer au gré du vent – mais pas dans l’eau. Pourquoi ? Parce que l’élément est 1 000 fois plus dense. La nature a fait son choix, les poissons ondulent. Et l’espadon voilier peut nager jusqu’à 120 km/h !  », s’enflamme Franck Sylvain, CEO de EEL Energy qui présente son hydrolienne à membrane ondulante, bien plus efficace que les appareils à hélice. De quoi même entrevoir des installations dans les fleuves…
Les couches-culottes doivent leur révolution aux méduses. La start-up israélienne Cine’al utilise leur chair ultra-absorbante, constituée à 90% d’eau, pour concevoir des couches-culottes capables d’absorber d’énormes quantités d’eau sans se dissoudre. Elles sont entièrement biodégradables en quatre semaines. Des chercheurs britanniques ont créé, eux, un pansement à base de coquilles d’œufs – moins cher que les produits actuels à base de collagène -, et dont la forte teneur en zinc stimule le système immunitaire et améliore la régénération des tissus.

À la recherche d’une méthode

D’où vient cette ruée scientifique et industrielle spectaculaire vers l’imitation de la nature ? Les chercheurs n’ont plus à observer à vue la pénétration silencieuse d’un hibou dans l’air grâce à ses des plumes ou bien les propriétés adhésives des filaments de moules. Les biomiméticiens ont les moyens désormais d’observer au plus près, à un niveau jamais atteint, grâce au saut technologique des nanosciences. Kalina Raskin en conçoit même une théorie bio-mimétique du droit : «  À cause des contraintes environnementales, économiques et règlementaires qui reproduisent désormais les contraintes de la sélection naturelle, ce que l’on appelle l’économie de la connaissance et le biomimétisme sont devenus des orientations de bon sens.  »

SERGE BERTHIER, MOUSTIQUES ET SCARABÉES. Chercheur à l’ INSP (institut des nanosciences de Paris ), Serge Berthier aime les moustiques. L’insecte qui cisaille la peau afin que l’homme ne sente rien durant la piqûre, a donné des idées et des pistes pour de nouveaux outils chirurgicaux. Les Japonais ont étudié la trompe de l’insecte pour élaborer des aiguilles médicales en titane, de forme conique et non plus cylindrique. Les ailes des cigales ou des libellules qui possèdent des nanostructures en sillons anti-reflets et surtout anti-bactéries, intéressent au plus haut point les spécialistes de revêtements d’instruments chirurgicaux.  Serge Berthier, toujours, recommande les potentialités  de certaines familles de scarabées qui sont particulièrement doués en récupération hydrique : «  Leurs carapaces à bosse, hydrophobes et hydrophiles selon les endroits, font couler le liquide jusqu’à la bouche. De quoi inspirer des tentes récupératrices de vapeur d’eau dans les déserts…  ». Des réponses moins polluantes et énergivores, de meilleure qualité et de moindre coût, ne demandent qu’à être recueillies chez les plantes, les champignons, les animaux.
SERGE BERTHIER, MOUSTIQUES ET SCARABÉES. Chercheur à l’ INSP (institut des nanosciences de Paris ), Serge Berthier aime les moustiques. L’insecte qui cisaille la peau afin que l’homme ne sente rien durant la piqûre, a donné des idées et des pistes pour de nouveaux outils chirurgicaux. Les Japonais ont étudié la trompe de l’insecte pour élaborer des aiguilles médicales en titane, de forme conique et non plus cylindrique. Les ailes des cigales ou des libellules qui possèdent des nanostructures en sillons anti-reflets et surtout anti-bactéries, intéressent au plus haut point les spécialistes de revêtements d’instruments chirurgicaux. Serge Berthier, toujours, recommande les potentialités de certaines familles de scarabées qui sont particulièrement doués en récupération hydrique : «  Leurs carapaces à bosse, hydrophobes et hydrophiles selon les endroits, font couler le liquide jusqu’à la bouche. De quoi inspirer des tentes récupératrices de vapeur d’eau dans les déserts…  ». Des réponses moins polluantes et énergivores, de meilleure qualité et de moindre coût, ne demandent qu’à être recueillies chez les plantes, les champignons, les animaux.

Vinci ne demandait-il pas à ses disciples d’«  aller scruter la nature, car c’est là qu’était leur futur  » ? Les clés à des problématiques industrielles, écolos ou urbaines peuvent être parfois résolues avec des observations de l’environnement. Encore faut-il savoir observer et en tirer des idées.
«  Le regard que nous portons est encore celui du passé et de l’exploitation de la nature. Alors que son observation permet de développer des solutions incroyables  », prévient Franck Zal.
L’approche de la biomimétique est fondamentalement interdisciplinaire. Marianne Gallardo (Engie Lab Crigen) explique que si son groupe peut préserver ses infrastructures industrielles immergées sans avoir recours à des solutions chimiques polluantes, c’est parce qu’il s’est rapproché de la start-up Polymaries Technologies afin d’utiliser des biopolymères marins. L’Allemagne multiplie les partenariats public privé et fait coopérer chercheurs et ingénieurs sur des mécanismes d’optimisation. «  Les exigences gouvernementales aux Etats-Unis y dynamisent des projets. Les Japonais ont une longueur d’avance dans la constitution de bases de données sur les problématiques que les espèces ont résolues  », analyse Maria Fabra-Puchol. En France, le Ceebios, basé à Senlis, permet une telle recherche mutualisée de groupes industriels et de start-up.
«  La nature offre continuellement des cadeaux qu’il faut choisir. L’étude des comportements d’espèces peut nous éclairer dans l’isolation acoustique, thermique ou du feu, dans la ventilation, la protection de l’habitat  », illustre Maria Fabra-Puchol chez Saint-Gobain. «  Souvent nous innovons et nous nous apercevons que les mêmes caractéristiques existent dans la nature. Il faudrait mettre au point une vraie méthode  », soutient Laure Couteau chez Airbus.
La démarche ne se limite d’ailleurs pas à copier les formes du vivant mais aussi à tirer parti des processus et des écosystèmes présents dans l’environnement naturel. «  La vie entretient la vie. Les espèces s’approvisionnent localement, utilisent des déchets comme matériaux, ne surexploitent pas leur environnement, récoltent en permanence des informations pour améliorer leurs process…  », souligne Gauthier Chapelle, co-animateur de la chaire «  regenerative economy  » à l’université catholique de Louvain et auteur de Le vivant comme modèle ( Albin Michel, 2015).

Nouvelles donnes ou nouveau catéchisme ?

L’économie dite circulaire est directement tirée des mécanismes naturels. « Quand les feuilles tombent, un ramassage n’est pas organisé. La nature produit en cycle, quand nos industries produisent en ligne des choses dont personne ne veut : des déchets  », décrit le conférencier Idriss Aberkane (Lire encadré). Mais tout peut changer. La permaculture adopte déjà cette approche. «  Le biomimétisme d’avenir n’est pas seulement technologique, c’est tout un système économique et social  », soutient Gil Burban, fondateur de Polypop Industries qui décontamine des sols et crée du compost grâce à des cultures de champignons.
Le nouveau capitalisme vert qui loue les vertus de la nature, après l’avoir dominé par extractivisme, pillé, souillé, perturbé, est-ce bien crédible ? Le catéchisme du greenwashing ne cache t-il pas la forêt en train d’être déforestée ? Quant aux bons sentiments obligatoires de la com’, après tout l’industrie militaire, elle aussi s’est mise très tôt et sérieusement au biomimétisme. Le robot Big Jim est le nouveau cheval de l’armée américaine. Les robots de guerre et les drones s’inspirent de la nature, et c’est terrifiant.
Le biomimétisme n’échappe pas non plus aux mythes, dont celui puissant et transhumaniste du rajeunissement, voire de l’éternelle jeunesse. C’est ainsi que sont étudiées de près au Japon, les facultés du turritopsis nutricula, successivement un polype ou une méduse, qui possède la capacité d’alterner les cycles de vieillissement et de rajeunissement, sans oublier celles de la tortue géante (250 ans) ou encore, du quahog nordique, mollusque des mers islandaises dont la longévité est évaluée à 507 ans d’existence. Autant de gènes en perspective pour lutter contre la dégénérescence des cellules et les cancers…
3.8 milliards d’années de R&D nous contemplent, la nature comme un réservoir infini d’idées… Alors que la Terre est saccagée plus que jamais, et que la biodiversité s’effondre de façon spectaculaire et irréversible, le capitalisme vert veut désormais s’en inspirer. Tout un savoir optimiste et des perspectives de solutions à nos problèmes sont sous notre nez. Mais la nature millénaire est en train de disparaître, comme on autodafe les livres.

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