Influences (n. fem. pluriel)
  1. Fluide provenant des astres et agissant sur la destinée humaine.
  2. Action exercée sur quelqu’un.
  3. Action exercée sur quelque chose.

Les Influences

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#François Hollande #Jean-Jacques Rousseau #Le Rhéteur cosmopolite #Marine Le Pen #Nicolas Sarkozy

1er mai 2012 : pourquoi Nicolas Sarkozy fait parler la haine

Publié le 1 mai 2012 par

Conseil de rhétorique aux deux prétendants à l’Elysée : pensez aux 4 passions de base, l’amour, la haine, la pitié, la colère, et établissez celles qui détermineront la réalisation de votre volonté de pouvoir

(Source Klincksieck)
(Source Klincksieck)
Comme nous en sommes au point de passer à l’exercice, hélas essentiel, de la République dans sa forme actuelle, l’élection du doge présidentiel, mais afin de mettre un peu de distance entre les événements de cette semaine électorale et nous-mêmes, et tenter ainsi de passer un Premier Mai digne du muguet, fleur du bonheur renaissant, autant relire un texte d’un des pères fondateurs de cette chose exceptionnelle, qui fit pivoter sur ses gonds la porte de la modernité politique – l’invention d’une nation de citoyens –, et je veux nommer Jean-Jacques Rousseau.

Mais auparavant une citation en latin de Suétone, le grand observateur des drames de la République impériale romaine : «  Titus reginam Berenicen, cui etiam nuptias pollicitus ferebatur, statim ab Urbe dimisit inuitus inuitam  » (Titus, sur le point de convoler avec Bérénice, dut la renvoyer de Rome, malgré lui, malgré elle)[[Vie de Titus, VII.]]. De cette formule, «  malgré lui, malgré elle  », Corneille et Racine tirèrent une tragédie sur la formule politique du choix : contre la passion personnelle, le vouloir du pouvoir impose un choix politique. Mais le «  malgré  », l’acquiescement de mal gré, de mauvais gré, à l’impératif du pouvoir n’est pas identique chez lui et chez elle, et le produit du gré n’est pas égal. Ce gré put être désagréable aux deux partenaires, mais Titus y gagna le pouvoir, et Bérénice seulement une gloire, disons littéraire.

 » On prétend que les hommes inventèrent la parole pour exprimer leurs besoins ; cette opinion me paraît insoutenable. L’effet naturel du besoin fut d’écarter les hommes et non de les rapprocher. »

Maintenant, la citation tant attendue de Rousseau :

«  On prétend que les hommes inventèrent la parole pour exprimer leurs besoins ; cette opinion me paraît insoutenable. L’effet naturel du besoin fut d’écarter les hommes et non de les rapprocher. Il le fallait ainsi pour que l’espèce vînt à s’étendre et que la terre se peuplât promptement, sans quoi le genre humain se fût entassé dans un coin du monde, et tout le reste fût demeuré désert. De cela seul il suit que l’origine des langues n’est point due aux premiers besoins des hommes ; il serait absurde que de la cause qui les écarte vînt le moyen qui les unit. D’où peut donc venir cette origine ? Des besoins moraux, des passions. Toutes les passions rapprochent les hommes que la nécessité de chercher à vivre force à se fuir. Ce n’est ni la faim ni la soif mais l’amour, la haine, la pitié, la colère qui leur ont arraché les premières voix. Les fruits ne se dérobent point à nos mains, on peut s’en nourrir sans parler, on poursuit en silence la proie dont on veut se repaître ; mais pour émouvoir un jeune cœur, pour repousser un agresseur injuste, la nature dicte des accents, des cris, des plaintes : voilà les anciens mots inventés, et voilà pourquoi les premières langues furent chantantes et passionnées avant d’être simples et méthodiques  »[[Essai sur l’origine des langues (1781), II.]].

Les passions sont à l’origine du langage, à savoir l’amour, la haine, la pitié, la colère. La liste est courte. Elle est une grille aisée de lecture de tous les discours que nous entendons par et sur les deux prétendants. Tous leurs discours se résument désormais à l’activation de ces quatre passions dont Rousseau dit qu’est sorti le langage et du langage la politique.

On aura noté que le besoin n’entre pas dans l’équation, mais seulement le besoin d’exprimer l’amour ou l’aversion, la pitié ou l’indignation. Car le besoin, comme le dit si justement Rousseau, crée de la concurrence et la concurrence a pour premier effet qu’on veuille en éviter les désagréments en essayant de «  s’en tirer seul  » comme dit la sagesse gnomique. Un exemple : c’est le besoin du pouvoir qui fait que Marine Le Pen, qui représente une droite dit-elle «  légitime  », celle d’avant De Gaulle, refuse de s’allier à une droite en fait bonapartiste, et cultive donc la distance. Mais c’est la haine de tout ce que représente la Gauche qui donnera l’électorat lepéniste à Nicolas Sarkozy, et c’est probablement un certaine colère devant les excès de langage des médias proches de François Hollande qui mènera l’électorat centriste, invitus invitam, vers Nicolas Sarkozy. Naturellement le centre, démocrate-chrétien, n’a pas de sympathie instinctive pour la droite d’argent, et les héritiers d’Etienne Borne, le philosophe du lycée Henri-IV, se tiennent à l’écart de ceux de Raymond Aron, le lare de la revue Commentaire. Mais la haine et la colère sont des passions impérieuses et si Nicolas Sarkozy parvient à les évoquer parmi ceux qui naturellement, dans le registre du «  besoin  », ne l’aiment pas et même le méprisent, il pourra passer l’étiage des 50%.

A l’inverse l’équipe de François Hollande devrait plancher non pas sur la récupération des passions homologues de la gauche légitimiste du marxisme, qui éprouve envers les socialistes embourgeoisés cette distance et ce mépris qu’explique ou justifie une histoire glorieuse (la Révolution de 1917, l’URSS et la puissance intellectuelle du marxisme français), puisqu’invitus invitam la gauche révolutionnaire (malgré Hollande, malgré elle-même) a agréé. Mais son équipe devrait soupeser le degré d’indignation ou d’aversion que ce bon gré mal gré provoque chez certains qui, par ailleurs soulevés par la pitié (qui est un ressort de l’anima écologiste), éprouvent du dégoût pour les effets ravageurs, sur la Nature, du matérialisme dialectique. Et se demander comment provoquer chez les centristes une aversion mesurée non pas envers Nicolas Sarkozy mais envers la morale élémentaire qu’il représente.

Tout cela n’est évidemment jamais formulé aussi analytiquement dans les discours du 1er Mai, mais si vous les écoutez attentivement vous verrez ces quatre passions, à l’origine du langage, et donc du langage politique, affleurer. Si j’y mets autant de détachement c’est que, lorsque les passions publiques ont la bride sur le coup, le devoir d’un intellectuel (même d’un «  pia-pia  », dixit Nicolas Sarkozy) est de quitter les tribunes, et d’observer de loin leurs montages et leurs effets. La France a ceci d’admirable, et de rare, que nos traditions intellectuelles et morales sont complexes et perdurent sur le long temps ; mais en restant l’oreille collée aux flux immédiats et stochastiques des derniers blogs où l’on cause, ou des flux médiatiques, nous perdons de vue l’influence durable et décisive de ces courants de pensée et de comportement. Ce sont eux qui donnent leur ressort énergique à l’extraordinaire semaine que nous vivons. Mais ce sont les quatre passions de base qui feront que tel ressort et pas tel autre catapultera tel segment de l’électorat dans telle direction et tel autre segment vers telle autre. Le langage est né des passions. Alors, conseil de rhétorique aux deux prétendants : penser sérieusement aux passions, cessez de les traiter comme des outils jetables ou révoltants, comme des déviations indignes, c’est-à-dire assumez pleinement ce qu’elles sont et font, établissez celles qui détermineront à coup sûr la réalisation de votre volonté de pouvoir, puisque c’est le pouvoir que vous voulez ; et puis, une fois ce travail systématiquement fait, parlez !

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