Influences (n. fem. pluriel)
  1. Fluide provenant des astres et agissant sur la destinée humaine.
  2. Action exercée sur quelqu’un.
  3. Action exercée sur quelque chose.

Les Influences

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Patrick Clervoy : depuis le 7 janvier, nous sommes en état de stress collectif

Publié le 5 janvier 2016 par

Entretien avec un spécialiste des traumatismes psychiques de guerre

influenceurs_250.gif [Psy].Comment les attentats de janvier touchent-ils la société française toute entière ? Les réponses que nous faisait au lendemain des attentats de janvier 2015, Patrick Clervoy, professeur de médecine et ancien titulaire de la chaire de psychiatrie du Val de Grâce, spécialiste des traumatismes psychiques liés aux opérations militaires. Pour se sortir de son stress, il faut multiplier les débats.

Les attentats du 7 janvier à Charlie Hebdo et du 9 à l’Hyper Casher semblent avoir, au delà des proches des victimes, choqué un grand nombre de personnes en France. Peut-on, sur une aussi large frange de la population, parler de «  traumatisme  », même sous une forme atténuée ?

patrick_clervoy.jpg Patrick Clervoy : Absolument. Il y a ce qu’on appelle le «  traumatisme par procuration  ». Sans même avoir été directement confronté à un danger vital ou à des images atroces, cet événement est tellement inouï qu’il vient nous ébranler. Nous, et notre système de pensée. Une anecdote : le cinéaste Alain Resnais, qui a tourné Nuit et brouillard, faisait des cauchemars après avoir visionné, la veille, les archives. Il y a donc traumatisme collectif. Nombreux sont ceux qui ont été perturbés. Mais ce traumatisme n’est pas délétère en soi, d’autant plus qu’il y a eu plusieurs réponses collectives. La première, spontanée, a été l’identification à un seul slogan «  Je suis Charlie  ». Et d’autres réponses ont été très vite apaisantes… Ce qui a constitué une parade à l’événement traumatique. Mais au delà de ce traumatisme collectif, il ne faut pas sous-estimer le stress actuel. Depuis les attentats, on voit fréquemment des militaires en armes, certains lieux sont très protégés… La protection policière et militaire rend visible la menace qui pèse sur nous. Cette situation de stress dans laquelle nous sommes plongés peut par ailleurs être porteuse de menaces, provoquer un clivage entre ceux qui sont de religion musulmane et les autres. L’effort, selon moi, devrait davantage porter sur ce stress invisible.

Dans un pays comme la France, qui n’est plus en guerre sur son sol depuis longtemps et qui reste peu habitué aux actes violents, sommes-nous finalement psychologiquement plus fragiles, ou plus protégés, face à ce type d’événement ?

Ni l’un, ni l’autre. La réalité du monde c’est qu’il n’a jamais cessé d’être en guerre. Dans l’un de mes livres , je citais cette formule : «  Seuls les morts ont vu la fin des guerres  ». La guerre est un état ordinaire dans le monde. Seulement, les puissances occidentales, par la richesse et la puissance de leurs dispositifs, sanctuarisent leur sol et se livrent à des guerres à distance. Mais ayant étudié les émeutes à Los Angeles, en 1992, je pense que même dans une puissance occidentale, un modèle de stabilité, le chaos peut survenir en quatre heures… Ce que nous montre les événements actuels, c’est que le tissu social est fragile. Il peut à tout moment se rompre. Il existe des lignes de fracture possibles. Même si, en effet, la première réponse des Français a été rassurante, avec cette marée humaine dans la rue. Il y a semblerait-il un véritable désir de vivre ensemble. Quoi qu’il en soit, nous devons garder à l’esprit que la France est en guerre dans les théâtres extérieurs, même si c’est en petit nombre, et qu’il y a plusieurs centaines de jihadistes français en circulation.

C’est un constat assez pessimiste…

Non, non. Ernest Renan disait que la Nation tenait au désir d’une population de vivre ensemble. La leçon de ces événements c’est que nous sommes à la fois forts et fragiles. Nous devons travailler sur l’intégration des musulmans, leur construire des mosquées décentes. Parce que l’islamisme radical joue sur ces clivages. Il faut également sortir des simplifications manichéennes… Pour prendre une métaphore psychiatrique, s’il s’agissait d’un petit groupe, nous aurions procédé à un defusing, c’est-à-dire à un traitement psychologique à chaud, puis à un debriefing psychologique, c’est-à-dire en voyant la manière dont on en parle tous ensemble une quinzaine de jours après… Il faut garder à l’esprit qu’un suivi psychologique est nécessaire. Il est important d’y réfléchir à nouveau dans un mois, puis dans six, et ne pas faire comme si tout était redevenu comme avant. Les attentats du 11 septembre 2001 ont été commis par les étrangers… Mais ceux de 2015 l’ont été par des Français. Que n’avons-nous pas su faire pour nous en protéger ?

A titre individuel, ce type d’événement peut-il constituer un facteur d’aggravation de plus ou moins importantes pathologies déjà existantes ?

Nous entrons tous dans un état de stress lié à ces attentats… Le stress est une fatigue psychologique et physique. Pour s’y adapter, l’une des solutions est de cesser de réfléchir sur la complexité de la situation. D’où la simplification manichéenne : «  Il y a des bons, moi je suis du côté des bons, et tous les autres sont des mauvais.  » Et il faut que nous soyons aidés dans nos réflexions, par les médias notamment et leurs chroniques faisant intervenir des experts. Il faut provoquer le débat, et heureusement nous sommes un pays qui l’accepte. Charlie Hebdo d’ailleurs était un lieu de débats. Comme Le Canard Enchaîné, et bien d’autres.

On parle souvent d’un «  effet d’imitation  », par exemple lorsqu’il y a un suicide dans une entreprise, les passages à l’acte risquent de se multiplier les semaines suivantes… Peut-on penser que ce soit le cas avec ce type d’événements ?

Les frères Kouachi ont déjà répété le passage à l’acte d’un autre… Mohamed Merah ! C’est triste, mais… On ne peut pas parler d’exception. D’autres voudront en faire de même.

Comment l’expliquer ? S’agit-il de ne pas se sentir seul à commettre un acte, de s’identifier à quelqu’un d’autre ?

Non. Quand on a tout perdu, l’idéal sacrificiel, c’est-à-dire mourir pour une cause, est l’une des solutions.

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