Influences (n. fem. pluriel)
  1. Fluide provenant des astres et agissant sur la destinée humaine.
  2. Action exercée sur quelqu’un.
  3. Action exercée sur quelque chose.

Les Influences

Filtré pour vous : L'actualité politique et intellectuelle

Pourquoi le néolibéralisme ne fait pas encore pipi dans sa culotte

Publié le 21 mai 2009 par

Pierre Dardot et Christian Laval : «  La nouvelle raison du monde, essai sur la société néolibérale  », ed. La Découverte, 26 euros.

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viviant.jpg «  Raison  » est le nouveau mot à la mode. Qui pourrait en vouloir à la raison, qui oserait seulement, ouvertement ? Ma foi, ce serait proprement déraisonnable. On ne s’étonne donc pas de trouver ce terme, non seulement dans le titre de l’essai que consacrent à la société néolibérale Pierre Dardot et Christian Laval, mais au cœur de toute leur démonstration, et sous toutes ses variantes : rationalisme, rationalité (au sens de Michel Foucault, précisent à toutes fins utiles les auteurs page 269). Sur près de cinq cents pages, ils vont s’attacher à démontrer que le néolibéralisme, loin d’être l’enfant hard discount du libéralisme, est au contraire une pensée qui puise sa raison d’être dans son rationalisme et, fichtre, sa rationalité. Pour eux, le libéralisme n’est pas le fourre-tout récemment dénoncé par l’économiste plus ou moins nobélisé Joseph Stiglitz, mais au contraire, une formidable machinerie dont la mécanique intellectuelle les fascine à l’évidence. Certes, ils sont de gauche. Ils animent un groupe de recherche intitulé «  Question Marx  », c’est dire. Au singulier, c’est dire. Mais, écrivent-ils, «  il faut désormais, à gauche, cesser de penser que nous savons à quoi nous avons affaire quand nous parlons de «  libéralisme  » ou de «  néolibéralisme  ». Le prêt-à-penser «  antilibéral  », par ses raccourcis et ses approximations, nous a fait perdre trop de temps. La thèse que défend cet ouvrage est précisément que le néolibéralisme, avant d’être une idéologie ou une politique économique, est d’abord et fondamentalement une rationalité, et qu’à ce titre il tend à structurer et organiser, non seulement l’action des gouvernants, mais jusqu’à la conduite des gouvernés eux-mêmes  ». A quoi, en les pastichant, on a immédiatement envie de répliquer qu’il faudrait cesser de penser que nous savons à quoi nous avons affaire quand nous parlons de gauche…
Comme on le voit au ton polémique, ce livre est donc conçu comme une machine de guerre visant, pour commencer, à renvoyer dans les cordes les naïfs antilibéraux qui, au vu de l’actualité récente, s’imagineraient que le néolibéralisme est à genoux, en train de faire pipi dans sa culotte, au bord de sa tombe. C’est bien mal le connaître, ricanent dans leur coin Dardot & Laval. Plus subtilement, c’est aussi un essai qui tend à accréditer la thèse qu’un néolibéralisme de gauche serait tout à fait possible, sinon souhaitable (et on comprend comment un PS en mal de philosophie, pourrait rapidement faire cette «  Nouvelle raison du monde  » la nouvelle raison de son Parti en miettes). Ce qui conforte nos auteurs dans la pérennité du néolibéralisme, ce n’est pas qu’il s’agit, comme chez La Fontaine, de la raison du plus fort mais plutôt de la plus forte des raisons, de la plus rationnelle dans la période historique irrationnelle que nous traversons ; et que cette raison, qui par ailleurs ne se découvre pas d’adversaire lui indiquant le chemin du post-capitalisme (à la dernière page seulement est cité le nom du «  regretté André Gorz  ») a déjà effectué son œuvre transformatrice : non seulement sur les institutions en érodant la démocratie, en «  dé-démocratisant  », mais aussi sur l’individu reconfiguré en «  entreprise de soi  ». Comme si, au modèle de la termitière, si cher à Hitler, le libéralisme opposait celui de la ruche, c’est-à-dire de l’entreprise. Le pire étant, que sans être candide et considérant tout de même que tout ne va pas pour le mieux dans le meilleur des mondes, Dardot & Laval ne semblent pas s’en inquiéter outre mesure, redoutant au contraire «  la restauration traditionnelle des formes d’autorité  ». Ils imaginent même un futur pseudo-radieux où «  la fusion de la biologie du cerveau et de la microéconomie offre sans doute des perspectives intéressantes de contrôle des comportements  » ! On dirait du Houellebecq…

Il faut donc piétiner et attendre le dernier paragraphe de cette somme militante, pour que le naïf antilibéral que nous sommes voit un peu la lumière. Dardot & Laval : «  Le gouvernement des hommes peut s’ordonner à d’autres horizons que ceux de la maximisation de la performance, de la production illimitée, du contrôle généralisé. Il peut se soutenir d’un gouvernement de soi qui ouvre sur d’autres rapports avec les autres que ceux de la concurrence entre «  acteurs auto-entreprenants  ». Les pratiques de «  communisation  » du savoir, d’assistance mutuelle, de travail coopératif peuvent dessiner les traits d’une autre raison du monde. Cette raison alternative, on ne saurait mieux la désigner que par ce nom : la raison du commun  ».

Mais gageons qu’avec un nom aussi nul, cette raison-là ne s’imposera jamais.

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