Influences (n. fem. pluriel)
  1. Fluide provenant des astres et agissant sur la destinée humaine.
  2. Action exercée sur quelqu’un.
  3. Action exercée sur quelque chose.

Les Influences

Filtré pour vous : L'actualité politique et intellectuelle

Quand les planneurs planent vraiment

Publié le 16 mars 2016 par

Sociologie du travail. Le management désincarné – Enquête sur les nouveaux cadres du travail,
Marie-Anne Dujarier
Paris, La Découverte, mai 2015
250 p., 18,50 E

couve-management-f14f1.jpgSociologie du travail. S’il est à craindre que la sociologie du travail ne parvienne jamais à véritablement représenter une abondante source de rigolade, il n’en demeure pas moins qu’un certain humour à froid, stoïque, traverse cet éclairant essai de Marie-Anne Dujarier. Par exemple, à travers ce terme de «  planneur  », qui se retrouve au cœur de sa thèse et regroupe l’ensemble des hautes fonctions stratégiques du monde managérial (contrôleurs de gestion, auditeurs, sociétés de conseil, DRH, directeurs marketing…), dont les activités se complètent dans l’élaboration de multiples dispositifs, visant à structurer et optimiser le travail des salariés en se fondant sur un pilotage exclusif de l’activité par les statistiques et les chiffres – quitte à dissoudre toute authentique efficacité possible et, surtout, toute dimension humaine, vivante, dans un vertige kafkaïen de procédures binaires. Or, que l’on se situe du côté de la fonction publique comme du secteur privé (ce que cette étude, précise et méthodique, s’efforce de faire), ces «  planneurs  » omniprésents et leurs cortèges de plannings… planent en fait complètement, à mille lieues des conditions de travail effectives des salariés. Déconnectés du réel, leurs dispositifs prétendent plutôt répondre aux exigences d’une «  réalité économique  » résumable à un tableur Excel ou un Powerpoint. D’où s’ensuit, nécessairement, un dialogue de sourds entre les mille-et-un échelons administratifs du pouvoir managérial. Et un état d’inconfort, d’absurdité, de frustration, de flicage et de mépris ressenti par les employés, qu’il s’agisse, comme ici, d’assistantes sociales, de travailleurs des médias ou de personnel hospitalier…

Ainsi a-t-on parfois l’impression d’osciller, au fur et à mesure de l’édifiante enquête de Marie-Anne Dujarier, entre Le Château de Kafka, la noirceur grinçante d’Extension du domaine de la lutte et les Shadocks.

En même temps, ces tout-puissants «  planneurs  », eux-mêmes, ne sont pas dupes. C’est l’une des découvertes assez inattendues de cet essai. Voire, ils n’y croient pas du tout, au fond, à ces outils purement quantitatifs qu’ils passent leur temps à élaborer. Ils en savent les limites et reconnaissent même, pour certains, la frugalité duplice de leurs indicateurs, se réfugiant in fine dans l’aspect prétendument ludique d’une organisation théorique, mathématique, déconnectée des singularités de chaque activité et diluant toute responsabilité dans un systématisme impersonnel. Ainsi a-t-on parfois l’impression d’osciller, au fur et à mesure de l’édifiante enquête de Marie-Anne Dujarier, entre Le Château de Kafka, la noirceur grinçante d’Extension du domaine de la lutte et les Shadocks.

Surtout, en déterrant du management ces structures majoritaires, transversales, mais généralement teintées d’hermétisme (au prix d’un jargonnage qui lorgnerait vers le terrorisme, s’il ne restait impuissamment voué à égrener des anglicismes mantriques privés de sens, comme une sorte d’eunuque langagier, drapé dans un pseudo-positivisme aussi impitoyable que vain), Marie-Anne Dujarier propose des grilles de lecture susceptibles de s’exercer sur bien d’autres domaines que celui de la sociologie du travail. Par exemple, sur la politique. Ou l’économie générale. Ce que l’auteur se garde d’ailleurs, assez humblement, de mettre en avant ; fameuse et louable discrétion universitaire. Toutefois, il paraît difficile de ne pas songer, devant ce cortège d’aberrations liées au culte des chiffres et de la performance quantitative, au théâtre d’ombres de l’ultralibéralisme et à la pensée magique de la bureaucratie politique. Et ce n’est pas la moindre subversion de ce livre que de laisser au lecteur le soin de retrouver, de ce «  management désincarné  » et dominant, les inquiétants échos au sein des entreprises, mais aussi des structures étatiques, gouvernementales ou mondialisées, pour finalement bousculer la prétendue neutralité des systèmes organisationnels contemporains. Sans doute serait-ce alors dans le refus (ou le sabotage) des normes chiffrées que se détermineront les premiers pas à venir vers une résurgence partagée de la conscience politique.

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