Influences (n. fem. pluriel)
  1. Fluide provenant des astres et agissant sur la destinée humaine.
  2. Action exercée sur quelqu’un.
  3. Action exercée sur quelque chose.

Les Influences

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Recalée à l’école du chamanisme

Publié le 21 septembre 2017 par

Où la chercheuse se confronte à la diversité chamane qui sévit à Pisac.

article-2b.jpg Il serait facile de conclure que Pisac est le théâtre d’un choc des civilisations : d’un côté les Andins, vivant dans les montagnes de façon spartiate, entre agriculture non mécanisée (mais souvent sulfatée) et tissage, autant de produits qu’ils vendent dans les rues du village où ils descendent à des heures précises ; de l’autre les touristes, bardés de caméra et de tout ce qui, par le monde les caractérise. Mais ces deux populations se déclinent et se fractionnent en plusieurs sous-groupes. Chez les Andins, s’il est vrai qu’une population, parfois soutenue par des ONG, mène une vie ancestrale, les gens parlent quechua et à peine l’espagnol ; d’autres, à la rigueur, n’ont d’autre rapport aux «  communautés  » que la perspective d’organiser des tours pour les touristes avides de voir une «  vraie  » vie indigène et de s’associer avec un «  paqu  », soit un spécialiste des rituels, pour donner une couleur locale aux prestations qu’ils fournissent.

Tourisme spirituel et objets made in China

Chez les touristes, une majorité est purement de passage : ils montent visiter les ruines, achètent des souvenirs dans le marché d’artisanat qui occupe la place principale et en fait toutes les rues du village, parfois déjeunent au marché «  à la péruvienne  » et repartent pour «  faire  » le reste de la vallée sacrée. Une bonne partie de l’économie du village et des communautés repose sur eux, encore que, si les tissus sont faits main, les tableaux «  andins  » sont made in China. Il en existe d’autres, de ces gringos (terme stigmatisant, mais dont l’origine «  green go  » est essentiellement méconnue), qui sont installés, à plus ou moins long terme et qui se vêtent de façon à ne pas être confondus avec les touristes. Ils se confondent cependant avec eux-mêmes : on voit les mêmes en Inde, par exemple à Pushkar, en Indonésie, à Hawaï. Leur habit désigne un autre tourisme : spirituel celui-là, et ils sont en quête, sur place, du chaman qui les révélera à eux-mêmes, voire libérera en eux la capacité leur propre identité de chamans.

Ainsi sont relocalisés à Pisac des «  chamans  » (le terme lui-même étant transnational, déterritorialisé) soit venant de la Selva, l’Amazonie péruvienne (Encore que la région de Pucallpa dont viennent les Shipibo soit entièrement déforestée), ou d’autres régions sud américaines connues pour leurs «  plantes maîtresses  » comme l’ayahuasca ou le san pedro, soit d’autres régions présumées «  chamaniques  » (Mexique par exemple), soit des chamans occidentaux. Ainsi de la première chamane, portugaise par ailleurs, avec qui je conversais : pour elle, les étrangers avaient ce mérite par rapport aux locaux qu’au lieu d’être bénéficiaires d’une transmission par les hommes, de maître à disciple en quelque sorte, une transmission qui, disait-elle, reproduisait une hiérarchie fixe, ils recevaient la transmission et le secret directement de la plante, la connaissance acquise (et non livresque) étant secondaire. Dans cette opposition se dessinait clairement celle entre la lettre et l’esprit, et donc faisait de ce schème modélisé par les Évangiles une sorte d’invariant. Local voudrait dire sclérosé, répétitif et maintenant des chaînes de domination où le secret devient un instrument de pouvoir. L’étranger est le souffle de l’esprit, le retour, presque protestant, aux fondamentaux, écrasés par la tradition qui ensevelit sous des scories. L’antienne est bien connue, mais comme c’est un discours assumé il n’est pas question de le juger. Cependant nous sommes bien dans deux systèmes culturels diamétralement opposés.

Alors qu’une ONG américaine vient de mettre en place une école du dimanche pour enseigner le quechua aux enfants qui ne le parlent plus alors que leurs parents le maîtrisent encore complètement et que c’est souvent l’unique langue de leurs grands-parents, je vis passer une annonce, sur une des pages Facebook des «  gringos  », qui leur servent à annoncer leurs événements «  spirituels  », qui, d’emblée, était différente : la photo d’un papier écrit à la main, par une personne ne maîtrisant pas l’espagnol écrit, et c’est à noter, non pas en anglais, la langue de communication des «  maîtres  » spirituels qui, eux, possèdent une maîtrise parfaite de l’advertising, évoquait une «  école de chamanisme  ». Même si le discours de l’esprit contre la lettre n’est cependant pas celui de tous les chamans reterritorialisés, chacun ayant sa propre idée du secret, je devais donc y aller, pour confronter le discours de ma portugaise avec celui d’un «  local  » à défaut de pouvoir organiser une confrontation directe. Ce qu’elle m’avait dit faisait-il sens pour un « paqu  » ?

Accusée de ne pas ouvrir mon coeur

Ce dernier me reçut pour une leçon particulière, qu’il accorde à toute personne désireuse d’apprendre, à condition que son intuition ne décèle rien de mauvais dans son interlocuteur. Le mal en question étant une domination par un esprit mauvais, tel un incube. à toute personne désireuse d’apprendre. Je lui énonçai mon projet qu’il n’écouta pas vraiment. Il commença à me montrer des objets, mais je l’interrompais en questions directes. Fâché de ce qu’il appela mon manque de respect, il replia ses affaires : je n’étais pas là pour «  ouvrir mon cœur  » et n’entrai donc pas dans l’idée de ce cours mixte (accessible aux locaux et aux non locaux), destiné à transmettre un savoir qui se perd. Je persévérai, fourbissant mes arguments : le cœur, oui, mais l’intelligence ? Le travail des «  apus  », esprits des montagnes, n’est-il d’unifier les facultés ? Ce duel singulier mené dans une langue pour chacun étrangère me renvoyait clairement au thème de la «  réciprocité andine  », où tout est relation : donner et recevoir. Ainsi des cérémonies où l’on rend à la terre l’équivalent de ce qu’on lui prend. Qu’en était-il entre nous ? La guerre est le père de toutes choses : il accepta le principe d’un prochain enseignement à condition que j’accepte le principe de constituer ma «  mesa  », fût-elle avec mes propres objets. Je traduis : il s’agit de recentrer sur la fameuse cosmovision andine les requêtes de tous azimuts des étrangers qui viennent ici. Entre la chamane qui discourait si longuement sur le secret et cet homme pour qui tout ne pouvait se nouer que dans et par la mesa (hospitalité ?), le choc est-il celui du rite et du mythe ?

Mentalité de la réciprocité andine: tout est relation, donner et recevoir.

J’y reviendrai, en me demandant si mon paqu, qui se nomme du reste curaca, soit le titre du responsable politique de la communauté, construit vis-à-vis de moi un rapport de prédation des énergies, ce qui pourrait renvoyer, dans un sens différent, à ce que disait ma première chamane expatriée, à savoir que le savoir a besoin de se nourrir de ce qui vient de l’extérieur.

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