Influences (n. fem. pluriel)
  1. Fluide provenant des astres et agissant sur la destinée humaine.
  2. Action exercée sur quelqu’un.
  3. Action exercée sur quelque chose.

Les Influences

Filtré pour vous : L'actualité politique et intellectuelle

Théologie de la libération : la modernité intellectuelle selon Leonardo Boff

Publié le 26 mai 2018 par

L’idée : Comment ce foyer intellectuel de l’Église se reconnait dans l’écologie politique.

Luis Martínez Andrade, Écologie et libération. Critique de la modernité dans la théologie de la libération, Van Dieren éditeur, 280 pages, 25 euros. Publié : 2016.

couverture-boff.gif Religions. La grande richesse de ce livre vise à combler un manque : les auteurs francophones n’ont toujours pas intégré dans leurs lectures et interprétations, les réalisations théoriques latino-américaines, alors que non seulement elles existent mais de plus, permettent une réflexivité toujours nécessaire. Le présent ouvrage est, dans une certaine mesure, une monographie de Leonardo Boff, l’un des grands chefs de file de la théologie de libération, particulièrement influente au Brésil dans les années 1970 et 1980. Mais il s’agit aussi d’un essai qui mesure le fait que cette pensée serait assurément inaccessible sans une solide introduction aux problématiques et avancées produites à la fois par la théologie de la libération et le courant « décolonial ». C’est cette contextualisation que Luis Martinez Andrade met en place dans sa première partie. Il commence par définir les contours de la théologie de la libération en retraçant sa généalogie. La plupart des éléments ici présentés sont relativement connus, et l’auteur les enracine dans l’ouvrage classique de Michael Löwy, dont il rappelle à quel point la lecture est indispensable pour qui réfléchit sérieusement sur l’histoire de la pensée mondiale de ces cinquante dernières années. La présentation n’est pas générale et sans angle : elle est problématisée autour de la critique du capitalisme et de l’écologie entendue comme une réalité et une fonction critique de la logique capitaliste telle que «  la postmodernité et la culture New Age doivent être dénoncés comme étant des piliers du logos hégémonique  » (p. 87).

Le second point de ce travail historique est encore plus bienvenu : la théologie de la libération est réintroduite dans ses nouveaux développements, les plus contemporains ; elle n’est pas ce mouvement qui a été muselé et écrasé par l’Eglise, mais un mouvement vivant, actif, avec des prolongements politiques et théoriques, qui peut donc entrer en débat avec la pensée décoloniale (mon seul regret dans ce livre est que l’auteur ne refasse pas la distinction entre philosophie de la libération et théologie de la libération, comme il le fait dans un autre ouvrage).

boff.jpg La pensée de Leonardo Boff se trouve des points communs avec celle de la théorie Gaïa de Lovelock et la deep écology.

Cette première partie, à la fois historiquement précise et problématisée, est d’une très grande qualité. La seconde, monographie de Leonardo Boff, est passionnante : la vie d’abord de ce Brésilien qui devient prêtre et bénéficie d’une formation en théologie, part en Europe, consacre sa thèse à l’Eglise comme sacrement (thèse appréciée de Ratzinger) avant de retourner au Brésil où il mesure la distance qui s’est creusée entre sa pensée (y compris comme franciscain) et la réalité de ce que vivent les gens. C’est à partir de François d’Assise qu’il va poser les bases d’une nouvelle théologie, qui parle du pauvre réel et peu à peu en vient à modifier jusqu’à la figure de Jésus désormais pensé comme libérateur dans cette vie ci, contre l’ensemble des abus que le capitalisme met en place et dont les pauvres sont victimes. La pensée de Boff qui avait jusque là de forts points communs avec celle de Teilhard de Chardin en constitue de plus en plus étroits avec l’écologie – voire avec la deep ecology et la théorie de James Lovelock (Gaïa). Alors qu’il est rédacteur en chef de la revue Vozes et publie des textes de ce qui se constitue comme la théologie de la libération, il est rappelé à l’ordre par la Congrégation pour la doctrine de la foi, mais il nie tout lien organique entre sa pensée et le marxisme.

Sa réflexion, défend-il, s’enracine dans les Évangiles et dans la tradition franciscaine, ainsi que dans les pratiques populaires de l’Eglise des pauvres (les communautés ecclésiales de base, etc.). Il finit cependant par quitter l’Église, mais continue le même travail «  Boff n’a pas quitté l’Église pour devenir un cadre de Coca-Cola […] mais pour poursuivre le chemin de François d’Assise autrement  », p. 152). Le choix biographique est ici pertinent : il permet à l’auteur, d’abord de faire comprendre comment l’Église a été (et reste) un formidable acteur à la fois de la formation d’élites intellectuelles dans les pays d’Amérique latine. Il montre également comment différentes options théologiques sont possibles pour qui veut rester dans la communion de l’Église. Les enjeux sont assurément politiques (et c’est sur ce point que l’auteur insiste surtout, présentant Boff comme une victime) mais également théologiques (et ici sans doute n’est-il donné aucune chance à la Congrégation pour la doctrine de la foi). Le livre restitue également dans le détail la pensée de Boff et constitue une introduction à la connaissance des tensions latino-américaines, le continent étant livré à la prédation capitaliste, comme cela a été montré, sur la longue durée (depuis la Conquista jusqu’au néocapitalisme en passant par les Indépendances et les dictatures) dans la première partie, qui établit le contexte historique, économique et social, de la théologie de la libération et décrit les différents mouvements de lutte, comme le Mouvement des sans terres, le mouvement zapatiste ou les seringueiros. L’écologie dans la pensée de Boff, et surtout à partir du moment où il quitte l’église et n’a plus le souci de la communion, n’est pas seulement la marque de refus de l’oppression capitaliste, dont il est montré comme elle frappe les hommes dans leur environnement, et non pas les hommes et les environnements de façon séparée, mais elle est aussi une pensée holistique, qui définit un certain rapport entre l’homme et la nature – inspiré sans doute de la vision de la pachamama, invitant à une nouvelle alliance avec la nature à la place de «  la rationalité qui a réduit les peuples et la nature à l’état de choses  » p. 153) ; il faut «  revenir à une conception concrète de la nature comme cosmos vivant  » (p. 210).

Il trouve dans cette pensée éco-théologique, une solution au capitalisme hégémonique.

Cependant, à la différence d’une certaine pensée décoloniale qui met l’intersectionnalité de la race ou du genre au cœur de la logique oppressive, Boff demeure certain que l’oppression socioéconomique détermine les autres. Ii trouve dans l’écologisme une solution de remplacement au capitalisme hégémonique, en maintenant une forte matrice religieuse : rejet de l’idolâtrie et libération des opprimés s’associe à la défense de la démocratie entendue comme la réalisation des principes évangéliques, et cela dans une nouvelle interprétation de la communion. L’auteur insiste cependant sur les dimensions marxistes de cette pensée éco-théologique («  Boff reconnaît le caractère antagonique de la formation sociale hégémonique qui produit une société de classes  », p. 226) et la rapproche de celle de Walter Benjamin, lui-même à la recherche d’une articulation du socialisme utopique et de la théologie, qu’il soumet cependant à une inflexion de taille, avec l’idée d’une communauté terrienne.

lu_et_approuve_120dpi.jpg Ce livre se place donc sous le signe de la profusion, à ceci près que sa richesse foisonnante est fort bien maîtrisée par l’auteur qui, sans doute porté par la pensée même de Boff, articule histoire et théorie, en un travail aux confins de la science sociale et de la cosmopolitique, sans jamais tomber dans les travers de l’idéologie. On a envie de poursuivre sa réflexion en se demandant si c’est l’enracinement dans la théologie qui permet à Boff d’éviter les travers idéologiques ou bien, si c’est sa proximité réelle avec les pauvres et les expériences de pauvreté. Quoi qu’il en soit, le livre éclaire toutes formes d’actualité (par exemple le récent discours de l’actuel pape au Madre de Dios) et fait mesurer qu’il n’est plus possible de penser le monde contemporain sans passer par les théorisations latino-américaines.

Je m'abonne ! Partage Twitter Partage Facebook Imprimer

Laisser un commentaire

Ce site web utilise ses propres cookies et ceux de tiers pour son bon fonctionnement et à des fins d analyse. En cliquant sur le bouton Accepter, vous acceptez l utilisation de ces technologies et le traitement de vos données à ces fins. Vous pouvez consulter notre politique en matière de cookies.   
Privacidad