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Les Influences

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Véronique Rieffel lance l’islamania

Publié le 3 mai 2011 par

Après avoir fait accourir le tout Paris pour son exposition du quartier de la Goutte d’Or, photographié par l’Anglais Martin Parr, la jeune directrice de l’Institut des Cultures de l’Islam publie un essai sur l’influence islamique dans l’art occidental.

Véronique Rieffel (© Christine Fleurent)
Véronique Rieffel (© Christine Fleurent)
«  J’étais agacée de voir à quel point l’islam est traité de manière négative en France. Quand quelque chose ne va pas dans les banlieues ou dans les écoles, c’est toujours l’islam qui est responsable. A l’inverse, silence total lorsqu’il est question d’art et de culture. On n’en parle jamais, alors que nos artistes occidentaux s’en sont beaucoup inspirés  ». C’est en faisant ce constat que la directrice de l’Institut des Cultures d’Islam (ICI) décide de rédiger Islamania, un livre aussi passionnant que nécessaire, qui nous fait découvrir l’influence des cultures musulmanes sur les arts européens – depuis la construction des cathédrales jusqu’aux collections de couturiers tels que Jean-Paul Gaultier !

Les yeux bleus Méditerranée de Véronique Rieffel étincellent lorsqu’elle nous raconte, par exemple, le rôle majeur de l’islam dans l’émergence de l’art abstrait en Europe. «  La révélation m’est donc venue de l’Orient  », s’exclame Henri Matisse (1869-1954) au début du vingtième siècle. A la même époque, Paul Klee (1879-1940) est ébloui par la lumière et les couleurs de la Tunisie, lui qui voulait «  rompre avec la tradition picturale occidentale du clair-obscur  » ; on dira plus tard que son intérêt pour le cubisme a été accentué par l’architecture épurée de la casbah maghrébine. Quant au Russe Vassili Kandinsky (1866-1844), il trouve dans «  la simplicité quasi barbare  » de l’art islamique une «  profusion à vous donner le vertige  », qui l’encourage à poursuivre ses recherches dans l’art abstrait, en se dépouillant du sensible «  pour accéder à un niveau de réalité supérieur  ». Plus récemment, l’artiste François Morellet (actuellement exposé à Paris, au centre Beaubourg, jusqu’au 4 juillet), confie avoir eu «  le choc esthétique de sa vie  » dans l’Alhambra de Grenade, devant des céramiques aux formes géographiques dépouillées, répétitives, sérielles.

De Le Corbusier à Jean-Hubert Martin

Prenons un autre art, l’architecture. Le Corbusier (1887-1965) a été fasciné par l’épure des habitations turques ou algériennes. «  Il ne l’a jamais caché, précise Véronique Rieffel. Mais c’est tu dans les ouvrages occidentaux. Au cours de mes recherches, j’ai lu des tas de livres sur l’abstraction, je n’ai pas vu une ligne sur l’Islam ! On qualifie, à tort, l’abstrait comme un signe de la modernité occidentale, or l’art des pays musulmans l’a abordé bien avant nous  ».
Pourquoi ce silence ? «  Notre vision de l’islam est héritée des croisades, avance la jeune femme. D’un côté, il reste une fascination teintée de fantasme pour la sensualité orientale, mais de l’autre il existe une répulsion et une crainte pour la violence qui y est associée  ». Les attentats du 11 septembre 2001 n’ont rien arrangé et d’autres «  affaires  » tricotées par les fondamentalistes, comme celle des caricatures de Mahomet en 2005, ont contribué à envoyer l’islam au purgatoire. Et puis, l’hiver dernier, les révolutions arabes sont venu battre en brèche cette «  fragile et mensongère théorie du choc des civilisations, dont le monde artistique offre un contre-exemple éloquent  », comme le souligne le conservateur général du patrimoine Jean-Hubert Martin, en préface d’Islamania.

Ce souffle de liberté, associé à «  l’élimination  » de l’ennemi public n°1 Ben Laden, est la meilleure justification à ce livre, par ailleurs remarquablement illustré. «  Désormais, on ne pourra plus opposer islam et démocratie, se réjouit Véronique Rieffel. Les Occidentaux semblent découvrir avec sidération que les musulmans sont peut-être finalement plus proches de ces valeurs qu’on a bien voulu le croire  ». Déjà, l’ouvrage signale le retour d’un certain engouement pour ces artistes contemporains qui explorent, souvent avec humour, des questions aussi controversées que celles du port du voile ou de la place de la femme dans la société.

«  Remettre en question les évidences apparentes  »

(© Martin Parr/ Magnum photos)
(© Martin Parr/ Magnum photos)
L’intérêt que porte Véronique Rieffel à l’Islam remonte à son enfance, dans la petite ville de Bernay (Normandie) où elle a grandi. Son père, directeur d’un centre pour handicapés physiques, et sa mère, assistante sociale, sont «  chrétiens mais ouverts aux autres religions  ». Les musulmans qu’elle côtoie au collège et au lycée n’ont pas de problèmes d’intégration, elle découvre chez eux «  l’hospitalité, l’accueil et la musique  » qui la ravissent : «  Ce n’était pas un Islam qui venait d’ailleurs. J’ai appris à le découvrir en face de chez moi, au quotidien  ». L’été, elle voyage en famille dans quelques pays arabes (Syrie, Jordanie, Egypte, Maroc) et tombe amoureuse de la langue. A l’âge de commencer ses études, elle s’inscrit en philosophie de l’art à la Sorbonne («  J’ai très tôt adoré remettre en question les évidences apparentes, j’avais lu Bergson et Kant bien avant la Terminale  »), s’étonne de voir à quel point les références étaient occidentalo-centrées, «  même en philosophie  ».

Elle complète son cursus avec un passage à Science Po et des études d’arabe aux Langues’O. Ses diplômes en poche, elle part faire un stage d’un mois à Alexandrie, en Egypte – elle y reste finalement trois ans, y ayant dégotté un emploi d’attachée culturelle. «  Ensuite, j’ai voulu rentrer en France pour mieux m’imprégner de la création contemporaine, dans tous les domaines  ». Elle travaille à la Collection Lambert d’Avignon (qui a fait parlé d’elle au mois d’avril, avec la photo controversée du Piss Christ, un crucifix plongé dans de l’urine), puis s’investit dans la musique, le théâtre, la danse… En 2006, elle est prête à repartir en poste dans les pays arabes. «  Et puis j’ai entendu parler du projet de création de l’ICI. J’ai candidaté et j’ai été retenue  ».

«  Passerelles  »

(© Martin Parr/ Magnum photos)
(© Martin Parr/ Magnum photos)
A tout juste 30 ans, Véronique Rieffel se retrouve donc à la tête de la nouvelle institution, financée par la Mairie de Paris et située dans le quartier de la Goutte d’Or, dans le nord de Paris. A sa prise de poste, elle est résolue à «  dépoussiérer  » la manière dont la culture islamique est perçue en France, encore trop souvent réduite «  aux babouches et à la danse du ventre  », et veut faire de l’ICI une vitrine de la vitalité de la création contemporaine, ouverte à tous les publics. Si on a parfois redouté une possible redondance entre l’ICI et l’Institut du Monde Arabe (IMA, inauguré dans le centre de Paris en 1987 et actuellement dirigé par l’eurodéputé UMP Dominique Baudis), Véronique Rieffel a les arguments pour préciser leurs différences : «  L’IMA ne concerne que le monde arabe, il est financé pour moitié par les Etats de la ligue arabe et il a une vision essentiellement patrimoniale. L’ICI concerne tout le monde musulman, de l’Indonésie aux Etats subsahariens, en passant par l’Afghanistan ou la Turquie, qui ne sont pas arabes. On s’intéresse aussi aux pays où l’islam est minoritaire, comme la Chine ou le Vietnam. Ensuite, nous mettons davantage l’accent sur la culture contemporaine, dans tous les styles. Et, comme nous sommes installés dans un quartier populaire, nous n’avons pas le même public. Enfin, nous sommes financés par la ville de Paris, par le ministère de la culture et par l’Europe, nous sommes dans la constitution d’un Islam français et européen, moderne et interdisciplinaire. Notre projet a pour but de créer des passerelles entre les cultures  ».

Depuis le mois d’avril, l’ICI bat tous ses records d’affluence avec l’exposition du célèbre photographe britannique Martin Parr, venu en résidence dans le quartier. Dans ce travail ironique et coloré, intitulé «  The Goutte d’Or !  », l’Anglais montre la vie quotidienne de cet entrelacement de ruelles peu fréquentées par les touristes, où les gens se connaissent comme dans un village, où les musulmans doivent prier dans la rue le vendredi, faute de place dans les mosquées trop petites… «  Mais nous allons y remédier  », assure Véronique Rieffel : en 2012 et en 2013, l’ICI devrait ainsi s’agrandir avec deux nouveaux bâtiments, à quelques dizaines de mètres de distance. Sont également prévus des salles associatives, un salon de thé, un hammam, des salles d’exposition et une mosquée suffisamment grande pour accueillir tous les fidèles. «  Nous voulons montrer la richesse culturelle de l’islam contemporain en France et en Europe, mais nous souhaitons également continuer de nous ancrer dans le quartier  », conclut notre islamaniaque passionnée.

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