Influences (n. fem. pluriel)
  1. Fluide provenant des astres et agissant sur la destinée humaine.
  2. Action exercée sur quelqu’un.
  3. Action exercée sur quelque chose.

Les Influences

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#Fondation Terra Nova #François-Bourin Editeur #Gérald Bloncourt #Peuples de gauche #Présidentielle 2012

Requiem pour les peuples de gauche

Publié le 24 mai 2011 par

Alors que Terra Nova discute leur utilité électorale, le grand photographe social Gérald Bloncourt témoigne à travers un beau livre et une exposition des classes populaires qui ont porté la gauche au pouvoir le 10 mai 1981.

badge-3.gif Le problème de la gauche à un an de la présidentielle et en pleine commémoration du 10 mai 1981 ? Le peuple. Certains songent à l’immerger cinq minutes pour qu’on l’oublie politiquement. La récente note de Terra Nova, club intellectuel associatif proche du Parti Socialiste, a suscité quelques remous. la thèse n’est pas neuve, elle se pose très concrètement depuis le désastre électoral de la présidentielle de 2002 dans les cénacles du parti :  » Il n’y a plus de vote unifié de classe, remarque ainsi le rédacteur de la note, Olivier Ferrand. Les classes populaires (ouvriers, employés) votaient hier massivement à gauche : 72% pour les ouvriers, au second tour de l’élection présidentielle de 1981. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Les classes populaires sont désormais divisées sur les valeurs. La grille de lecture pertinente n’est plus les classes sociales mais la division outsiders – insiders. Il y a d’un côté les milieux populaires déclassés, victimes du précariat, du chômage, de l’exclusion, et souvent discriminés : ceux-là sont au cœur de l’électorat naturel de la gauche. Il y a de l’autre les milieux populaires intégrés, qui ont un emploi stable, en CDI, mais qui, travaillés par la crise, ont peur du déclassement et sont tentés par le repli identitaire. Une partie de ces travailleurs, qui il y a trente ans votait à gauche, singulièrement pour le parti communiste, a basculé vers le Front national. »

L’émergence des classes moyennes

©Gerald Bloncourt
©Gerald Bloncourt
Un livre, Peuples de gauche (François-Bourin Editeur) et une exposition illustrent en ce moment cette fracture née paradoxalement le 10 mai 1981, à 20 heures, à l’issue du deuxième tour de l’élection présidentiel, lorsqu’apparaît le visage télématique de François Mitterrand. Pour nombre d’électeurs, il incarne le changement politique et la modernisation d’un pays corseté. Un socialiste accède à l’Elysée. Son élection signe une rupture avec la longue période monocolore de la Ve République. La France bascule t-elle à gauche ? Sensiblement, le pays a plutôt changé… d’électeurs. Tous ces peuples de gauche qui ont porté leur candidat au pouvoir disparaîtront dans la décennie 80. Ils sont remplacés par ce que l’INSEE appelle en 1982 les « classes moyennes ». Et de fait, le PS devient « le parti des classes moyennes » (enseignants, techniciens, professions libérales, une partie des artisans et des commerçants). Ce monde sociologique très divers et plutôt désuni se substitue au classique peuple de gauche des ouvriers et des employés administratifs.

Présent dans la foule de la place de la Bastille venue en masse place de la Bastille fêter cette élection, et le 21 mai, date officielle de l’entrée en fonction du président, le photographe Gérald Bloncourt a capturé quelques fragments de l’événement.

Les photographies changent de statut avec les années. Celles de Gérald Bloncourt n’échappent pas à cette métamorphose. Photographe social auprès de la presse militante (de L’Humanité à Témoignage chrétien), «  œil engagé  », il n’a eu de cesse de raconter la France industrielle des trente glorieuses, celle du progrès éternel, du chômage résiduel et des ascenseurs sociaux. Ses photos militantes des années 1960-70, (un fond de quelque 200 000 images désormais), petites soeurs de pavé d’un Willy Ronis, reflétaient les marges de cette grande et insoucieuse abondance, celles d’où surgissaient la colère sociale et le sourd grondement des usines et des petites entreprises, dans ses meetings et ses forêts de poings levés. Celles qui instruisaient sur la honte et la précarité sous toutes ces formes. Celles aussi qui magnifiaient les élans de solidarité, les éclats d’utopies et les grands mouvements de foule tournés vers l’espérance politique. Celles encore qui laissent voir de nouvelles luttes issues de mai 68, comme les revendications féministes, antimilitaristes ou antinucléaires.

©Gerald Bloncourt
©Gerald Bloncourt
Les photographies de Gérald Bloncourt racontent désormais la disparition de cette société-là. L’effondrement du Parti communiste français précédant la désintégration du bloc soviétique, la montée des classes moyennes, les délocalisations, l’obsolescence des industries traditionnelles, le chômage structurel, la chûte du mur de Berlin, le retour d’un libéralisme sans régulation, l’amorce de la mondialisation, mais aussi les nouvelles technologies auront eu raison de ce «  peuple de gauche  », ou plutôt d’une gauche d’Epinal.

La France des années 1980-1990 a rendu invisibles des fractions entières de la population –ouvriers, agriculteurs, employés- que l’on ne voyait pas raccord à la modernité, et cohérent avec le nouveau roman que se racontait l’époque. Adieu à la société industrielle et ses acteurs massifs, bienvenue dans la société «  post-moderne  » et fragmentée des individus. Non pas que la France n’aurait plus d’ouvriers et d’industries, ne connaîtrait plus de conflits sociaux, ni de tensions dans sa société, loin de là, mais les photographies de Gérald Bloncourt documentent désormais sur la façon dont un pays pouvait exprimer ses passions et ses tourments : un rêve de projets collectifs. Un rêve évanoui à jamais, ou bien un lourd sommeil politique ?

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