Influences (n. fem. pluriel)
  1. Fluide provenant des astres et agissant sur la destinée humaine.
  2. Action exercée sur quelqu’un.
  3. Action exercée sur quelque chose.

Les Influences

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Le député PS Manuel Valls prétend que pour renouer la gauche au monde de la culture, il faut liquider le « languisme ». Mais Jack Lang est-il bien mort ?

Publié le 26 mai 2009 par

Gérard Cambon pour L’Agence Idea
Gérard Cambon pour L’Agence Idea
Je note que dépasser le languisme n’est déjà pas une mince affaire, alors que serait-ce du post-languisme… Plus sérieusement, cette « petite phrase » me semble assez significative 1) du poids écrasant que continue de jouer la référence langienne dans le débat sur la politique culturelle en France, à gauche comme à droite 2) de la crise de ce modèle 3) de la difficulté à élaborer une « autre politique », là aussi quel que soit le bord politique dont on se réclame.
Je ne vais pas ici, en quelques lignes et peu de temps, analyser longuement ces trois points mais voici ce qui me vient d’emblée, renforcé par un petit texte à paraître cette année.

1) du poids de la référence à Lang

C’est un fait : quel que soit le mérite des successeurs de Lang, aucun n’a imprimé sa marque sur la politique culturelle comme l’avait fait l’ancien ministre de François Mitterrand. Dans l’imaginaire des Français – responsables politiques compris -, il y a eu deux grands ministres de la culture sous la Ve République : Malraux et Lang. Ce qui, soit dit en passant, n’a pas peu fait pour cantonner Jack Lang dans cet emploi – au sens théâtral du terme – d’éternel ministre de la culture, lui coupant les ailes pour d’autres envolées ministérielles (exception faite du ministère de l’éducation, mais à chaque fois pour jouer les pompiers de service après les incendies allumés par Lionel Jospin et – mais oui, on s’en souvient – Claude Allègre ; un ministère important, certes, mais qui n’est, du reste, pas si éloigné de la culture dans certaines de ses missions).

Lang, outre son talent et son énergie, a eu pour lui le temps et l’appui du président de la République, tout aussi avide de laisser sa marque sur la vie culturelle du pays. De ce point de vue, les ministres qui se sont succédés à partir de 1993 n’ont bénéficié d’aucun de ces atouts. Il a pu mettre en place une politique basée avant tout sur l’offre culturelle, la construction de grands équipements, le soutien aux artistes, à la création (sans pour autant abandonner le patrimoine, comme un discours tenace dans son ignorance tend encore à le faire accroire).

L’impératif de démocratisation n’était pas abandonné mais il passait par la multiplication des possibilités d’accéder à la culture voire de la pratiquer soi-même. C’est du hiatus – déjà patent dès la deuxième moitié des années Malraux – entre les moyens mis au service de ce projet et les résultats (la « non-disparition du non-public ») qu’est né une partie du constat de crise de l’Etat culturel.

2) de la crise de ce modèle culturel

Comme l’a écrit le critique de théâtre Jean-Pierre Léonardini, «  c’est avec des sentiments mêlés qu’on peut considérer ces années-là [1980-1990] dans le rétroviseur. Impression à la fois d’une respiration plus aisée dans les divers domaines de l’art en même temps que d’une habile instrumentalisation des artistes et des intellectuels  ».

On peut enrichir la vision : d’un côté, la France couverte d’un «  blanc manteau d’églises  » culturelles, le consensus autour de l’intervention de l’Etat dans le champ culturel, un ministère qui attire les meilleurs énarques ; de l’autre, les statistiques montrant le maintien d’une forte proportion de «  non-public  », une sortie de la culture du champ du débat public et la normalisation technocratique de ce qui fut une terre de mission. Mais, que l’on privilégie l’une ou l’autre de ces vues partielles, c’est souvent pour présenter l’époque présente sous le jour le plus noir : les nostalgiques de l’âge d’or gardent le «  souvenir d’une effervescence au regard de l’éteignoir actuel  » ; ceux qui n’y ont vu qu’un «  cauchemar  » ne sont pas surpris par l’actuelle situation, suite logique des «  deux décennies de reniements et de renoncements  » qui l’ont précédée. La plupart des analystes s’entendent sur le constat d’un épuisement du modèle français de la politique culturelle. Mais de quel modèle s’agit-il ? De la décentralisation en trompe-l’œil et du paradigme éducatif de la IVe République ? De l’action culturelle de Malraux ? Du développement culturel de Duhamel à Lang ? Il faudrait y voir clair. Il me semble que la crise actuelle est une crise à double foyer, une crise à la fois d’efficacité et de légitimité.
La crise d’efficacité, c’est celle qui questionne la capacité de l’Etat à remplir les missions qu’il s’est assigné. L’Etat a-t-il les moyens de ses ambitions ?

Le budget du ministère de la Culture s’est fixé durablement autour de 1% du budget total de l’Etat, soit un peu plus de 2,9 milliards d’euros dans le projet de loi de finance 2008. Les soixante-dix-huit établissements publics nationaux absorbent à eux seuls 40% du budget global du ministère, 50% si l’on décompte les crédits de personnel. Le legs des époques précédentes, en particulier des années Mitterrand-Lang, très bâtisseuses, s’avère lourd à supporter pour le ministère.

Au déséquilibre Paris / régions, dénoncées par ces dernières, s’ajoute la minceur des marges budgétaires, qui rend difficile le financement d’opérations nouvelles. A vrai dire, cette question déborde celle du poids des «  grands équipements  » ; c’est tout un système qui s’est ossifié, rigidifié à mesure que les subventions se transformaient en avantages acquis. L’action culturelle de l’Etat est menacée d’asphyxie financière.

Le problème du financement du régime spécial d’assurance chômage des intermittents du spectacle est une variante du même problème.
Présent dès le début des années 1990, il n’apparaît dans toute sa force qu’en 2003, quand les organisations syndicales et patronales négocient la réforme de l’indemnisation et qu’une partie du monde du spectacle, menacée d’exclusion du système, se révolte et empêche la tenue d’un certain nombre de manifestations, dont le festival d’Avignon.

Quelles sont les causes principales du caractère exagérément déficitaire du régime spécial ? D’une part, les abus des employeurs, notamment les sociétés de production audiovisuelle, et, dans une moindre mesure, de certains employés ; mais ces abus ne deviennent si voyants qu’en raison, d’autre part, de l’augmentation incontrôlable du nombre des ayants-droit. L’appel d’air provoqué par la professionnalisation des activités artistiques au cours des années 1980 et 1990 a rendu le système intenable. Là encore, la capacité de l’Etat à financer durablement un champ culturel en constante expansion s’est heurtée à la barrière budgétaire.

Le désarroi et la colère des milieux artistiques et culturels auraient peut-être été moindres si ne s’était en même temps imposé le sentiment d’un désengagement de l’Etat, en dépit du maintien à niveau à peu près constant du budget du ministère. La succession rapide des ministres, entre 1993 et aujourd’hui, y est sans doute pour quelque chose, qui s’est accompagnée d’une rétrogradation dans la hiérarchie gouvernementale et d’une chute de prestige. Après la longue flambée de l’expérience langienne, le ministère semble renouer avec la grise instabilité des années 1970. A cette différence près — de taille — que l’Etat dans son ensemble apparaît aujourd’hui menacé d’une perte de substance, rongé par le bas (l’essor des collectivités territoriales) et par le haut (le marché planétaire et les organisations supranationales).

Dans le domaine culturel, l’Etat ne compte plus que pour 25% dans le financement de la culture mais prétend encore imposer ses règles aux collectivités territoriales, ce qui suscite l’irritation des élus.
De leur côté, les artistes s’inquiètent de se retrouver en tête-à-tête avec des pouvoirs locaux soupçonnés de conservatisme esthétique ou de clientélisme électoral. Le recours croissant au mécénat, la cession de monuments historiques aux collectivités locales ou la location longue durée d’œuvres du patrimoine muséal alimentent encore les soupçons d’un désengagement.

Si cette crise d’efficacité, dont on pourrait encore citer d’autres manifestations — par exemple, le déclin du rayonnement de la France dans le monde — apparaît pour l’heure insurmontable, c’est qu’elle se double d’une crise de légitimité, c’est-à-dire d’une remise en cause des finalités de l’intervention de l’Etat dans le champ culturel. La principale d’entre elles, constamment réaffirmée depuis 1959 — et même avant — était l’égal accès de tous à la culture. Or, cette ambition s’est vue doublement contestée. Dans ses résultats, puisque les enquêtes sociologiques ont toutes démontré que la politique de l’offre culturelle n’avait pas amené vers la culture les populations qui en étaient exclues ; dans ses principes, puisque l’idée même d’une culture dont la qualité intrinsèque justifierait qu’on en favorise la diffusion est battue en brèche. D’un côté, on s’interroge sur l’utilité de dépenser autant d’argent pour si peu de résultats ; de l’autre, on se demande pourquoi il faudrait favoriser un contenu culturel plutôt qu’un autre.

3) de la difficulté à inventer une autre politique

Face à ce «  malaise dans la culture  », plusieurs solutions ont été avancées. Supprimer purement et simplement le ministère de la culture, comme l’y invitent au moins les titres de nombreux ouvrages, numéros de revue, émissions, colloques récents ; ou doubler la mise, relancer une grande politique culturelle d’Etat avec des moyens accrus pour tenir compte de la place grandissante de la culture au sens large dans les sociétés développées ? La plupart des analyses informées se situent dans un entre-deux et, pour répondre à la double crise d’efficacité et de légitimité, prêchent les vertus de l’humilité. Un Etat efficace serait un Etat qui se concentrerait ou se recentrerait sur ses «  missions fondamentales  » : le patrimoine, le soutien à la création, l’éducation culturelle, l’aide aux pratiques amateures et une politique audiovisuelle cohérente, selon le schéma proposé par Jacques Rigaud ; une démocratisation «  réelle  » par le recours à l’école et aux médias, le soutien à une création qui «  réponde aux attentes du public  », le développement des industries culturelles et l’adaptation à l’univers numérique, le tout devant pouvoir être mesuré à l’aide d’indicateurs de résultat selon les termes de la lettre de mission adressée par Nicolas Sarkozy à Christine Albanel. Particulièrement remarquable, dans ces textes comme dans des essais parus au même moment, est l’insistance sur l’éducation culturelle et artistique, sur la place des arts à l’école : comme s’il fallait tout reprendre par le début, revenir aux «  fondamentaux  » et que la coupure historique entre culture et éducation, de même qu’entre culture et médias, n’avait plus lieu d’être. Sauf que le plan des Arts à l’école initié par Lang et Tasca au tournant des années 2000 a été en grande partie démantelé. En l’occurrence, la politique actuelle me semble gouvernée par la volonté de couper au maximum dans les dépenses, de resserrer l’action de l’Etat, en France comme à l’étranger, autour de quelques grands opérateurs, de quelques grosses opérations, en coupant les crédits aux structures plus petites – qui pourtant sont souvent les plus innovantes. Remarquons le peu de réactions à l’annonce de la réduction de ces budgets (moins 20% pour les DRAC cette année, par exemple, la fermeture programmée de nombreux centres culturels à l’étranger, etc.). On est de fait entré dans le post-languisme, en ce sens que le débat sur la culture et la politique publique de la culture n’intéressent plus grand monde aujourd’hui, sauf sur quelques aspects tels que la loi Hadopi. L’empoignade au sujet de cette loi au sein même du PS et entre le PS et les artistes (certains d’entre eux, tout au moins) est effectivement le signe que quelque chose qui s’était mis en place à la fin des années 1970 est en train de se défaire sous nos yeux sous la pression des innovations technologiques. Mais je ne m’aventurerai pas, pour ma part, à prévoir la suite de l’histoire…

… ou alors une autre fois?

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