Influences (n. fem. pluriel)
  1. Fluide provenant des astres et agissant sur la destinée humaine.
  2. Action exercée sur quelqu’un.
  3. Action exercée sur quelque chose.

Les Influences

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#Artus Films Editeur #Chacun pour soi #Giorgio Capitani

Splendeur et lyrisme d’un western barré

Publié le 26 juin 2012 par

Un faux spaghetti et vrai western injustement oublié de 1967 : Chacun pour soi, jusqu’à l’os, jusqu’à la folie et la mort, et surtout jusqu’au bout du genre

chacun1.jpg La fièvre de l’or a inspiré beaucoup de films. De La Ruée vers l’or de Chaplin à La Fièvre de l’or de Charlton Heston… Le plus célèbre (enrobant totalement le sujet) reste, à juste titre, ce chef-d’œuvre de John Huston, Le Trésor de la Sierra Madre, auquel on peut penser en voyant Chacun pour soi. Bogart et Walter Huston, c’était déjà chacun pour soi, avec une dose d’humour grinçant, absent ici. Qu’a de si particulier, cette poussière où brillent les pépites, pour faire perdre la boule aux plus coriaces ? Rien qui ne soit déjà en chacun. Injustement méconnu, Chacun pour soi est un western italien, atypique, au lyrisme âpre et baroque, qui a été tourné en Andalousie dans le désert de Tabernas près d’Almeria en 1967. Rocaille et sécheresse de paysages magnifiques, où furent tournés plus de 200 westerns italiens.

chacun2.jpg Le film est plus proche du western américain (il peut même faire penser à Sam Peckinpah) que des outrances ou de l’emphase auxquelles les westerns italiens nous ont habitués. Rien, ici, de l’humour cynique, à froid… caractérisant certains héros, ou antihéros, solitaires et taciturnes, au lourd passé, secret. Chacun pour soi se démarque, avant tout, par ses personnages, trouvant place, les uns par rapport aux autres, dans un cercle infernal orchestré avec une précision démoniaque.

L’or n’est finalement qu’un prétexte, révélateur. Il est moins question d’or ici, que d’hommes.

L’or est son Moby Dick

chacun3.jpg Sam Cooper (Van Heflin), un prospecteur, a mis la main sur une mine. Il a dû éliminer son acolyte qui voulait le supprimer, quand ils ont trouvé l’or recherché. On dit que l’or rend fou ! Est-ce l’or qui rend cupide, ou certains ont-ils des dispositions plus prononcées. On optera pour la dernière hypothèse. Il y a la race des salopards. Il y a les plus humains, pour qui l’or ou l’argent n’est pas tout. Cooper n’avait pas projeté le coup pendable qu’on lui a fait. Personnage chargé de noirceur, moins que certains voudraient le faire paraître, Cooper est de loin le personnage le plus humain, dans cette histoire. Il a une amie, fort jolie, au début, que l’on voit très peu, Anna (Sarah Ross, aussi sexy qu’émouvante de sobriété), mais mener une vie tranquille, avec elle, n’intéresse pas Cooper. L’or, ça doit être son Moby Dick. Anna, par ailleurs, ne croit pas à l’existence de cet or dont Cooper lui rebat les oreilles. Les scènes au début du film, dans la chambre d’hôtel (Anna, en déshabillé, enfilant ses bas, vue à l’envers par Cooper, depuis le lit où il est allongé) et ensuite à une table du saloon, seront les seuls moments du film où paraîtra un visage de femme. Comme si les auteurs voulaient laisser le spectateur sur ce souvenir, existant d’autant plus avec l’absence. Aucun sentiment ne transparaît. La suite du film, c’est une affaire d’hommes. Entre hommes. Avec ce que ça signifie. Et là, ça se corse.

C’est une chose de trouver de l’or. Il faut le ramener. C’est lourd. Et ça s’éveille les convoitises, dans le paysage. Les rapaces ne sont pas toujours les oiseaux.

Un carré d’as d’enfer

chacun4.jpg Cooper demande à Manolo, un garçon dont il s’est occupé comme d’un fils, bellâtre un peu grande gueule (George Hilton), de l’accompagner. Rapplique un faux prêtre, un patibulaire au regard bleu acier, à la discrétion sournoise, qu’il ne faut pas trop chatouiller. Il a la susceptibilité aiguisée. On l’appelle Le Blond. C’est Klaus Kinski, bien sûr. Une de ses très belles compositions. Il tient Manolo sous son emprise. Évidemment Cooper ne l’entend pas de cette oreille, quand il voit ce couple. Traquenard déjoué. Anna avait dit à Cooper que Manolo ne lui inspirait aucune confiance. Peut-être Cooper a-t-il entendu, malgré lui, sa compagne. «  Quatre c’est mieux que trois  » dit-il à Manolo et au Blond, quand ils découvrent le quatrième homme du convoi. Le quatrième, c’est Mason. Le mexicain Gilbert Roland, magnifique, la soixantaine dépassée lorsqu’il tourne le film. Le plus séducteur de tous. Il se rase chaque jour, en prenant son temps. Fine moustache noire, droite. Le film instaure un itinéraire géographique (ruines d’un monastère brûlé où il ne faut plus espérer trouver une goutte d’eau) que Cooper avait déjà fait, étroit sentier escarpé longeant un précipice par lequel passera et repassera l’équipée, rappelant, inévitablement, celui qui surplombe la falaise du Jardin du Diable d’Henry Hathaway.
Le périple comporte ses incidents de parcours. Pour commencer, le Blond, contraint de descendre chercher au fond du ravin des vivres dégringolés par sa faute, et que le vieux Mexicain moustachu veut laisser au fond du trou, le trouvant très bien où il est. Il remonte grâce à Manolo. Les tensions montent d’un cran. On se doute qu’un passé trouble lie aussi Mason à Cooper, mais on peut encore faire avec, la fin, superbe, le montrera. La mort de Mason est du grand cinéma d’acteurs. Entre des moments plus lumineux (scène de la pluie, où les quatre hommes rient), le film met en œuvre un fil rouge aux fortes connotations homosexuelles, évidentes… là en permanence.
Chacun pour soi… mais chacun dépend de l’autre.

Cercles de l’enfer. Les deux jeunes complotent contre les deux vieux. Le plus vieux, Mason, souffre de paludisme (mal’aria en italien, et dans la version anglaise).
Sans vouloir tout dévoiler, la première fulgurance de la danse de mort, où Cooper (Van Heflin) descend Manolo (George Hilton) qui allait tirer sur Mason (Gilbert Roland) venant de tuer le Blond (Klaus Kinski) à poings nus, redoublés, est hallucinante.

+ 2…

chacun5.jpg On croyait que c’était fini. Rien du tout ! Chaque personnage a ses cartes cachées. Coup de fouet en retour, alors que Cooper (qui ressemble de plus en plus à un trappeur) et Mason reviennent, avec l’or, les rapaces envoyés par Mason surgissent à flanc de montagne… Rick Boyd, killer de service du western transalpin, est l’un des deux rapaces à mèche blonde. Les oiseaux ont fière allure. Fatum de Mason.
Chez les kids killers la vie de l’autre est aussi le détonateur… Je parlais de fil rouge, on devrait dire les fils rouges, tant ça se répercute chez tous les personnages, ces retombées homosexuelles touchent chaque personnage. Ce qui surprend le plus avec un scénario aussi tordu, aussi bien huilé, dont des détails échappent à la première vision, c’est la fluidité du film. Fluidité du récit, et de la mise en scène. Magistrale.

Musique de Carlo Rustichelli aux mouvements amples, légèrement arabisante (entre péplum et Hadji Baba…) inhabituelle au western italien. Rustichelli est souvent génial.
Le scénario est dû à Fernando Di Leo qui n’avait pas encore réalisé les quelques chefs-d’œuvre qu’on lui connaît. Quand il réalise Chacun pour soi, Giorgio Capitani n’a guère réalisé qu’un péplum, et surtout cosigné avec Rudolf Jugert Le Livre de San Michele (1962) d’après Axel Munthe, film produit par Artur Brauner, avec O.W. Fischer et Rosanna Schiaffino en tête d’affiche.

J’avais découvert Chacun pour soi par hasard au Splendid-Gaîté, un des temples du western italien, dans une impasse près de la rue de la Gaîté, à Paris, au début des années 1970. Le film a disparu de la circulation, avec l’extinction des genres, et des cinémas de quartier. Jean-Pierre Dionnet l’a présenté il y a une vingtaine d’années dans son cinéma de quartier sur canal +. Et le film est retourné au néant.
Saluons l’initiative d’Artus Films d’exhumer ce petit joyau, en dvd. Disons-le, Chacun pour soi est un pur chef-d’œuvre.

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Un commentaire sur “Splendeur et lyrisme d’un western barré

  1. Dialogue 1948 /1968
    Il y a une référence presque explicite au TRESOR DE LA SIERRA MADRE dans le scénario de Di Leo et la mise en scène de Capitani qui se situe un peu après le générique d’ouverture du film : la rencontre de Van Heflin avec des bandits venus lui dérober ce qu’il a réussi à ramener, qui se reflètent dans l’eau tout comme ils se reflétaient dans l’eau chez Huston. Mais grande différence avec l’original : on ne voit pas leurs visages et on les connaît – ni connaîtra – pas davantage.

    Une seconde référence est structurelle : la figure circulaire. Dans LE TRESOR DE LA SIERRA MADRE, Walter Huston connaissait déjà l’endroit où il acceptait de retourner avec Humphrey Bogart et Tim Holt; de même dans CHACUN POUR SOI Van Heflin retourne à un lieu connu de lui seul, en compagnie des trois autres.

    Eternel retour du désir, de la pulsion, de la volonté qui s’abolit par la représentation de son inutilité : la séquence dans laquelle les quatre hommes du Capitani rient au retour de l’eau prolonge les rires finaux du Huston, font écho aux rires finaux des Sam Peckinpah. Rire signifiant la vanité des efforts humains face à la nature, au destin, à la volonté universelle qu’elle exprime.

    Expression esthétique qui permet de s’en détacher pour la représenter, désamorcée et abolie. Cette philosophie immanente aux deux films qui est bien celle d’un Schopenhauer, est patente : chez Huston, les deux survivants sont les deux qui renoncent au désir après lui avoir presque tout sacrifié; chez Capitani et Di Leo, aucun survivant, chacun était effectivement pour soi mais tous perdent tout, ne gagnent que la mort et le néant apaisant.

    Les grandes modifications me semblent provenir, en revanche, de l’esthétique (1948 : écran standard N.&B. 1.37 – 1968 : écran large scope-couleurs 2.35 + musique baroque en 1968, simplement classiquement commentatrice en 1948) et du personnage de Kinski qui introduit un suspense per se, constant, ouvrant sur l’infini du possible, sur le fantastique par sa seule présence. Plan génial où Kinski, après la fusillade du monastère, ferme à demi les yeux, toujours en éveil derrière son revolver, repris pour le menu.

    La femme était aperçue dans le Huston, par Bogart au détour d’une rue alors qu’il sortait de chez le coiffeur. Sa séduction était brève mais réelle. Dans le Capitani, c’est une femme « hestia », plus connue, mûre, douce, reposante, ouvrant au possible du foyer. La vigueur du renoncement viril à cette possibilité en est renforcé, le personnage de Heflin en est rehaussé presque au mythe.

    Contrairement au commentaire du présentateur – qui aime le cinéma-bis et le connaît bien – et au verso de la jaquette, il me semble que rien ne prouve qu’il y ait la moindre relation homosexuelle entre les personnages joués par Hilton et Kinski. IL y a une relation qui pourrait avoir été une relation criminelle passée impliquant une impossibilité de négliger, pour l’un, la volonté de l’autre, à tout jamais. Quien sabe ? En revanche, comme Mathis le souligne bien, c’est tout CHACUN POUR SOI qui repose sur un paradigme homosexuel, y compris les deux tueurs Brady. Ce n’était pas vraiment le cas du Huston où la femme du quatrième homme apparaissait à travers ses lettres, et suffisamment pour que Holt en tombe amoureux, suive le conseil de Walter et décide d’aller lui raconter leur histoire, peut-être davantage si affinités. Dans ce Capitani – Di Leo, personne n’aura plus jamais de femmes, ni d’ailleurs plus jamais quoi que ce soit. Il n’est pas si fréquent qu’un film se termine par la mort universelle de l’ensemble de ses personnages principaux : c’est le cas ici. Ce n’était pas du tout le cas du Huston.

    Copie chimique splendide, suppléments riches en documents de première main servant l’histoire du cinéma : l’exemple de ce qu’il faut faire.

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