Influences (n. fem. pluriel)
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  2. Action exercée sur quelqu’un.
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#Genpin #Naomi Kawase

Le cinéma de Naomi Kawase : la question de “qui l’on naît”

Publié le 9 novembre 2012 par

Avec son nouveau film, Genpin, Naomi Kawase confirme qu’elle est l’une des figures les plus visibles du cinéma japonais contemporain

bioduneidee_250.gif Si les grands documentaristes n’hésitent jamais à laisser la fiction s’engouffrer dans leurs films, certains réalisateurs de fiction ne font pas non plus mystère de leur approche documentaire. Cela ne saurait plus surprendre personne, même sans se référer à la vieille – mais pas nécessairement dépassée – conception du cinéma comme fenêtre ouverte sur le monde.
Naomi Kawase, mieux que personne puisque œuvrant tour à tour officiellement dans les deux catégories, apporte à chaque film la démonstration implacable de l’artificialité de cette frontière.
Genpin appartient donc à la famille «  documentaire  » (mot que la réalisatrice, il y a dix ans, avouait dans l’un de ses films ne pas aimer) mais nombre de ses personnages ne dépareillerait nullement dans une fiction. A commencer par le Docteur Yoshimura qui dirige une maternité située au cœur d’une forêt et qui prône l’accouchement naturel. Les femmes qui s’y rendent sont invitées à multiplier les exercices physiques et notamment… la coupe de bois. Les séquences où on les voit lever bien haut la hache au-dessus de leur tête (et de leur gros ventre) sont des moments assez étonnants, presque drôles. Elles ont une vraie présence à l’écran, et ne sont jamais réduites à une simple matière figurative pour illustrer un sujet traité. Elles dévoilent une partie de leur personnalité et de leur biographie, et laissent parfois échapper un sentiment, souvent la joie, parfois une blessure. Mais comme dans toute bonne fiction, un rebondissement, un retournement, voire un petit miracle, ne manquent pas de surgir à un moment où on ne les attend pas.

genpin1.jpg Naomi Kawase, née en 1969, n’appartient pas aux anciennes générations de documentaristes qui ne montraient le monde qu’à travers le seul prisme du politique. Pour elle, le monde se découvre et se questionne d’abord à partir de soi. D’où une bonne partie de son œuvre constituée d’une matière fortement autobiographique, notamment sur la recherche d’un père qu’elle n’a pas connu qui fera l’objet de plusieurs films, formellement très libres et très disparates, au point de ressembler, dans certaines séquences, à de pures oeuvres abstraites ou expérimentales.
S’il fallait à tout prix sacrifier à l’habitude de la classification, la moins pire serait de distinguer les films dont la vocation est d’être projetée dans une salle de cinéma traditionnelle, et ceux qui auraient plus leur place dans une galerie ou un musée d’art moderne. Toutefois, même ainsi, on trouverait souvent des passerelles évidentes : son habitude de filmer la nature, le ciel, les arbres, l’action du vent dans les branches, et la manière d’affirmer sa présence à l’intérieur du film, parfois uniquement à travers le son.

Dans tous les cas, elle ne délivre aucun message, heureuse conséquence de cette dépolitisation généralisée, encore qu’il faille préciser que même les (bons) cinéastes qui s’inscrivent toujours sur le terrain politique s’en abstiennent tout autant.
Lors de la sortie de son précédent film, Hanezu, l’esprit des montages, Naomi Kawase déclarait : «  Aujourd’hui, bercés par l’illusion qu’ils peuvent tout faire, les hommes ont détruit la nature, ils ont échoué dans le projet de vivre avec elle. Je pense que la souffrance des gens dans les sociétés modernes est liée à notre incapacité à admettre que nous sommes un élément de la nature parmi d’autres.  » Si l’on peut deviner ce qui a poussé la cinéaste à réaliser Genpin, elle se garde pourtant de dicter au spectateur ce qu’il doit penser du Dr Yoshimura, et pas seulement parce que ce serait un «  film de salle  » : vieux sage ou personnage un peu illuminé ?

genpin2.jpg Comme beaucoup de films de Naomi Kawase, celui-ci, à travers les visages souvent filmés en gros plans, ne parle que des sujets éternels et essentiels : qui l’on est mais surtout d’où l’on vient (et le nombre d’accouchements dans les films de Kawase montre que la question est à envisager également dans son sens le plus littéral), la vie, la mort. Si la caméra filme plutôt des femmes toujours confiantes, souvent heureuses, le spectateur ne peut pas ne pas se poser la question sur l’efficacité de la méthode. Accouche-t-on mieux dans cette clinique que partout ailleurs ? Le nombre de complications y est-il plus ou moins élevé ? Par ailleurs, l’on comprend bien que la clinique n’est pas un lieu d’autogestion mais qu’elle est dirigée par un patron, par ailleurs père contesté, sa progéniture lui reprochant de s’être plus occupé de ses patientes que de ses propres enfants. Accès de jalousie de sa fille, certes, mais peut-être également insuffisance de dialogue et d’attention du père ?

Genpin donne à penser autant qu’à voir, ce qui est toujours bon signe, l’un ne devant pas aller sans l’autre. La cinéaste ne joue jamais l’intruse mais ne feint pas non plus de filmer d’un au-delà étranger au monde qu’elle dévoile. Si sa place se trouve derrière la caméra, elle n’en partage pas moins un espace-temps commun avec ceux et celles qu’elle filme. Trouver la bonne distance vis à vis de ceux-ci, qu’ils soient considérés comme des «  vrais gens  » ou des acteurs, est évidemment une question essentielle qui trouve d’ailleurs sa place à l’intérieur- même de ce beau film.

Naomi Kawase est, avec Takeshi Kitano et Kiyoshi Kurosawa, probablement l’une des figures les plus visibles du cinéma japonais contemporain.
A ce titre, elle est très présente dans de nombreux festivals où elle a remporté de nombreuses récompenses, de Cannes à San Sebastien en passant par Locarno et Copenhague. Après le Musée du Jeu de Paume en 2002, la Cinémathèque Française achève actuellement une nouvelle rétrospective de ses œuvres : il ne reste donc plus que quelques jours aux spectateurs parisiens pour aller découvrir ses films précédents.

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2 commentaires sur “Le cinéma de Naomi Kawase : la question de “qui l’on naît”

    1. Le cinéma de Naomi Kawase : la question de “qui l’on naît”
      « Pire » étant lui-même un comparatif, on évitera de lui ajouter le signe du comparatif. « Plus pire », « moins pire » seraient aussi fautifs que « plus meilleur », « moins meilleur ».

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