Influences (n. fem. pluriel)
  1. Fluide provenant des astres et agissant sur la destinée humaine.
  2. Action exercée sur quelqu’un.
  3. Action exercée sur quelque chose.

Les Influences

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Jean Rouch et Henri Langlois, des mensonges plus vrais que la réalité

Publié le 12 janvier 2013 par

Un DVD passionnant de Jacques Richard remet en lumière deux figures du cinéma français comme on célébrerait deux grands artistes de cirque

Tags : Jean Rouch, Henri Langlois, Cinémathèque, Edgar Morin, Régis Debray

La sortie d’un DVD, Des mensonges plus vrais que la réalité, signé
Jacques Richard, est dédié au cinéaste ethnographe de l’Afrique. Mais il donne aussi l’occasion de rappeler le documentaire-fleuve du même documentariste, dédié à Jean Rouch et Henri Langlois, le patron poète de la Cinémathèque. Quand l’amour du cinéma appartenait à des artistes de cirque.
D’un accès facile, Jean Rouch est un homme que l’on voyait beaucoup à la Cinémathèque du temps d’Henri Langlois, pendant les années 1960. Il venait présenter ses films, parfois accompagné de Jean Renoir. À l’heure de l’utopie générale pour le cinéma gratuit, épanchée par le mouvement de mai 1968, on a vu Jean Rouch à la Sorbonne, venu montrer Chronique d’un été, qui était devenu invisible, film réalisé avec Edgar Morin, dans lequel figurait aussi l’étudiant
romantique Régis Debray, alors prisonnier en Bolivie, condamné à trente ans d’emprisonnement. Rouch affichait, face au cas semblant désespéré de Debray, lors du débat qui suivit, un optimisme irréel, comme s’il allait revoir l’ancien personnage de son film très bientôt. Son optimisme lui a donné raison.
C’est la même façon d’aimer raconter les histoires, la même intonation chaleureuse que l’on retrouve dans le film de Jacques Richard. Dans la collection, au titre célinien, D’un cinéma l’autre, vient de sortir, aux éditions de L’Harmattan, ce que l’on peut voir comme un complément au Fantôme d’Henri Langlois, film fleuve de Jacques Richard (trois heures et demie) consacré, en 2003, au fondateur de la cinémathèque.
Des mensonges plus vrais que la réalité est un double portrait, celui de Jean Rouch, dressant lui-même le portrait de la Cinémathèque (entendre Henri Langlois et Mary Meerson). Le document se compose de deux entretiens, réalisés en 1997, et 2003 peu avant la mort du cinéaste sur une route au Niger, le 18 février 2004, à 86 ans.

Est-ce que c’est vrai ?

La partie filmée en 1997 commence au musée de l’Homme, dans la première salle de cinéma créée dans un musée, au Palais de Chaillot, inauguré en 1937 entre faucille, marteau et croix gammée pendant l’Exposition universelle, palais de Chaillot dont l’architecture ostentatoire terrifiait Mary Meerson, au point de prétendre qu’il ne pouvait que porter malheur. Jean Rouch évoque la création du comité du Film Ethnographique que parrainait Henri Langlois, tandis qu’André Breton, chaussures à lacets rouges, entouré par les femmes les plus belles du monde, faisait des lectures au Théâtre des Champs-Élysées. Après un passage photographique par la rue d’Ulm, la suite de l’entretien se déroule en 2003, rue de Courcelles, sur les lieux habités par l’absence d’amis chers, à laquelle renvoient les regards et la voix émus de Jean Rouch. Le passé est présent sur les lieux, vides… face aux souvenirs.
Festival du Film Maudit, organisé par Henri Langlois, en 1949, à Biarritz, où le cinéaste rencontre Pierre Braunberger, directeur du Cinéma du Panthéon où sortiront régulièrement les films de Jean Rouch. Enfant du pourquoi pas, la première question qui taraude Jean Rouch en découvrant le cinéma est : « Est-ce que c’est vrai ? »

Le cinéma raconte toujours des mensonges mais ces mensonges sont plus vrais que la réalité,lui répond son père. Le père du cinéma-vérité, «  une belle connerie  » dit-il en riant, appelé ainsi par provocation, fait vivre la cinémathèque, un lieu irremplaçable, «  un musée des souvenirs et dans souvenir il y a avenir  » à travers son fondateur, les catastrophes et les miracles, l’imprévu de chaque jour, avidité extraordinaire et mépris profond de l’argent, «  le vent de l’éventuel  », un théâtre du quotidien, avec Mary Meerson, garde-fou, «  merveilleuse actrice de l’impromptu  », une reine de
Saba, vivant dans l’extravagance. «  Jeu d’impostures merveilleuses. Le cinéma est prétexte à la féérie permanente.  »

Rêveurs de l’extravagance, «  docteurs en paradoxie  »

L’amour du désordre ordonné chez Henri Langlois, désordre soigneusement mis en scène, comment monter les histoires par la fin, Jean Rouch fait revivre par les mots la malice avec laquelle Langlois présentait souvent les films, sans tout dire, restant en deçà de la chose dite, cultivant l’équivoque, sans jamais souligner les choses… quitte à dérouter certains (on peut le revoir lors d’une scène amusante qu’a mise Richard dans Le Fantôme d’Henri Langlois). Ultime cinéaste franc-tireur des dernières décennies, Jacques Richard est autant dans son élément comme documentariste qu’avec la fiction. On lui doit une série de portraits divers, dont le premier était celui de Vince Taylor (Docteur Rock et Mister Roll), entre fiction et réel du meilleur aloi. Le rocker apparaissait dans Rebelote, chef-d’oeuvre de Richard, tourné à la manière du cinéma muet, trente ans avant The Artist.
Jean Rouch est l’unique personne qui apparaît physiquement dans Des mensonges plus vrais que la réalité. De Jacques Richard on entend seule la voix, intermittente. Espace occupé entièrement par la parole, le visage, les gestes, les mots de Jean Rouch.
Jean Rouch n’a pas eu le temps de réaliser les films à l’état de projet dont il parle, toujours avec le même parler imagé. Langlois était persuadé qu’une fondation aurait sauvé la Cinémathèque, en la mettant à l’abri de l’État.
Jean Rouch a des images percutantes, voit une amazone au centre d’un spectacle continuel improvisé, alors que Langlois, entre projections de films et école de cinéma, fait vivre la cinémathèque comme un directeur de cirque, un clown qui se ramasserait et ferait du trapèze volant l’instant qui suit.
Inguérissables rêveurs, entourés par les agents du culte, prêtres d’une religion qui n’existait pas.
Langlois, lui, disait volontiers s’occuper de la Cinémathèque comme un «  chef d’orchestre de musique de jazz  »… avec ces minutes d’improvisation. Toute une époque révolue.
Le mot de la fin, question que Jean Rouch pose à Jacques Richard : «  Est-ce que la Nouvelle vague a fait des petits-enfants ?  »

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