Influences (n. fem. pluriel)
  1. Fluide provenant des astres et agissant sur la destinée humaine.
  2. Action exercée sur quelqu’un.
  3. Action exercée sur quelque chose.

Les Influences

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#David Cameron #Europe #Souveraineté

David Cameron, what else ?

Publié le 24 janvier 2013 par

Du courage en politique : pourquoi son remarquable discours du 23 janvier a éclipsé les bavardages convenus du couple germano-français

salazar-3.jpg Si je parodie la fameuse réclame pour le Nespresso c’est que le premier ministre britannique, comme le Nespresso face à ses ersatz, a percolé hier le genre de discours qu’aucun leader en Europe n’est capable de faire, ces leaders qui débitent resucées sur resucées. J’ai écouté avec délice ce long discours donné, avec aisance, devant le Tout-Londres de la finance, au siège du géant de l’information économique et boursière, Bloomberg.

Vous aurez noté le lieu : Bloomberg. Là où les données dures des marchés sont analysées, où l’intelligence économique lubrifie et alimente les rouages réels de la politique. David Cameron a choisi de s’adresser à ses compatriotes et à l’Europe depuis le lieu du réel. Et de ce lieu du réel, où les chiffres parlent, il a parlé avec une éloquence dont, hélas, à lire les réactions en France, on comprend mal les ressorts et la dynamique. «  Non à l’Europe à la carte  » a été la réaction basique.
Tout le monde se souvient de la sortie du Général : “Bien entendu, on peut sauter sur sa chaise comme un cabri en disant l’Europe ! l’Europe ! l’Europe !… mais cela n’aboutit à rien et cela ne signifie rien  ».
Le Général, et c’est moins cité, avait fait précédé sa fameuse phrase de cet avertissement: «  On ne fait pas de politique autrement que sur des réalités  ». Les réactions de la classe politique européenne et en particulier française, répétant comme des chèvres saisies de tic nerveux «  pas d’Europe à la carte, à la carte, à la carte  » sont du même calibre. David Cameron fait de la politique sur des réalités, et prend «  les choses comme elles sont  » (derechef, le Général). Il est piquant que s’il faut, de nos jours, trouver une version gaullienne de la politique c’est chez David Cameron qu’on ira la trouver. Son remarquable discours du 23 janvier a éclipsé les bavardages convenus du couple germano-français.
Le discours de Cameron a recours à une technologie rhétorique dont je voudrais noter les principales articulations. Et dans «  rhétorique  » je n’entends pas le péjoratif mais au contraire la capacité exacte de produire pour tout argument donné le meilleur agencement – le problème étant que de culture politique à culture politique les mêmes mécanismes ne sont pas en jeu et que, de France, nous projetons sur la parole politique anglaise des schémas qui sont les nôtres et ne sont pas les leurs. D’où les railleries stupides sur «  ah les Anglais  » qui fleurissent sur les blogs et, aussi, aux Guignols de l’Info la caricature complètement à côté de la plaque de Barack Obama. Et nous oublions aussi que tout discours bien conçu cible un auditoire particulier sur quoi il entend produire un effet : ici, le monde anglo-saxon de la finance et de l’économie, détenteur «  des choses comme elles sont  » ; et, au delà, trois auditoires : les décideurs européens, les alliés américains et, à travers la mention répétée de l’Inde, le Commonwealth. Quant aux Britanniques eux-mêmes, je doute qu’ils fussent collés à leur télé à l’heure du petit déjeuner : à leur intention l’équipe de Cameron a construit une section à part, la dernière, qui peut se lire comme un texte détachable, et donne ainsi aux médias d’Outre-Manche une grille ready made de citations

Quand un homme politique parle du passé il doit faire deux opérations, d’une part évoquer des valeurs et d’autre part évoquer des responsabilités

Je passe à l’analyse.
Le discours débute sur une esquisse du passé de l’Europe. Le corps du discours (deux sections en deux sous-sections chacune) s’adresse au présent et au futur. Je m’empresse de souligner que le discours est d’une parfaite fluidité, sans absurdes alinéas et autres typographies infantiles – seule l’analyse rhétorique en excise l’ossature.
On va me dire : banal. Je réplique, oui, mais efficace car cette triple ligne correspond exactement aux trois régimes de la persuasion en politique : quand un homme politique parle du passé il doit faire deux opérations, d’une part évoquer des valeurs (tirer les leçons du passé) et d’autre part évoquer des responsabilités (thème habituel : nous en sommes ici aujourd’hui à cause de cela dans le passé).Quand il parle du présent, il essaie de faire le point en expert ou en praticien et, comme on dit, d’ «  élever le débat  ». Mais alors il embraie sur le futur et propose donc deux choses : un projet qui respecte les valeurs du passé chères à son groupe-cible (afin de créer un sens de continuité historique) et une vision qui met en scène comment le groupe-cible (les électeurs) vont eux-mêmes être les agents du passage à l’acte – à savoir l’actualisation des proposions abstraites.

Que fait Cameron ? Il évoque d’emblée la Deuxième Guerre Mondiale. Mais, pour un Britannique, cette évocation n’est pas comme parmi nous celle de la Défaite, de la Collaboration et de la Résistance. Elle est l’évocation de la Bataille d’Angleterre, quand la Royal Air Force cassa les ailes de la Luftwaffe et fit que, des puissances alliées d’Europe, le Royaume-Uni fut et reste celle qui ne fut jamais envahie. La clef mentale et rhétorique de cet argument, car c’en est un, est de parler de la souveraineté : jamais le Royaume-Uni, contrairement à la France, n’a abdiqué sa souveraineté et son indépendance. Cameron use d’une expression codée mais donc inaudible aux Européens du continent : pour décrire l’ampleur territoriale de l’Union européenne au lieu de dire, comme nous l’aurions fait «  de Brest à la mer Egée  », il parle des «  Western Approaches  ». Reconnaissez-vous les «  atterrages occidentaux ?  ». Sûrement pas. Western Approaches est une expression de la guerre navale, les premières défenses à l’ouest. Donc, ne pas s’étonner que Cameron conclut cette première section sur une double mention de l’UE et de l’OTAN.

Imperceptiblement il a mis en place deux thèmes centraux : la paix est garantie par la souveraineté, et en matière de souveraineté le Royaume-Uni est un spécialiste. Pour un auditoire britannique la captation d’intérêt, comme on dit, est totale. A nous de faire un effort d’adaptation si nous voulons porter la contradiction de manière efficace. «  A la carte, à la carte  » n’y suffira pas.
L’articulation entre cette mise en scène dramatique du passé et le corps du discours (l’état au présent, et puis le scénario du futur) est un court passage sur la transformation de la paix politique (par l’affirmation de la souveraineté) en paix économique rebaptisée en prospérité. L’articulation est elle-même soutenue d’une opposition entre passé et présent, entre comment l’Europe ayant résolu ses inimitiés intérieures (et donc assuré la paix) va devoir désormais (pour assurer la prospérité) résoudre les inimitiés extérieures, présentées évidemment dans le langage anti-clausewitzien du «  challenge global  ». L’armature est parfaite. La conclusion implicite (mais inaudible aux dévots de la réconciliation germano-française) est que, de même que l’Angleterre a pu donner l’exemple de l’indépendance et de la souveraineté durant la guerre, elle peut de nouveau montrer la bonne voie, cette fois-ci pour la prospérité européenne. Présentement l’Angleterre peut tendre à l’Europe en quête de paix économique la même planche de salut qu’elle offrit en 1940 aux alliés défaits. Je vous le disais, discours inaudible ici. Mais très puissant, là-bas.

L’ attachement de ses compatriotes à leur indépendance n’est pas une réaction frileuse de retrait mais au contraire est fondé sur leur openness, leur ouverture traditionnelle sur le monde

La deuxième section est donc une argumentation de type éthique. Cameron décrit l’esprit britannique, le substrat éthique essentiel à l’action politique vue depuis l’autre côté du Channel, à savoir : comment l’attachement de ses compatriotes à leur indépendance n’est pas une réaction frileuse de retrait mais au contraire est fondé sur leur openness, leur ouverture traditionnelle sur le monde : pays maritime, empire commercial jadis, Commonwealth depuis, pays multiculturel. La manière dont le Royaume-Uni transacte avec le monde extérieur offre donc un modèle pour une Europe affrontée à la mondialisation. Alors qu’en France, l’ouverture culturelle et marchande au monde est souvent perçue comme une perte d’identité, ou artificiellement fabriquée par un montage de politiques étatiques, (d’où notre fameuse «  intégration  » qui est aux antipodes de l’openness), au contraire la psychologie et l’éthique britannique ne voit pas de tension entre ouverture et souveraineté. Au contraire.
Cameron se permet donc d’énoncer le principe même d’une politique nationale à la fois réaliste et de principe, gaullienne bref : l’Europe est un moyen de la paix et de la prospérité, et pas non pas une fin en soi. Son argument vise à suggérer que faire de l’Europe telle qu’elle est à présent une fin en soi c’est risquer la prospérité et, même, la paix.
A ce point de son argumentation Cameron aura donc établi les données historiques et éthiques de l’exception britannique non pas comme exception à respecter mais comme modèle à suivre.

Il en vient donc à la définition des trois obstacles à la prospérité, chacun d’entre eux illustrant un principe étranger à la mentalité et à la tradition britannique et, vu l’état de l’Europe, sujet à révision : qu’est-ce que la monnaie ? qu’est-ce que le commerce ou l’industrie ? qu’est-ce qu’une nation ? Dit autrement : la richesse monétaire, la richesse réelle, la richesse humaine. Il appelle cela, «  les trois questions de fond  ». Son diagnostic ? La livre sterling, une concurrence et une place financière, une nation sûre d’elle-même. Bref traduire au niveau de l’Europe ce qu’est, ses yeux, l’essence même de l’exception britannique.

La construction rhétorique consiste à proposer effectivement un autre modèle, non point une «  Europe à la carte  », expression d’une grande stupidité, mais une nouvelle donne, a deal, où les cartes, qu’il nomme des «  principes  » sont mises à plat sur la table («  Nothing should be off the table  »). Chacun de ses principes est essentiellement britannique, et comprendre leur source c’est mieux comprendre l’audace de Cameron : laisser la libre-entreprise faire son travail, contre une conception statiste, essentiellement napoléonienne des rapports de la bureaucratie et des agents économiques ; flexibilité des relations et des positions des pays à l’intérieur de l’Union qui, et c’ est le modèle culturel, se comporteraient comme jadis les dominions et les colonies de l’Empire, chacun avec son statut, chacun déterminant son rôle et ses rapports avec les autres, des périphéries sans un véritable centre, «  une union flexible d’Etats libres  » ; un rapatriement des pouvoirs à ce qui est la source même de la démocratie moderne, le parlement national – conception typiquement britannique, qui sied mal au césarisme continental sous ses diverses formes, du présidentialisme français aux régimes maffieux ou clientélistes d’Europe centrale…une série dont, par un choix réfléchi, Cameron exclut le parlementarisme allemand et grec ; enfin cette notion tout à fait britannique de «  fairness  ». Impossible à traduire. Avant qu’on ne l’applique au fair trade, lourdement nommé commerce équitable, fairness fait partie de la panoplie mentale anglaise : le respect familier des règles, un sens que ce qui est juste tient autant à la loi qu’à son interprétation (d’où la règle du précédent en common law), une attitude qui laisse à l’individu le choix de ce qu’il pense être juste, par opposition à l’urgence de la Loi – reversé dans le domaine de la politique entre les nations, ce principe effectivement démantibule le système bruxellois de règlements coercitifs.

Ce qu’il propose on l’a lu, défiguré dans la presse qui n’a jamais le temps de lire les discours calmement, d’où son nom de «  presse  » je suppose

Cameron passe alors à ce que j’ai nommé la partie détachable de son discours, celle qui a tourné les sangs de certains (qui feraient mieux d’essayer de comprendre) et s’adresse directement, au nom du parlementarisme et de la fairness, à ses compatriotes, dont le «  consentement  » qu’ils donnent désormais à l’Europe est « plus fin que du papier-pelure  ».

Ce qu’il propose on l’a lu, défiguré dans la presse qui n’a jamais le temps de lire les discours calmement, d’où son nom de «  presse  » je suppose ; une caricature réduite à in ou out, et c’est cela qui a retenu l’attention.
Mais ce qu’on a très peu décrit en France est comment Cameron, au moment même où il jette le gant à l’Europe version Bruxelles, met en pratique la vision éthique du modèle politique qu’il propose. Contrairement, par exemple à un président ou un premier ministre qui contournent un «  non  » au référendum (en France) ou l’annule après l’avoir promis (M. Blair), et en aucun cas ne misent leur survie politique là-dessus, Cameron exemplifie le parlementarisme qu’il loue, la souveraineté populaire qu’il affirme et la concurrence des idées qui pour lui est analogue à la compétitivité marchande (contrairement aux faux débats et faux échanges canalisés par l’Eurocratie). Avant le in ou out, il y aura un débat national et un débat parlementaire, la préparation d’une législation, puis des élections générales et, si les Tories sont ré-élus, la mise au point de la législation et la tenue du référendum. Rarement a-t-on vu le premier ministre ou le président d’une grande nation issue des Lumières prendre un tel risque et illustrer avec une telle clarté à la fois les principes d’une politique démocratique et de sa mise en œuvre.

Grandeur du parlementarisme anglo-saxon. Le geste est audacieux. Mais pour nommer cette audace Cameron use lui-même d’un mot qui, de nouveau, de nous dit rien, de ce côté de la Manche, un mot qui revient plusieurs fois dans la dernière partie du discours, celle qui s’adresse directement à ses compatriotes : settlement. Le résultat du référendum sera un act of settlement. Ce terme évoque, pour un Anglais, l’Act of Settlement de 1701 qui à la fois régla la succession dynastique et assura le régime parlementaire et les «  liberties  »: c’est sur la base de cet Act of Settlement, toujours en vigueur, que l’Angleterre pourra procéder à son décollage commercial et politique au 18e siècle et, au 19e siècle, devenir la première puissance démocratique «  globale  ». Le référendum sera un nouvel act of settlement.

On s’incline devant la logique impeccable du discours et on mesure, par l’évocation du settlement, à quel niveau historique Cameron situe la fois le processus menant au référendum et son résultat, au même niveau que la dispensation politique qui mit son pays sur les rails de la démocratie réelle, de l’industrialisation et de l’expansion, bref d’un modèle qui engendra, pour l’Europe, la révolution industrielle et la première mondialisation. Magistral.
Le Général n’aura pas fait mieux. What else?

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Un commentaire sur “David Cameron, what else ?

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