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Imperceptible : nouveau défi du design

Publié le 4 août 2016 par

Comment concevoir ce qui ne se voit pas ? Les matières issues des nanotechnologies deviennent des matières à penser.

Traçabilité. IMPERCEPTIBLE. (n.f, empr. au lat. scolast.imperceptibilis « qu’on ne peut percevoir »  » 1267 ) 1. « qui ne peut être saisi par les sens ». 2. « très petit ». Nouveau sens : concevoir ce qui ne se voit pas.

truong-235x235.jpg Bruno Truong est ingénieur et designer. Il présentait à La Paillasse, dans le cadre des jeudis design (qui ont lieu tous les premiers jeudis du mois), son travail théorique, qui s’intéresse à la «  matière imperceptible  », c’est-à-dire ces matériaux comme les gènes ou les atomes, avec lesquels les designers de demain devront imaginer nos interactions…

Comment les objets évoluent-ils ? A la fin du XIXe siècle, l’archéologue et ethnologue britannique Augustus Pitt Rivers a été l’un des premiers à classer les objets par forme et date, permettant de montrer, visuellement, leur évolution dans le temps. Mais il a fallu attendre une centaine d’années pour que le philosophe Gilbert Simondon (1924-1989) établisse une théorie évolutionniste des objets, démontrant que les objets évoluent au fil de la technique, comme s’ils étaient vivants.
La miniaturisation en est un bon exemple. Des tubes électroniques aux transistors, l’électronique n’a cessé de se miniaturiser, ce qui a rendu possible à son tour la miniaturisation des objets électroniques, explique le designer en montrant l’évolution de la taille des ordinateurs. Mais la technique n’est pas la seule fonction qui préside à l’évolution des objets. Si c’était le cas, nos téléphones mobiles auraient déjà disparu, alors que les smartphones n’ont cessé de grandir. D’autres critères sont à prendre en compte, comme des choix sociaux et économiques ou l’ergonomie…

Nous sommes passés du design industriel au design d’interface

Cette tension entre le design et la technique, Bruno Truong l’explique par l’évolution même du matériel que façonne le designer. Avec le numérique, celui-ci a disparu. Nous sommes passés du design industriel qui façonne les matériaux de l’industrie, au design d’interface, né en 1968 avec un Douglas Engelbart qui invente la souris et la métaphore du bureau pour faire face à cette dématérialisation des nouveaux objets sur lesquels doit désormais travailler le designer. Alors que le designer industriel travaille la matière physique, le designer d’interfaces travaille la matière numérique. Mais pas seulement. Le numérique est bien souvent un mélange entre objet et interface, entre hardware et données, comme le montre la matérialité de la souris ou de bien des objets conçus pour l’internet des objets.

Cette nouvelle matière s’apprête à être bouleversée à son tour par le NBIC (pour Nanotechnologies, Biotechnologies, Informatique et sciences Cognitives) qui s’annonce. En 2007, IBM imagine un système de séquençage ADN via un tunnel en silicium de quelques manomètres. La séparation entre matières et données devient de plus en plus floue.

Comment appeler ces nouvelles formes de design qui ne sont ni une conception d’objets ni une conception d’interfaces ? Quelle matière le designer est-il appelé à travailler demain ? De quel design parle-t-on ? Comment caractériser un nanotube de carbone pour un designer ?… Voici venu le temps de concevoir des matières invisibles, qu’on ne peut ni toucher ni sentir. Qu’on peut seulement imaginer. «  Ce sont des matières à penser. Parce qu’elles sont imperceptibles.  », instruit Bruno Truong. Que deviennent les pratiques du design quand les matières sont imperceptibles ?…

Si l’on divise un millimètre par 100, on obtient un cheveu. Si on le divise par 100 on obtient une bactérie. Si on le divise par 100, un transistor. Si on le divise par 100, un atome.

Les designers ont pour métier de s’emparer des techniques de leurs temps. Ils ont fabriqué des chaises avec le plastique, des interfaces avec l’informatique. Que vont-ils bien concevoir avec des technologies invisibles qu’il est plus important encore de rendre tangibles et compréhensibles. Avec l’informatique, ils ont créé des fenêtres, des dossiers, des bureaux, des corbeilles sur nos écrans pour «  rematérialiser  » nos bureaux. Que peuvent-ils produire depuis les buses nanométriques des imprimantes 3D ?

La taille des matériaux que doit désormais utiliser le designer dépasse nos capacités de perception. «  Si l’on divise un millimètre par 100, on obtient un cheveu. Si on le divise par 100 on obtient une bactérie. Si on le divise par 100, un transistor. Si on le divise par 100, un atome. Le designer fait face aux unités du champ scientifique. Sa matière arrive aux frontières des sciences du vivant, puisqu’en dessous de la taille d’une bactérie, on ne sait pas si la matière qu’on utilise appartient au vivant  », rappelle le designer. Le principe de maîtrise de la matière à l’échelle nanométrique est autant une aventure chimique que physique, comme le montre les travaux de Jérôme Friedman dès 1969, nous atteignons les frontières floues de la matière.

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De l’assemblage des briques de Lego aux systèmes autonomes en énergie et auto-réparation

La miniaturisation en dépassant les échelles de la perception nous conduit à une synthèse entre les sciences du vivant et les «  sciences de l’inerte  »… Rendant toujours plus floue la sépâration entre ce qui est vivant et ce qui ne l’est pas, entre l’artificiel et ce qui ne l’est pas. Plus il y a de code et plus l’objet devient «  vivant  », estime le designer. Nous sommes passés de l’assemblage des briques de Lego, inertes, aux objets connectés puis aux systèmes agents à l’image de ces papillons aux vols coordonnés, puis aux systèmes autonomes, capables de trouver leur énergie ou de se réparer…
Pour naturaliser l’artificiel ou «  artificier  » le naturel, la conception nécessite donc de faire des aller-retour constants entre les différentes strates sur lesquels nous pouvons agir.
Pour Bruno Truong, c’est la simulation qui va permettre de concevoir et tester les productions imaginées depuis ces nouveaux matériaux. Mais la conception n’est pas qu’un problème technique. Le design c’est aussi des valeurs, des messages, des formes différentes. Longtemps, les formes ont été induites par la mécanique elle-même, à l’image de la Tour Eiffel. Le design industriel est né de ce qui a été perçu comme un déficit esthétique : donner de la «  beauté  » à ce qui a été conçu par l’ingénieur. Longtemps la mécanique est demeurée fascinante, sublimée, puissante. En 1934, l’exposition Machine Art au Museum of Modern Art exposa des machines industrielles, flattant leur beauté fonctionnelle. Mais la nature des techniques a changé. En passant à l’échelle micro, l’intelligence et la petitesse sont devenues les nouveaux symboles de la puissance. Un accéléromètre dans un téléphone fait moins d’un millimètre de large et transforme votre téléphone en un objet magique et puissant. Désormais, tous nos objets sont emballés dans des coques qui permettent d’assembler et de couvrir les éléments qui les composent. Aujourd’hui, les nuances reposent dans la manière dont on montre ou recouvre la technique.

Cinq évolutions du design : mouvements Skinline et Streamline, néo-modernes, hyperfonctionnalistes et courant antidesign

La coque se rapproche toujours plus de l’électronique. La finesse est devenue une allégorie de l’avancement technologique, permettant de loger toujours plus de puissance dans moins d’espace. Qu’en sera-t-il à l’ère des nano et bio technologies ? Bruno Truong a esquissé 5 fictions de l’évolution du design à l’heure des matières imperceptibles.

La première possibilité consiste à coller la coque toujours plus près de la technique, à l’image d’une peau qui suggère la technique sans la montrer. Il nomme ce futur courant le skinline, réincarnation de l’esthétique streamline des années précédentes. Mais alors que les tenants du streamline cherchaient à magnifier la technique en instant sur les courbures aérodynamiques, les adeptes du skinline cherchent plutôt à la mettre en valeur en insistant sur la miniaturisation et favorisent ainsi les formes «  maigres  ». Une préfiguration de cette esthétique future peut se trouver dans le design d’objets comme l’iPhone ou le MacBook Air, objets auxquels on donne l’apparence la plus plate possible.
Il imagine un second mouvement, celui des «  néo-modernes  ». Pour eux, «  la matière suit la fonction  ». Autrement dit, ils s’intéressent avant tout aux effets des nouveaux matériaux. La coque devient elle-même la technique pour montrer la technique telle qu’elle est. Les nouveaux matériaux biosynthétisés, thermophoniques, bioélectriques, électro-opacifiants… montrent leurs propres effets, permettant de transformer un objet en un autre. L’humidité devient lumière, la chaleur rend les matériaux opaques…

Les «  néo-modernes  », eux, ne cherchent pas à mettre en valeur la technique, comme leurs concurrents du skinline. Ils se reconnaissent dans les principes du good design énoncés par un Dieter Rams, le designer de Braun, et qui peuvent être résumés par une attention à des qualités précises de «  durabilité, esthétique, minimalisme  », et une honnêteté dans la monstration de la technique plutôt que dans sa dissimulation.

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Le pouf Sacco, précurseur des formes programmables.

Le troisième mouvement fictif est celui des «  hyperfonctionalistes  », qui s’inspirent de l’esthétique du nu de Le Corbusier, qui lui cherchait à faire disparaître toute forme d’ornementation ou de décoration jugés superflus. Avec eux la technique peut apparaître puis disparaître en fonction des besoins, à l’image du verre électro-opacifiant permettant d’opacifier les murs en verre quand nécessaire. Les maisons n’ont plus de lampe. Il n’y a plus que des fonctions sans formes. La technique devient désincarnée. L’enjeu du design est de se concentrer sur les gestes qui nous permettent d’accéder aux fonctions.
Dernière possibilité esquissée par le designer : celle de remettre la matière au premier plan.

Ce futur mouvement, Bruno Truong le compare avec le courant «  antidesigner  » italien des années 60. Un exemple frappant en était le «  Pouf Sacco  » signé Piero Gatti, Cesare Paolini et Franco Teodoro. Ce «  fauteuil  », très apprécié dans les années 70, était un simple «  sac  » rempli de microbilles. En s’asseyant, on pouvait lui donner la forme la plus confortable qui soit. Une extension de ce concept par la matière programmable permettrait d’imaginer des «  sacs  » informes capables de prendre n’importe quelle forme et remplir n’importe quelle fonction.

Après le design industriel et le design d’interfaces, bienvenue dans l’ère du design de synthèse de nouvelles technologies et de recyclage des formes anciennes.

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