Faites des duels, pas la guerre
Publié le 5 octobre 2011 par Les Influences
L’historien Jean-Noël Jeanneney a étudié la pratique du duel entre 1789 et 1914 : une vraie passion française.
Laver son honneur. Le duel au XIXe siècle constitue une tradition bien française, portée jusqu’à la passion que l’historien Jean-Noël Jeanneney s’est fait un plaisir d’étudier. De 1789 à 1914, les élites succombent à cette passion, de monarchie constitutionnelle en Troisième République. Les personnalités, parlementaires, artistes, journalistes se bousculent sur le pré : Lamartine, Louis Blanc, Adolphe Thiers, Ledru-Rollin, Raspail, Victor Hugo, Jules Ferry, Henri Rochefort, Aristide Briand, Léon Gambetta, Joseph Caillaux, Daniel Halévy, Charles Maurras, Marcel Proust et tant d’autres, jusqu’à, dans cette liste non exhaustive et étonnante, deux socialistes emblématiques comme Léon Blum et Jean Jaurès !
Petite énigme culturelle : pourquoi le duel a t-il continué d’être pratiqué après la Révolution et le règne du Droit ? De cette perpétuation anachronique, Jean-Noël Jeanneney ne veut pas en tirer l’explication trop simple d’une rémanence chevaleresque. Il s’agirait bien plutôt de l’affirmation saillante pour les classes bourgeoises en voie de constitution de former une distinction de classe, et aux restes de l’aristocratie, de maintenir une différence dans l’ère des masses à l’oeuvre. La presse florissante constitua également un excellent vecteur épidermique à outrages, insultes et calomnies qu’il fallait débrider absolument sur le champ. Une vraie transgression : alors que le Vatican réprouvait le duel, les catholiques français ne redoutaient pas de réparer personnellement l’offense.
« Les loteries sinistres de 14-18 »
C’est la guerre 14-18 qui a fait un sort définitif à la tradition du duel. Les guerres du XIXe siècle n’avaient pas enrayé une seule seconde les pistolets ou cassé les épées, mais là, le coeur n’y était plus. Analyse de l’historien : » Ce qui subsistait du romantisme sous sa forme ancienne disparut. La Grande Guerre était vouée à rendre insupportables les fascinations antérieures pour la mort aléatoire, incarnation d’une Fortune aux yeux bandés, séduisante jusque dans l’imprévisible. Comme toutes les classes sociales, la bourgeoisie et ce qui restait de l’aristocratie découvrirent jusqu’au fond de l’horreur les loteries sinistres où les corps risquaient à chaque instant leur intégrité et leur survie. Aux yeux de tous, la camarde avait assez joué de sa faux pour qu’on lui refuse au moins la satisfaction de prolonger de la sorte son oeuvre, même de façon infinitésimale. »
Les deux duels de Gaston Deferre
Dans la mémoire collective, reste un ultime sursaut du duel, vécu comme un événement insolite et burlesque, celui de l’affrontement à l’épée entre Gaston Deferre, président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, et le député gaulliste René Ribière, le 20 avril 1967. En 1947, Deferre affrontait déjà en duel au pistolet cette fois, le député et professeur de droit Paul Bastid, après qu’il eût gifflé son adversaire au Palais-Bourbon, indigné par un article publié dans L’Aurore.Il y eût deux balles tirées et égarées.
Vingt ans plus tard, le mousquetaire Deferre sortit vainqueur du combat réglé comme papier musique. Après avoir reçu deux estafilades, Jean Ribière qui s’était déjà fait traiter d' »abruti ! » par Deferre dans l’hémicycle, s’inclina devant le bouillant bretteur.
Laver son honneur en 2012. Les journaux et les papiers bleus de la justice ont remplacé les prés verts et les témoins du petit matin. Avec le sentiment, parfois, qu’il y a des claques qui se perdent et un ridicule qui peut tuer.
3 commentaires sur “Faites des duels, pas la guerre”
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Faites des duels, pas la guerre
La veille, lors d’un débat houleux, alors qu’il est sans cesse interrompu pendant son intervention, Gaston Defferre apostrophe son collègue le plus virulent : « Taisez-vous, abruti ! »
C’est Gaston Defferre qui avait traité d’abruti René Ribière et non l’inverse…
Faites des duels, pas la guerre
C’est rectifié, merci de votre vigilance.
Faites des duels, pas la guerre
Il me semble que c’est Defferre, qui avait injurié Ribière et non l’inverse…
Parmi les duélistes célèbres, vous oubliez Evariste Galois, mort à 20 ans et qui fut, malgré sa mort prématurée, un des mathématiciens français les plus doués.