Influences (n. fem. pluriel)
  1. Fluide provenant des astres et agissant sur la destinée humaine.
  2. Action exercée sur quelqu’un.
  3. Action exercée sur quelque chose.

Les Influences

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#Anthropologie #Le Castor Astral #Merde #Mésoamérique

Il étudie la merde dans nos têtes

Publié le 11 mai 2009 par

Avec un peintre mexicain Francisco Toledo, l’historien Alfredo Lopez Austin s’est livré à une étonnante exploration anthropologique de la merde dans les civilisations amérindiennes. Universel : dis-moi comment tu chies, et je te raconterai les peurs et les mythes humains sur la mort, les sous-sols, les âmes mauvaises mais aussi, sur le jaune des étoiles.

lopez.jpg Anthropologue mexicain des sociétés amérindiennes, parmi les chercheurs les plus stimulants du moment, Alfredo Lopez Austin, voit l’un de ses projets scientifiques et culturels ressurgir de manière inattendue, et qui plus est en France : depuis mars 2009, sa Vieille histoire de la merde est enfin éditée. Il aura fallu patienter plus de vingt années.

En 1986, une star de la peinture mexicaine, Francisco Toledo, proposait à historien, spécialiste des mythes et de l’au-delà dans la Mésoamérique, de travailler ensemble sur un drôle de projet. Quel est le rôle de l’excrément dans la culture amérindienne ? Austin fut emballé.
S’ensuivit un travail de collecte d’histoires et d’anecdotes repérées dans la littérature pré-hispanique, les contes populaires, les chroniques espagnoles du XVe siècle, les témoignages et les rapports médicaux, et un fin travail d’analyse. Bref, une matière riche et plaisante qui inspira également le peintre : squelette conchiant, rangée de chieurs vus de dos, femmes-fleuves et petits monstres coliqueux.
Faute de financement conséquent, le projet fut oublié. En 2001, une exposition de Toledo au musée de Oaxaca, où figurait ses «  Cahiers de la merde  », redonna de l’intérêt à ce travail, et une idée à l’éditeur français, Le Castor astral.

«  La merde a ses histoires ; nombreuses assurément, décrit Alfredo Lopez Austin. Elles trouvent leurs origines dans les différentes pratiques, représentations et jugements de valeurs associés à une fonction vitale et son produit.  » Ces crottes-là que l’on suit à la trace constituent un fascinant jeu d’indices anthropologiques, entre les sépultures, les nuits de terreur, les monstres intérieurs, mais aussi une entrée dans l’éblouissante création du monde.

Selon Austin, «  les anciens Mexicains concevaient le corps humain comme l’union de deux moitiés opposées et complémentaires.  » A la noblesse de la partie supérieure, siège de la pensée et de l’assimilation des meilleurs aliments, sans oublier lien privilégié avec les forces divines du destin, toute la bassesse de pulsions et d’impulsions de la partie inférieure. La merde, elle, conservée dans le ventre, donc en zone froide, est le reflet de la personnalité, et de qualité ambivalente. Elle peut rétablir comme anéantir de ses pestilences l’individu.

Ainsi, un homme qui n’aurait pas honoré un contrat, ou bien été esclave ou condamné, pouvait se racheter et recouvrer sa liberté, en se rendant au marché et en écrasant une merde. Une fois l’acte accompli, il avait le droit de demander à être nettoyé et pouvait retrouver sa position sociale d’homme libre : la nature froide de la merde avait permis de contrebalancer la passion chaude -et mauvaise- de l’individu. De même pour se repentir d’un péché sexuel qui formait en vous des humeurs malsaines, on allait voir le prêtre, ministre de la déesse Tlazoteolt («  Déesse des ordures  »), aussi appelée Tlaelcuani («  La mangeuse d’excréments  »). Encore aujourd’hui, pour forcer le trait d’une situation détestable, les Nahua interjettent un «  tlaello, cuitlayo  » («  plein d’excréments, plein de caca  »).

Le cosmos lui aussi est de conception antagonique et complémentaire. Les forces du ciel sont chaudes, celles de l’inframonde, froides. Mais les déchets, enfouis dans l’inframonde et qui se décomposent, produisent paradoxalement la vie, et toutes les richesses comme l’or, l’étain et l’argent, appelées par les Mayas, «  excréments du Soleil ou de la Lune  ». Sans oublier dans la cosmogonie mésoaméricaine, le jaune des étoiles. «  La Terre, c’est la mort accouchant de la vie  » résume Austin. Ambivalence toujours : ces minerais font l’objet d’un commerce forcément merdique parce que cadavérique, et l’accumulation de ces richesses pour le simple fait d’accumuler est considérée comme diabolique.

«  C’est une de ces histoires qui parviennent jusqu’à nous, une de ces vieilles histoires de merde, chargée d’universalité mais également riche de singularités  », s’enthousiasme encore l’historien devant ce caca chargé de symboles contradictoires.
Pied droit, pied gauche, peut importe : on saute à pieds joints sur cet essai, pour notre bonheur de lecture et de gamberge devant une telle matière universelle.

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