Influences (n. fem. pluriel)
  1. Fluide provenant des astres et agissant sur la destinée humaine.
  2. Action exercée sur quelqu’un.
  3. Action exercée sur quelque chose.

Les Influences

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Marie-Hélène Bacqué

Publié le 4 mai 2009 par

Marie-Hélène Bacqué, une chercheuse chez les Fight boys
Elle a coproduit un livre avec un ancien chef de gang de la banlieue parisienne, pour retracer la «  désafiliation  » de jeunes Noirs.

Les quartiers populaires sont trop souvent cantonnés au statut d’objet dans les travaux sociologiques. Et au sein de ces terrains d’observations, les habitants semblent désincarnés, mis sous cloche, analysés comme un ensemble homogène. Pour Marie-Hélène Bacqué, sociologue au Laboratoire des organisations urbaines: Espaces, Sociétés, Temporalités (LOUEST), dont les recherches sont notamment axées sur la démocratie participative, il était temps de les rendre sujets, acteurs à part entière de la réflexion menée sur leurs territoires. Penser ensemble les problématiques de ségrégation et de développement social ou communautaire, pour que l’état des connaissances progresse en y incluant les personnes concernées.
J’étais un chef de gang, son ouvrage publié en octobre 2008, a ainsi été écrit à la première personne par Lamence Madzou, en étroite collaboration avec la chercheuse. Cet ouvrage retrace l’histoire des Fight boys, une bande née dans l’Essonne à la fin des années 80. Au départ constitué de quelques copains, ce groupe va peu à peu se transformer en véritable «  gang  » et participer à ce que l’on a appelé «  la guerre des trois ans  », où se sont affrontés, entre 1988 et 1991, les bandes du nord et celles du sud. L’enjeu de ce combat fratricide mené par une majorité de gamins : le contrôle du centre de Paris. Il s’agit avant tout d’une rencontre, d’un échange entre cet ancien caïd, aujourd’hui père de famille, et la sociologue, intéressée depuis de nombreuses années à la question de la «  désafiliation  » en Seine-Saint-Denis et dans le quartier de la Goutte d’Or.

«  J’étais partie sur un ouvrage plus classique, une démarche de sociologue plus traditionnelle. Cependant, notre relation s’est construite peu à peu et je trouvais qu’une forme trop académique ne convenait pas. J’avais peur d’instrumentaliser Lamence et je trouvais que son témoignage avait une grande force, explique la sociologue. C’est lui qui a décidé de ce qu’il voulait dire ou ne pas dire. Je pensais que c’était de sa responsabilité et non de la mienne. Je ne voulais pas avoir un rôle de censure, ne pas être responsable de ses silences. Mon travail a essentiellement été une aide à l’écriture. J’ai retranscrit les entretiens et accompagné le passage de l’oral à l’écrit. Mais je n’ai rien changé et je ne souhaitais pas ajouter de mots nouveaux, modifier les structures ou le rythme des phrases. Le but était que Lamence se raconte, qu’il puisse s’interroger sur son parcours et qu’il ait les outils pour s’objectiver. Notre relation a agi comme un miroir.  »

A travers le parcours de Lamence, à travers un récit sans complaisance ni diabolisation, Marie-Hélène Bacqué a découvert un monde complexe, mêlant violence extrême et solidarité, culture hip-hop et reconversion dans le bizness. En menant de nombreux entretiens avec ces anciens jeunes, aujourd’hui englués dans la précarité ou au contraire «  rangés des voitures  », la sociologue fait surgir des questionnements de fond. A commencer par celle de l’identité noire. «  Elle est très sous-estimée dans la plupart des travaux. Grâce à Lamence, j’ai mieux compris comment se construit une identité. Elle est tout d’abord raciale, mais elle s’est surtout forgée à partir du stigmate, de la discrimination. Ce n’est pas une identité communautariste ou fermée, elle n’est pas issue d’une culture africaine commune. Si cette identité noire est née à partir d’un rejet, elle a ensuite généré quelque chose de positif: le mouvement hip-hop, issu des États-Unis, qui porte une véritable dynamique culturelle. Je trouve très intéressant ces allers et retours entre la France, les États-Unis et l’Afrique. Mais cette identité est large. Elle recoupe tout ce qui n’est pas blanc, tous les jeunes qui vivent la ségrégation. Il s’agit surtout d’une expérience juvénile, d’une rencontre générationnelle et d’une expérience sociale. Le point commun vient de l’origine populaire de la plupart de ces jeunes, qui ont pour la plupart connu des difficultés familiales et une situation d’échec scolaire.  »

Marie-Hélène Bacqué questionne également la notion de territoire et réfute le cliché systématique du ghetto. «  Ces bandes n’étaient pas cantonnées à un lieu précis. Elles se déployaient sur tout l’espace parisien. Je pense d’ailleurs que la question des banlieues n’est pas seulement une question spatiale. Il y a des déterminants beaucoup plus larges. La ségrégation sociale est l’une des dimensions, mais penser la banlieue et les quartiers populaires comme des ghettos est une caricature. Les bandes venaient en fait de toute la région. Il y a même des jeunes qui étaient originaires de communes assez chics ou de villes habitées par des couches moyennes. De plus, ces bandes ne se retrouvaient pas dans le quartier, sinon dans le centre commercial ou à la gare. Des lieux ouverts, des espaces publics, des espaces de passage. Et puis ces jeunes côtoyaient des gens de Montreuil, du 13ème arrondissement ou de la Défense. Bien entendu, au départ, la plupart venaient de quartiers populaires où la proximité a joué un rôle. Je ne nie pas cette dimension spatiale, mais il est dangereux d’en faire l’unique explication.  »

Au départ, tout semblait opposer la sociologue et l’ancien chef de gang. Être une femme, blanche de surcroît, a pourtant finit par devenir un atout face à cette culture des bandes, empreinte d’un certain machisme. La construction de la relation a pris du temps, mais peu à peu la confiance s’est instaurée. La description que fait Marie-Hélène Bacqué de Lamence Madzou est à la fois lucide et bienveillante. Une estime réciproque est née. «  Ce n’est pas un repenti. Il ne fait pas non plus l’apologie de son parcours, mais il a pris une vraie distance. J’aime bien son ton. Il ne se place pas dans une logique d’excuses, mais il ne se sent pas non plus comme une victime. Il n’a pas de regrets, au sens où il assume. Il n’éprouve aucune aigreur vis à vis de la société. Son passé lui revient sans cesse en pleine figure. On le lui reproche en permanence. Écrire a été pour lui une façon de rester maître de son histoire.  »

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