Influences (n. fem. pluriel)
  1. Fluide provenant des astres et agissant sur la destinée humaine.
  2. Action exercée sur quelqu’un.
  3. Action exercée sur quelque chose.

Les Influences

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Pris en otage dans une habile leçon de morale

Publié le 9 mai 2009 par

Est-ce ainsi que les femmes meurent?

Didier Decoin, Grasset, 227 pages, 17,90 €

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Heil.jpg Mars 1964. New York City n’est pas encore la mégalopole verticale qu’elle est devenue. Les odeurs de pisse, de graillon et d’huiles de vidange se mêlent à l’amer parfum d’une Amérique post-Kennedy. Une simple balle dans la tête et les Yankees redécouvrent la gueule de bois. Dans ce bordel bien calibré, les faits-divers prennent soudain tout leur sens.

C’est dans ce monde pudibond, aseptisé mais passablement malsain que Catherine Susan Genovese, dite Kitty, vivra sa dernière demi-heure. Et dès lors, le contexte ne sera plus que prétexte. Une cage d’escalier, un dégénéré dans la plus pure tradition américaine, une rue mal éclairée, et une Italienne lesbienne qui gît dans son propre sang pendant de longues minutes sans qu’un seul pékin daigne réagir. Rien n’est anodin. L’adage qui veut que la face la plus sombre d’une société se dévoile à travers ses brèves criminelles est alors confirmé.

Car dans cette affaire, un rapport de la police locale fera état d’un fait troublant : Ils auraient été pas moins de trente-huit, 38 témoins directs (et surtout indirects) de la scène à être restés planqués bien au chaud tandis que la malheureuse Kitty hurlait de douleur.

Ici commence l’extrapolation. Susceptible de contenter l’angélisme le plus obtus comme le pragmatisme le plus sadique, ce fait-divers n’a pas été choisi parmi une diversité d’autres faits sans quelques motivations surlignées à la truelle.

Le récit est mené avec talent, l’écriture est alerte, et l’atmosphère trop envoûtante pour que le lecteur français ne plonge les yeux fermés dans cette Amérique fantasmée, folklorique, parfois même caricaturale. Pourtant, au-delà de l’amour d’enfant que voue l’auteur à cette nation, à cette culture, à cette époque, le propos, même innocemment, peut vite verser dans une compassion naïve et dans une forme de jugement biaisé d’avance.

« La plus coupable des deux n’est plus la main qui tue, mais celle qui ne se tend pas. »

Car Didier Decoin ne pouvait se contenter des coupables évidents et des victimes établies. Non, car ce monde où l’œuvre n’a plus le droit d’exister simplement pour ce qu’elle est, et ne prend plus de valeur qu’au travers du message qu’elle se doit de distiller en filigrane, Decoin ne pouvait passer à côté des sempiternels « tout n’est pas si simple » ou autres « les apparences sont trompeuses ». Pour l’auteur, aucun doute : Un coupable n’est que le fruit du monde dont il est issu.

Suivant ces raisonnements, il est alors évident que la belle Kitty, Italienne, femme, et déviante sexuelle aux yeux de ses contemporains a bel et bien été victime de l’ignoble intolérance humaine. Il est ensuite tout aussi évident que le tueur, Winston Moseley, Afro-américain bien docile, cloîtré dans sa condition, n’aura été que la victime de la pression sociale et des relents ségrégationnistes qui animaient, voire animent toujours, ses compatriotes. Il est enfin évident, que la plus coupable des deux n’est plus la main qui tue, mais celle qui ne se tend pas. La lâcheté et la non-assistance à personne en danger sont ici érigées au rang de crime.

Il est vrai que Jérôme Béglé, éditeur chez Grasset, en montant cette jolie collection intitulée « Ceci n’est pas un fait-divers », a offert à ses auteurs un paravent derrière lequel s’abriter. La réalité éclipsant le romanesque, il est légitime que le traitement quasi-journalistique d’un fait-divers soit décortiqué et que le fond prenne le pas sur la forme. Oublier l’écriture, le style, l’essence de la littérature pour confronter le lecteur, de gré ou de force, aux troubles de son reflet…

Un certain malaise donc, et pourtant, bien que comme pris en otage dans cette habile leçon de morale, ce même lecteur reste heureusement capable d’oublier les failles du réel pour succomber à la fiction. Et qui plus est, d’y prendre du plaisir… Beaucoup de plaisir.

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