Michel Freitag, disparition d’un intellectuel altermondialiste
Publié le 16 novembre 2009 par Les Influences
Décédé vendredi 13 novembre à Montréal, Michel Freitag, ancien disciple d’Alain Touraine, lègue une « théorie générale de la société » et une critique forte du capitalisme dont « la loi du profit est devenue la loi suprême de l’humanité ».
L’emprise du capitalisme au XXIe siècle représente un véritable défi philosophique: « D’un système économique, il est devenu le système tout court, avec un très haut degré d’immatérialité, celui de la spéculation. »
Michel Freitag déclinait ainsi les trois « apories » (problèmes inéluctables et insolubles) du capitalisme contemporain : »il transforme tout en valeur et en soumettant tout à la loi de la valeur. Deuxième aporie : le capitalisme butte contre les limites finies du monde. La crise écologique nous permettra peut être d’en prendre conscience, mais le niveau atteint de dégradation du monde sera tel que ce ne sera plus récupérable. Troisième aporie : le capitalisme supprime les frontières du matériel et de l’immatériel. C’est le nouvel opium du peuple : l’illusion d’échapper au monde physique. »
Enfin, le capitalisme de la société post-moderne étend toujours plus son emprise sur les sociétés humaines, notamment au moyen des techniques de la psychologie sociale et la théorie du calcul rationnel, sans oublier l’assujetissement grandissant sur l’éducation, la science, la création, la propriété intellectuelle, l’Etat devenu son meilleur manager et l’emprise sur la culture de masse industrialisée de bout en bout.
Comme des rats de laboratoire
Né en Suisse, à La Chaux-de-Fonds, la ville à tradition anarchiste de Blaise Cendrars, en 1935, il a été diplômé en droit en économie de l’université de Neufchâtel. Inscrit à l’EHESS (Ecole des hautes-études en sciences sociales), à Paris, il commence sa thèse de doctorat sur l’économie du développement en Afrique, critiquant déjà le système de prédation capitaliste. A partir de 1965, engagé par Alain Touraine, il sera chercheur contractuel durant quatre années avant de rejoindre l’Algérie pour travailler dans un bureau d’études sur l’aménagement du territoire et donner un cours d’épistémologie à l’Université d’Alger. Michel Freitag, plutôt « personnaliste » (la 3e voie d’Emmanuel Mounier entre capitalisme et marxisme) se sentait proche de l’association de réflexions Economie & Humanisme (1942-2007 ), rassemblant de nombreux syndicalistes, travailleurs sociaux et chefs d’entreprises.
1970 le voit s’installer comme professeur au Québec, à l’UQAM qui à l’instar de nombreuses universités occidentales a son département de sociologie est tenu par la vulgate marxiste. Il saura s’en affranchir.
Il participera à la création du Groupe interuniversitaires d’études de la post-modernité (GIEP), et de leur revue « Société », qui , au Québec, vont influencer des générations d’étudiants et d’intellectuels.
En 1986, remaniant sa thèse de doctorat, Michel Freitag publie les deux tomes de son grand oeuvre, Dialectique et société.
Sa sociologie relève d’une « théorie générale de la société » qui analyse « les modes de reproduction formels de la société ». Un « mode décisionnel-opérationnel » est né de la société post-moderne, muée par la fétichisation et même l’idéologie technologique et l’abolition du politique par le néo-libéralisme. D’un accès pas toujours facile, son travail néanmoins s’est retrouvé en phase avec la critique du capitalisme par l’alter-mondialisme des années 1990. C’est que d’objet de philosophie possible, le capitalisme est devenu dans la globalisation une politique érigeant « la loi du profit en loi suprême de l’humanité. » (Le Monde enchaîné, 2001).
Michel Freitag est décédé ce vendredi 13 novembre, après avoir été frappé par un malaise la veille. La pensée altermondialiste perd un intellectuel qui aura su se montrer incisif avec ce capitalisme qui « prend les êtres humains pour des rats de laboratoire », dénonçait-il encore en mars dernier.