Julien Bonhomme, de la plante hallucinogène eboga aux voleurs de sexe
Publié le 23 janvier 2010 par Rédaction LI
Initié au rite gabonais de la plante hallucinogène eboga, pisteur de rumeur sur les voleurs de sexes, l’anthropologue Julien Bonhomme en dit beaucoup sur « la sorcellerie de la modernité ».
Un voleur de sexe est très souvent l’autre, l’étranger, celui que l’on frôle dans les villes et qui vous met en danger dans cette modernité débordante. « Souvent les accusés sont focalisés sur une autre nation ou une ethnie particulière, remarque le chercheur. Lorsque la rumeur des voleurs de sexe s’est propagée jusqu’au Darfour, c’est le mythe antisémite européen qui a ressurgi du côté de la péninsule panarabique : le voleur de sexe était juif. »
Certes, Julien Bonhomme met à jour une anthropologie africaine d’une rumeur protéiforme, mais il parle également de la société médiatique telle qu’elle se standardise dans le monde. Les rumeurs sur le bug de l’an 2000, la grippe A ou les portables qui explosent, sans oublier la classique rumeur d’Orléans (des jeunes filles enlevées par des marchands juifs et transportées en sous-marin remontant la Seine) ou l’implication du Pentagone, de la CIA et d’Israël dans les attentats du 11-septembre, ne sont pas que l’apanage de l’Afrique.
Depuis une quinzaine d’années, la presse tabloïd, sans oublier la radio, ont pris un poids considérable sur le continent noir. Et même les nouvelles pratiques sur Internet changent la donne, et contribuent à fortifier la rumeur des voleurs de sexe.
« Face à cette rumeur, le rôle des médias est ambivalent : ils allument, puis ils tentent d’éteindre le brasier. Il y a une modernité de la sorcellerie, mais également une sorcellerie de la modernité », formule Julien Bonhomme.
Divination et soins
La publication des Voleurs de sexe , enquête percutante dans son analyse, originale quant à ses techniques d’investigation, a eu également son effet de reconnaissance. L’ouvrage anthropologique a été consacré par la une du Monde des livres. La petite communauté scientifique avait déjà jeté en 2003, un œil expert sur son doctorat d’anthropologie avec mention très honorable. « Mes premiers contacts de chercheur se sont portés sur les sorciers gabonais de Port-Gentil, les seuls à pratiquer le rite initiatique masculin du Bwete Misoko, notamment sa sous-branche Ngonde qui concerne la divination et les soins, et qui se caractérise par l’utilisation de l’eboga, plante hallucinogène aux propriétés visionnaires et thérapeutiques. Le Gabon a été mon terrain initiatique de chercheur solitaire », raconte t-il pince-sans-rire.
Son ambition scientifique se révèle également dans ce premier travail qui, suite à son doctorat, a fait l’objet d’un livre à diffusion confidentielle en 2003. Le Miroir et le crâne entreprend le parcours initiatique complet, à partir d’une approche pragmatiste et fondée sur la « logique interactionnelle » du rituel.
L’auteur a été lui-même initié. Il y a du Tintin épistémologue chez lui : « Ce n’est qu’en s’enfonçant aussi loin que possible dans le détail ethnographique d’un rituel que l’on peut espérer dégager ses propriétés générales ou généralisables concernant le rituel », écrit-il dans la préface de son étude.
Cette initiation du Bwete Misoko est un parcours de pièges, de ruses ironiques, de non-dit et d’impasses, de vérités mates ou même sans tain. Le contexte des relations avec autrui, le sorcier, les ancêtres, les femmes, et enfin soi-même, est plus éclairant que s’il s’agissait d’une classique étude anthropologique des croyances et des symboles. Il ne redoute pas non plus la situation border-line d’apprentissage mystique : « L’intégration au groupe des initiés permet ainsi d’accéder à un savoir secret, décrit-il. L’initiation n’est cependant pas un sésame magique : la transmission du savoir initiatique est plus une affaire de rétention organisée que de libre divulgation, puisque ce savoir forme l’assise du pouvoir des aînés. Opter pour l’initiation impose donc une soumission aux aînés sans garantie d’un effet effectif au savoir. Mais les ethnologues qui ont tenu à rester profanes ont dû se plier eux aussi avec exigences de leurs informateurs initiés. Profane ou initié, on n’échappe donc pas aux relations de pouvoir qui déterminent l’accès au savoir. Mais dès lorsque l’on cherche moins à accumuler les données d’un savoir initiatique abstrait qu’à comprendre la logique concrète de son usage et de sa transmission, être pris avec les cadets dans le piège de la rétention de l’information orchestrée par les aînés constitue moins une impasse qu’une épreuve pertinente. Se laisser prendre au piège de la relation initiatique offre ainsi une source précieuse d’informations objectives quant à la nature de cette relation. »
Pour Julien Bonhomme, même « embedded » par les devins-guérisseurs du Bwete Misoko, il n’a pas succombé pas au processus d’empathie ou d’identification, mais en éprouvant certains effets, il aura mieux saisi la structure relationnelle de ce rite. Le Mwiri, esprit qui protège coûte que coûte le secret initiatique, ne l’a pas avalé, et mieux encore, a autorisé Julien Bonhomme à mettre en cycle les savoirs du bwete et de la sorcellerie gabonaise dans la situation économique, sociale et culturelle actuelle du pays. Au XXIe siècle, « le recours aux nganga (devins-guérisseurs/Ndlr) ne fléchit pas, bien au contraire, conlut Julien Bonhomme. Il a pour lui les nouvelles infortunes liées aux épreuves de la vie urbaine, et symétriquement les opportunités de carrière qu’offre le métier de devin-guérisseur pour les chômeurs citadins. »
Saisissant et triple portrait au final d’un anthropologue en recherche de son art scientifique, d’un initié à l’eboga, « infortuné » au départ du Bwete Misoko, puis « homme compliqué » dans son accomplissement », et d’une Afrique toute entière qui se débrouillent chacun dans le labyrinthe de leurs symboles sorciers et de leurs codes de modernité.
Anthropologie de la sorcellerie
La tribu scientifique voit s’affirmer la présence d’un anthropologue qui, par ailleurs, depuis 2008, au côté de l’ethnologue Anne-Christine Taylor, est le directeur adjoint du département de la recherche et de l’enseignement, du musée du Quai-Branly. Nouvelle entité scientifique, concurrente sans le dire du vénérable Musée de l’Homme en pleine crise identitaire, elle se veut à l’offensive dans la recherche de pointe et dans la diffusion des savoirs.
Ancien normalien en philosophie, Julien Bonhomme a « préféré bifurquer vers l’anthropologie et le grand large, plutôt que de rester coincé dans les livres. » Asticoté par le travail de l’anthropologue Jeanne Favret-Saada sur la sorcellerie en Mayenne (Désorceler, L’Olivier, 2009), il a mis le cap sur l’EHESS, s’intéressant aux usages des psychotropes dans l’hallucination initiatique, sous la houlette de Philippe Descola, considéré avec Françoise Héritier, comme le successeur de Claude Lévi-Strauss. « Je suis d’ailleurs le petit-fils clanique de Claude Lévi-Strauss, s’amuse-t-il. Cette capacité à rendre compte à la fois de la formidable diversité humaine mais aussi de l’universalité est ce que je retiens de son œuvre monumentale. De ce point de vue et en ce qui me concerne, je ne crois pas à la grande division des aires culturelles. » Lui reste tout de même quelque chose de sa période de philosophie, période Spinoza : « le goût de ne pas succomber aux idées trop emballées. »
3 commentaires sur “Julien Bonhomme, de la plante hallucinogène eboga aux voleurs de sexe”
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Bonsoir,
Initiéee au Gabon ,il y a 6 ans, Un journaliste d’Arte m’a sollicité pour partir avec son équipe ,dans la forêt à la rencontre des pygmées.
Avant de m’engager dans cette aventure, j’aimerais vous rencontrer.
Merci de me répondre
Julien Bonhomme, de la plante hallucinogène eboga aux voleurs de sexe
salut, avant de venir au Gabon faites le moi savoir et je peux vous donner toutes les informations et vous amener partout où vous voulez aller au Gabon, si vous voulez, je peux être votre guide, appelez-moi à ce numéro +24107009417,ao envoiyer moi un email tout ce qui concerne la tradition Bweti et iniciation et autre