Howard Zinn, historien populaire et désobéissant
Publié le 31 janvier 2010 par Rédaction LI
Décédé à Santa Monica le 27 janvier 2010, il laisse derrière lui une œuvre riche, dont le best-seller « Une histoire populaire des Etats-Unis », et un projet intellectuel qui refuse mordicus les œillères nationalistes de la discipline historique.
Il restera l’auteur d’ « Une histoire populaire des Etats-Unis, de 1492 à nos jours » (1980, Agone pour l’édition française, 2003) qui a connu un immense succès aux Etats-Unis, avec 1,7 million d’exemplaires diffusés à ce jour. « A la fin des années 1970, quand j’ai décidé de me lancer dans ce projet, j’enseignais l’histoire depuis vingt ans. Professeur au Spellman College (département d’histoire et de sciences sociales/Ndlr), université de filles noires à Atlanta, j’avais d’abord participé au mouvement des droits civiques dans le Sud des Etats-Unis. Puis vinrent dix années de lutte contre le Vietnam. En matière de « neutralité », ces expériences apportent peu à un historien, qu’il soit enseignant ou écrivain », décrivait-il dans son beau discours à l’occasion de la remise du Prix des Amis du Monde Diplomatique en décembre 2003 et qui se situe dans le droit fil de son autobiographie « Impossible neutralité » (2006).
Pacifiste et polémiste
Issu d’une famille d’immigrés juifs et ouvriers de New York, H. Zinn fut, avant d’être historien, lui aussi, en pleine période du « New deal » ouvrier de maintenance sur les chantiers navals durant trois années, mais aussi militant imbibé d’écrits anarchistes et marxistes se frottant aux manifestations et à l’occasion, aux matraques. Puis par conviction anti-fasciste, il devient aviateur dans l’armée américaine durant la seconde guerre mondiale. Ses bombardements, notamment sur la côte atlantique de la France, aiguisèrent sa sensibilité pacifiste. Mais c’est aussi grâce à sa participation à la guerre que le jeune homme de Brooklyn pu bénéficier par la suite de l’enseignement supérieur gratuit, accordée à des millions d’anciens combattants d’origine sociale modeste et qui n’auraient jamais pu y accéder.
« Certains enseignants et décideurs politiques aux Etats-Unis répètent de façon insistante que les élèves ou étudiants doivent « apprendre les faits ». Cela me rappelle le pédant Gradgrind, personnage des Temps Difficiles de Dickens, qui réprimande un jeune enseignant : « N’enseignez rien que des faits, des faits, des faits. » Mais derrière chaque « fait » présenté par un enseignant, un écrivain ou quiconque, on trouve un jugement. Celui qui consiste à dire que ce fait-là est important et que les autres seront laissés de côté. »
Dans ces années 1950, le professeur Zinn milite contre la ségrégation raciale. Le pacifiste sait être polémiste lorsqu’il faut s’élever contre la Southern Historical Association, cet aréopage d’historiens distingués du Sud qui fréquente pour leurs réunions, des hôtels soigneusement ségrégationnistes. Ecrivant énormément sur le sujet de la lutte pour les droits civiques, il est aussi proche du mouvement des étudiants non-violents. Licencié d’Atlanta en 1963, pour avoir soutenu des étudiantes qui manifestaient contre la ségrégation raciale dans les lieux publics, il intègre l’année suivante le département de science politique de l’université de Boston. Son enseignement durant vingt-sept ans sera l’un des plus populaires de cette université. La guerre du Vietnam (1959-1975) constitua également l’un de ses terrains inlassables de luttes, où l’on remarqua ses prises de position, son agit-prop, et la publication à scandale avec le linguiste Noam Chomsky, de « Pentagon Papers », un rapport secret du gouvernement remis aux deux intellectuels par un ancien analyste et qu’ils avaient annoté. Après la fin de la guerre, H. Zinn sera un membre très actif du CIS (Comité International de Soutien aux victimes vietnamiennes de l’Agent Orange).
Lorsqu’il publie « Une histoire populaire des Etats-Unis » en 1980, H. Zinn propose une fresque historique inédite, non pas « l’histoire sur coussin d’air » selon l’expression de l’historien français, Jean Nicolas, mais celle des « figurants », Indiens en tête, Noirs, jeunes ouvriers devenus GI’s, ou encore celle des « ennemis » des guerres américaines comme les Mexicains, les Cubains les Haïtiens, sans oublier les Philippins. Sous la plume d’H. Zinn, surgissent tous les fantômes et les ombres floues de l’histoire officielle. Monument riche de la discipline, il annonce à sa manière les cultural studies du politiquement correct, mais aussi le mouvement de l’histoire globale (sans frontières nationales). Ce best-seller a fait l’objet d’une adaptation en bande dessinée, « Une histoire populaire de l’empire américain » ( disponible en France chez Vertige Graphic, 2009), conçue par le dessinateur Mike Konopacki (solidarity.com) et le scénariste et historien Paul Buhle. Il a également inspiré une performance collective, de 2003 à 2009, intitulée « The people speak », avec H. Zinn lui-même, et des stars d’Hollywood tels que Matt Damon, Morgan Freeman, Dany Glover ou encore, Bruce Springsteen. Ces lectures à plusieurs voix ont constitué un film l’année dernière pour la chaîne History Channel.
« Si l’histoire veut être créative, anticiper un avenir possible sans pour autant nier le passé, il faut, me semble t-il, mettre en valeur des possibilités nouvelles et révéler tous ces épisodes enfouis dans l’ombre et lors desquels des gens ont montré leur capacité à résister, même très brièvement, à se rassembler –et parfois à gagner, Je pars du postulat, ou de l’espoir, que notre avenir réside davantage dans les moments de solidarité que notre passé recèle que dans les siècles de guerre si solidement ancrés dans nos mémoires », concluait-H. Zinn en 2003.
Hostile à l’intervention américaine en Irak, l’une de ses dernières interpellations publiques d’envergure remonte à octobre 2009 dans The Gardian et concerne le Nobel de la paix remis au président Barak Obama, qu’il avait pourtant soutenu. Il y invite le jury du Prix Nobel à en finir avec ses jugements superficiels.
« Je ne vois personne qui ait eu autant d’impact et d’influence. Son œuvre historique a changé la manière avec laquelle des millions de gens regardaient l’histoire », a commenté Noam Chomsky en apprenant le décès de l’historien. Pour l’ensemble de son œuvre et sa personnalité, « Thank you, Howard Zinn » titre le site américain The Progressive.