Pierre Nora veut des lieux de mémoire
Publié le 16 novembre 2010 par Rédaction LI
Plus que sceptique sur le projet d’une Maison de l’histoire de France, l’académicien préconise la multiplication des musées et l’arrêt de l’instrumentation politique de la mémoire.
Mais fondamentalement, Pierre Nora préconise la pluralité de lieux de mémoires et de musées co-existants:
« Dans ce pays aux héritages et aux traditions si divers et contradictoires, et où l’opinion depuis la Révolution reste divisée entre au moins deux versions de l’histoire de France, la sagesse est précisément d’en rester à une pluralité de musées, lesquels témoignent, chacun à sa façon, de leur vision et de leur époque. Pourquoi voudriez-vous que la présente tentative réussisse, au moment le moins bien choisi pour l’entreprendre ? La comparaison avec les autres pays ne tient pas, et le Deutsches Historisches Museum de Berlin ne saurait servir d’exemple ni de précédent. La France n’a pas connu, heureusement, d’expérience aussi dévastatrice de sa propre tradition que le nazisme, obligeant après coup à reconstruire une vision d’ensemble de son histoire. »
Pierre Nora préconise la pluralité de lieux de mémoires et de musées co-existants.
« Tout est à refaire »
Cette mémoire de France vivante et plurielle, Pierre Nora n’a eu de cesse de l’approcher. L’année 1980 qui avait vu la naissance du Débat fut également déclarée « année du patrimoine ». Pierre Nora entama son chantier à multiples galeries et ramifications, sur les lieux de mémoire. En travaillant son projet, né en réaction des manuels à œillères du XIXe siècle jusqu’à la deuxième guerre mondiale, Pierre Nora s’intéresse aux artefacts du sentiment national, les noms de rue, les statuaires de square, le mythe gaulliste, le drapeau tricolore et même le 14 juillet sur lesquels peu de chose existait.
Comme Sisyphe sur un terrain éboulé, Pierre Nora n’ignore pas qu’il faudrait reprendre le chantier. « La série Les lieux de mémoire a été une entreprise de folie, qui a mobilisé quelques 130 collaborateurs pour 6 volumes et des milliers de pages. Et bien sûr tout est à refaire. », nous explique-t-il.
La mémoire est de calcaire. Plusieurs bornes de ce travail colossal, publié entre 1984 et 1991, sont déjà en voie d’effacement, étouffées par le lierre de l’actualité, délavées par les changements de mentalités. L’histoire est une fabrique perpétuelle. « Le travail de l’historien est dans ce décalage entre un héritage qui est vécu par lui et hérité scientifiquement et le regard neuf qu’il essaie de poser et de faire poser, pour essayer de révéler ce que ce passé portait en lui de possibilités et qui font notre présent » analysait-il devant les membres de l’association Politique autrement en février 2008. Et on sent le vieux jeune homme toujours prêt à faire la peau aux nouveaux Lavisse qui se profilent, ultrapatriotes, communautaristes ou identitaires de tous poils.
Un commentaire sur “Pierre Nora veut des lieux de mémoire”
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autant l’énoncer, recto
Cette notion de « lieux de mémoire » présente l’incomparable avantage qu’elle permet de tartiner du papier en abondance puisque ce ne sont pas les lieux de mémoire qui manquent, depuis le calendrier des PTT, jusqu’au Tour de France cycliste. Mais, sorti d’exemples qui auraient tôt fait de glisser dans la vulgarité (car enfin : le bon vieux PQ antérieur à l’époque du papier molletonné est aussi, quelque part, un lieu de mémoire), cette notion a l’inconvénient de présupposer qu’existerait une mémoire qui serait COMMUNE à tous les français… En ce sens, il n’y a pas lieu de nuancer l’accusation : les Lieux de mémoire sont des lieux d’aisance.