Véronique Rieffel lance l’islamania
Publié le 3 mai 2011 par Guillaume Jan
Après avoir fait accourir le tout Paris pour son exposition du quartier de la Goutte d’Or, photographié par l’Anglais Martin Parr, la jeune directrice de l’Institut des Cultures de l’Islam publie un essai sur l’influence islamique dans l’art occidental.
Les yeux bleus Méditerranée de Véronique Rieffel étincellent lorsqu’elle nous raconte, par exemple, le rôle majeur de l’islam dans l’émergence de l’art abstrait en Europe. « La révélation m’est donc venue de l’Orient », s’exclame Henri Matisse (1869-1954) au début du vingtième siècle. A la même époque, Paul Klee (1879-1940) est ébloui par la lumière et les couleurs de la Tunisie, lui qui voulait « rompre avec la tradition picturale occidentale du clair-obscur » ; on dira plus tard que son intérêt pour le cubisme a été accentué par l’architecture épurée de la casbah maghrébine. Quant au Russe Vassili Kandinsky (1866-1844), il trouve dans « la simplicité quasi barbare » de l’art islamique une « profusion à vous donner le vertige », qui l’encourage à poursuivre ses recherches dans l’art abstrait, en se dépouillant du sensible « pour accéder à un niveau de réalité supérieur ». Plus récemment, l’artiste François Morellet (actuellement exposé à Paris, au centre Beaubourg, jusqu’au 4 juillet), confie avoir eu « le choc esthétique de sa vie » dans l’Alhambra de Grenade, devant des céramiques aux formes géographiques dépouillées, répétitives, sérielles.
De Le Corbusier à Jean-Hubert Martin
Prenons un autre art, l’architecture. Le Corbusier (1887-1965) a été fasciné par l’épure des habitations turques ou algériennes. « Il ne l’a jamais caché, précise Véronique Rieffel. Mais c’est tu dans les ouvrages occidentaux. Au cours de mes recherches, j’ai lu des tas de livres sur l’abstraction, je n’ai pas vu une ligne sur l’Islam ! On qualifie, à tort, l’abstrait comme un signe de la modernité occidentale, or l’art des pays musulmans l’a abordé bien avant nous ».
Pourquoi ce silence ? « Notre vision de l’islam est héritée des croisades, avance la jeune femme. D’un côté, il reste une fascination teintée de fantasme pour la sensualité orientale, mais de l’autre il existe une répulsion et une crainte pour la violence qui y est associée ». Les attentats du 11 septembre 2001 n’ont rien arrangé et d’autres « affaires » tricotées par les fondamentalistes, comme celle des caricatures de Mahomet en 2005, ont contribué à envoyer l’islam au purgatoire. Et puis, l’hiver dernier, les révolutions arabes sont venu battre en brèche cette « fragile et mensongère théorie du choc des civilisations, dont le monde artistique offre un contre-exemple éloquent », comme le souligne le conservateur général du patrimoine Jean-Hubert Martin, en préface d’Islamania.
Ce souffle de liberté, associé à « l’élimination » de l’ennemi public n°1 Ben Laden, est la meilleure justification à ce livre, par ailleurs remarquablement illustré. « Désormais, on ne pourra plus opposer islam et démocratie, se réjouit Véronique Rieffel. Les Occidentaux semblent découvrir avec sidération que les musulmans sont peut-être finalement plus proches de ces valeurs qu’on a bien voulu le croire ». Déjà, l’ouvrage signale le retour d’un certain engouement pour ces artistes contemporains qui explorent, souvent avec humour, des questions aussi controversées que celles du port du voile ou de la place de la femme dans la société.
« Remettre en question les évidences apparentes »
Elle complète son cursus avec un passage à Science Po et des études d’arabe aux Langues’O. Ses diplômes en poche, elle part faire un stage d’un mois à Alexandrie, en Egypte – elle y reste finalement trois ans, y ayant dégotté un emploi d’attachée culturelle. « Ensuite, j’ai voulu rentrer en France pour mieux m’imprégner de la création contemporaine, dans tous les domaines ». Elle travaille à la Collection Lambert d’Avignon (qui a fait parlé d’elle au mois d’avril, avec la photo controversée du Piss Christ, un crucifix plongé dans de l’urine), puis s’investit dans la musique, le théâtre, la danse… En 2006, elle est prête à repartir en poste dans les pays arabes. « Et puis j’ai entendu parler du projet de création de l’ICI. J’ai candidaté et j’ai été retenue ».
« Passerelles »
Depuis le mois d’avril, l’ICI bat tous ses records d’affluence avec l’exposition du célèbre photographe britannique Martin Parr, venu en résidence dans le quartier. Dans ce travail ironique et coloré, intitulé « The Goutte d’Or ! », l’Anglais montre la vie quotidienne de cet entrelacement de ruelles peu fréquentées par les touristes, où les gens se connaissent comme dans un village, où les musulmans doivent prier dans la rue le vendredi, faute de place dans les mosquées trop petites… « Mais nous allons y remédier », assure Véronique Rieffel : en 2012 et en 2013, l’ICI devrait ainsi s’agrandir avec deux nouveaux bâtiments, à quelques dizaines de mètres de distance. Sont également prévus des salles associatives, un salon de thé, un hammam, des salles d’exposition et une mosquée suffisamment grande pour accueillir tous les fidèles. « Nous voulons montrer la richesse culturelle de l’islam contemporain en France et en Europe, mais nous souhaitons également continuer de nous ancrer dans le quartier », conclut notre islamaniaque passionnée.
Un commentaire sur “Véronique Rieffel lance l’islamania”
Laisser un commentaire
Vous devez vous connecter pour publier un commentaire.
Véronique Rieffel lance l’islamania
Would Like to know?
Is there a Englisch translation of the book Islamania??????