Comme les honnêtes femmes et les hommes intéressants
Publié le 6 octobre 2011 par Vanessa Postec
Alors ? On le lit ou pas, le dernier Mia Couto ?
L’accordeur de silences, c’est le nouvel opus de Mia Couto, biologiste né au Mozambique en 1955, écrivain aussi largement traduit que salué, jongleur de mots devant l’Eternel littéraire… et l’histoire d’un rendez-vous manqué. Question de timing, d’humeur ou de saison, sans doute, car rien ne cloche dans ce texte, et peu importe le bout par lequel on l’attrape. Atmosphère, -comme si le Cormac McCarthy de La Route (et sa désolante solitude) avait fauté avec Gabriel Garcia Marquez (et son réalisme magique)-, ironie douce-amère, singularité, langue somptueuse, et un nuage de poésie qui plane par là-dessus : tout y est.
Emigrant d’un lieu sans nom, sans géographie, sans histoire
A Jésusalem (rien à voir avec l’autre, son quasi-homonyme, celui-là personne ne se le dispute), là où précisément Jésus Christ viendra un jour ou l’autre se « décrucifier », l’humanité se résume à peu de choses : « Mon vieux, Silvestre Vitalício, nous avait expliqué que c’en était fini du monde et que nous étions les derniers survivants ». Parmi les « survivants », il y a Silvestre, donc, ses deux fils, Mwanito, le narrateur, et Ntunzi, un oncle et un domestique. Point. Final. Même les animaux ont déserté.
L’accordeur de silences de la petite troupe, c’est Mwanito, seul capable d’apporter un peu de paix à son père. Un gamin, « émigrant d’un lieu sans nom, sans géographie, sans histoire », qui grandit au milieu de nulle part et qui tient son journal sur un paquet de cartes à jouer. C’est un gamin que son père, traqué par de vieux démons, a emmené vivre, après la mort de sa mère, dans une réserve de chasse abandonnée, au beau milieu d’une nature dévastée par la guerre, plantée sur les derniers contreforts du monde.
C’est un enfant, enfin, qui jusqu’à ses onze ans, n’a jamais vu de femme. Alors quand une inconnue débarque, une Blanche, une « intruse », c’est tout un monde de silences patiemment tissés qui vole en éclats…
Alors ? On le lit ou pas, le dernier Mia Couto ? Oui, résolument, parce que les journalistes, eux aussi, ont le droit d’être de mauvais poil et que, finalement, ça ne veut pas dire grand chose ; et parce que les romans de cette trempe, surtout, qu’ils s’accordent ou non à notre sensibilité du moment, c’est comme les honnêtes femmes, les critiques objectives et les hommes intéressants : on n’en croise pas si souvent.