Et Edwy Plenel découvrit le fromage
Publié le 11 octobre 2011 par Rédaction LI
Dans un livre de conversations à trois, le directeur de Mediapart et ses amis Elias Sanbar et Farouk Mardam Bey évoquent leur identité française.
Rien ne nous est vraiment dit du dispositif technique de ce trilogue qui fut enregistré et réorchestré par les intéressés. Etait-ce une ambiance de « combibentalité » chère à Edgar Morin (pour faire simple, une bonne murge d’alcool, de bons plats et d’idées partagée), ou une réunion de buveurs d’eau dans un bureau spartiate ou bien encore, quelque dîner studieux de vieux adolescents concurrençant leurs souvenirs de bibliothèque et d’AG ?
Quel bon génie relie ces trois hommes, de la même génération, décolonisation, Guerre d’Algérie, nassérisme, gaullisme, Trente Glorieuses et mai 68 ? Voilà trois intellectuels de gauche et de bon augure, un peu parfois beaucoup débordant d’érudition auto-satisfaite, qui se sont réunis pour évoquer et partager leurs itinéraires. Au fil des pages, on relève les mêmes sources phréatiques de la politique, tandis que les fantômes du philosophe Daniel Bensaïd et de l’écrivain « archipélique » Edouard Glissant tiennent souvent la chandelle et celui de Gilles Deleuze est volontiers le butler.
Compère du Syrien exilé, lorsqu’ils animaient la Revue d’Etudes palestiniennes, Elias Sanbar est le Pessoa palestinien. Des images tremblées de l’exil et des ombres floues de l’avenir, le désormais ambassadeur de Palestine auprès de l’Unesco, arrivé en France, lui, en 1969, en retire une philosophie du déplacement.
Quant au benjamin, l’ancien militant trotskyste Joseph Krasny alias Edwy Plenel, breton écumant l’ultramarin et l’Algérie, revenu au port d’attache en 1970, il fait désormais partie du mobilier médiatique national.
« Trois déplacés »
On regrettera la réécriture un rien compassée parfois de ce trilogue, des formules reprisées aussi qui rendent suspecte la fluidité de la parole, et un entre-soi générationnel et politique de ces amis, sans véritable achoppement, où on est de trop sans doute.
La conversation française aborde les sujets de l’intégration et de l’assimilation, de la crainte de l’enfermement qu’il soit nationaliste, mais aussi religieux, de la laïcité et de la citoyenneté. Mais au fond, même tissé d’argumentation serrée et talentueuse avec le vernis convenu (« Accepter la différence de l’Autre, c’est aussi reconnaître qu’il est notre semblable« ), ce n’est pas tout à fait cela que l’on a envie de retenir du livre. Le lecteur lui aussi est tenté de se déplacer et de chercher le diable, qu’il soit bon et petit ou démon indomptable, dans les détails et les corners de ces entretiens croisés. Edwy Plenel évoque ainsi dans le chapitre le plus réussi du livre, « Trois déplacés », son enfance de petit garçon têtu qui, sur un coup de tête, demande à ses parents de revenir vivre à la Martinique chez ses amis.
Le journaliste déclame également son aversion pour la forme de l’Etat-nation. En toussotant gentiment, Farouk Mardam Bey rétorque que lui aurait bien aimé l’avoir son état-nation syrien.
Quand on parle du « nouveau » avec les mots de « l’ancien »
Au fond, « Notre France » sont les dernières discussions sur un pays en voie de disparition, une sociologie et une manière citoyenne qui n’existent plus dans un monde qui n’est pas encore. Le temps passe et chasse les mentalités fragiles. Ce qui donne dans la bouche du poète Senbar : » Nous sommes confrontés à ce que qualifierais de « classique de la paralysie « . C’est le cas lorsque l’on parle du « nouveau » avec les mots de l' »ancien ». Qu’est le génie de l’Histoire, le propre des visionnaires en politique sinon d’user de la langue de ce qui vient, non de ce qui fût ? » S’enchâssent dans ce livre, une vraie mélancolie pour une Atlantide culturelle, et le sentiment d’un Grand nulle part en attendant une autre France, une toute autre Syrie et un Etat palestinien.