Eddie Chapman, une racaille devenue espion de sa Majesté
Publié le 12 octobre 2011 par Les Influences
A travers le récit passionnant de sa vie insolite durant la seconde guerre mondiale, l’autobiographie de Chapman met en lumière les facettes troubles de la restitution du souvenir.
Dans cette autobiographie, Chapman se raconte avec des mots simples, avec une gouaille qui lui est propre, mélange de franchise et de vanité mâtiné de jargon de truand. L’histoire de cet anti héros se lit comme un roman et on ne peut s’empêcher de frémir à l’idée que ses réelles intentions soient mises à jours par les Allemands.
Si finalement son rôle d’espion reste quelque peu limité – il n’accomplira que deux missions en Angleterre – sa vision de l’Europe occupée et des occupants a une réelle valeur historique, s’inscrivant dans l’idée de l’École des Annales qui ne raconte pas seulement l’histoire à travers les dirigeants mais aussi à travers le peuple. A ce titre, il livre un témoignage précieux sur la propagande nazie et comment celle-ci amène finalement le Reich à sa perte. Il dresse également un portrait moins manichéen de l’occupant allemand, sans jamais évidement excuser le nazisme.
Chapman n’est pas un héros conventionnel. Il se trouvait enfermé dans une prison de Jersey lorsque les Allemands ont débarqué et pris possession de l’île, de sa population et de ses prisonniers. C’est plus par opportunisme et par désir de fuir sa cage qu’il s’enrôle aux côtés des Allemands. Son incroyable audace, son charisme et ses talents d’infiltration font le reste. Son caractère trompe-la-mort et ses capacités à garder son calme lui permettent de passer les nombreux tests destinés à évaluer sa fidélité. Les Allemands le traiteront d’ailleurs très bien. Chapman, ou « Fritz » pour ses nouveaux maîtres nazis, va vivre la grande vie, du château de la Bretonnière près de Nantes aux palaces parisiens en passant par les hôtels d’Oslo.
Après la guerre, il reviendra à sa première activité : celle de cambrioleur avec le désintérêt bienveillant de la police et de la justice britannique.
Combien de fois a-t-il dû se sentir coupable de trahir ainsi ses « amis » avec qui il festoyait ? A la manière d’un James Bond endurci, Chapman parle très peu de ses sentiments. Deux fois seulement, il concède avoir eu peur. Sur sa vie sentimentale, il ne dira presque rien, occultant des traits entiers de son existence. Le maître en désinformation du MI5 se joue également du lecteur. Grâce au travail de François Kersaudy, biographe de Churchill et de Goering qui a annoté cette autobiographie, une autre histoire de Chapman se révèle. Celle d’un homme à femmes qui ira jusqu’à mettre en danger sa couverture en leur parlant de son travail secret. Celle d’un homme mystérieux qui, de façon inexpliquée, indique dans son autobiographie de fausses dates, change les noms, masque les lieux d’opérations ou encore invente des passages entiers de son histoire alors que le livre est écrit dans les années 1960 et que plus aucun de ces éléments ne constituent en eux-mêmes des secrets. Est-ce sa mémoire qui lui joue des tours ou sa formation – pour ne pas dire son endoctrinement – d’espion qui le pousse à masquer des éléments de son récit ? Le travail de mémoire et de restitution des souvenirs est un sujet passionnant et est un élément de réflexion que propose, un peu malgré elle, cette autobiographie. Chapman hésite au cours de ce livre entre franchise et volonté de se préserver, de donner une certaine image de lui : celle d’un héros sans peur et sans tournoiements intérieurs. Pour preuve, il transforme le faux sabotage d’un navire anglais en mission périlleuse alors que le commandant du bateau était tout à fait au courant de sa présence et lui a prêté assistance. L’image d’Épinal de l’agent secret que se battit Chapman vacille et sous le masque on peut apercevoir, par moment, un homme plus complexe qu’il n’y paraît. Ainsi, son récit se finit sur ces lignes destinées à son instructeur et mentor nazi :
« S’il lit un jour ces pages, j’espère qu’il me pardonnera. Je suis sûr qu’il comprendra… »
Pour renforcer sa légende, Eddie Chapman, après la guerre, reviendra à sa première activité : celle de cambrioleur avec le désintérêt bienveillant de la police et de la justice britannique. Cette faveur truculente parachève cette vie extraordinaire.
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Eddie Chapman, une racaille devenue espion de sa Majesté
Pour rappel, TRIPLE CROSS (La fantastique histoire vraie d’Eddie Chapman) film de Terence Young (1966) scénario de René Hardy, av. Christopher Plummer (E. Chapman), Romy Schneider, Trevor Howard, Gert Froebe, Claudine Auger, Yul Brynner, Jess Hahn, Howard Vernon… et un technicolor flamboyant (images d’Henri Alekan).
La couverture du livre reprend une affiche du film.