Saint-Oma taquin…
Publié le 21 mai 2014 par Jean-Luc Hinsinger
Lorsque Madame b., libertine revendiquée, revient vers lui l’invitant tout à trac de la rejoindre dans son alcôve, Thomas ne sait à quel sein se vouer et doute de la confiance à accorder à ses cinq sens…
La scène se déroule au studio Albatros de Montreuil, un lieu chargé d’histoire. Distillerie à l’origine, rachetée par Charles Pathé et sa société Films Albatros dont la devise « Debout malgré la tempête » ne lui évitera pas d’être terrassée par le parlant dans les années 20. Ce n’est qu’en 2000 que le bâtiment est repris pour en faire un lieu dédié aux arts pluridisciplinaires. Depuis quelques années, sous l’impulsion d’Artof Popof, « Traits d’union » s’ouvre « aux expériences artistiques et dissidentes ».
Un lieu attrayant pour Agnès, son esprit affûté et le soutien apporté aux talents prometteurs. Elle y est frappée par un garçon se vidant littéralement les tripes pour des idées : sur le mur, un personnage, intestins émergeant d’un ventre lacéré, aux iléons expulsant des illustrations fortes aux fins contours.
Comment pourrait-il résister à la tentation : team Galerie du Jour et collection automne Agnès b. avec quatre t-shirts de création à la clé. Belle journée pour la première sortie dans le monde d’un artiste débutant !… mais pas novice pour autant, lesté de ses quelque vingt années de cheminement…
À l’école Boulle d’abord où il s’honore du CAP de ciseleur qui « par son sens artistique développé, une compréhension de la forme dans l’espace et des connaissances graphiques et plastiques approfondies, intervient dans la création, la conception, la réalisation et la restauration d’objets issus de l’industrie du bronze d’art ou d’ornement, de l’orfèvrerie et de la bijouterie. Dextérité, exigence, précision, persévérance, goût pour l’histoire de l’art et créativité sont aussi des qualités nécessaires pour s’épanouir dans cet art pratiqué dès la plus haute antiquité. » Nonobstant, le jeune Thomas trouvera l’exercice pas assez inventif, insuffisamment motivant…
Puis les beaux-arts. Le jeune homme pense s’inscrire à Epinay… Oups ! Erreur de lecture, il signe à Epinal. C’est de bon cœur qu’il rejoint l’agréable bourgade vosgienne. Il y passe de belles et bonnes années testant et affinant son identité graphique. Ce qui est sûr, il ne sera pas l’héritier des images naïves et colorées qui ont fait la gloire de la région.
De retour à Paris… c’est la ritournelle des magazines, Thomas enchaîne les illustrations en solo ou à quatre mains avec sa complice illustratrice Ghislaine.
Sa passion pour le jazz lui permet de se confronter aux Coltrane et autre Monk, dont il traduit les thèmes favoris sur papier en chorus avec les mouvements dada et constructivistes.
Il entame parallèlement une relation avec le world wide web par la création de sites. Mais les attraits du numérique ne pourront rien contre le charme de ses premières amours papivores!

Durant tout ce temps, couvait au plus profond de Thomas un magma en fusion, en mode « tempête sous un crâne », qui le suivra tout au long de son parcours, questionnements existentiels omniprésents !
Hugo le disait, « il y a un spectacle plus grand que le ciel, c’est l’intérieur de l’âme ».
C’est ce cheminement que suivra Thomas. Il trouvera au fil des années une expression graphique et intellectuelle épanouissante. Il décide alors de s’appeler Saint-Oma.
Agnostiques, catéchumènes, le moment est venu d’éviter tout malentendu. Ce nom d’artiste, ce blaze, ne fait en aucune façon référence au faux-ami de Jésus, celui qui contestait l’imagination au pouvoir, ancêtre de Descartes, mais à Saint-Thomas D’Aquin à classer au rayon philosophie… car la philo est LA grande passion de Saint-Oma qui y consacre toutes ses lectures en loisir ou à la bibliothèque de l’ENS où il se rend quelques demi-journées par semaine contre quelques subsides et la lecture de quelque ouvrage de philosophie savante.

Ces trajets sont l’occasion pour Saint-Oma de noircir carnet sur carnet, y traçant les idées glanées au gré de ses observations. L’être humain est pour lui source de curiosité inépuisable, pas tant pour son enveloppe charnelle que pour son moi, son soi, son… surmoi !
Cette lubrification neuronale intensive permet à dessein l’enchaînement des idées. Celles-ci suivent le cours d’un long fleuve tranquille, où la main libérée de toute entrave se laisser aller vers des esquisses toujours surprenantes, originales et parfois inattendues. Son trait fin et précis est celui d’un bistouri furetant « les entrailles de l’esprit », décortiquant ses travers, mettant ses contradictions à nu, sans échappatoire ni concession !

Si au premier regard, une danse macabre semble mener le bal, à la manière d’un Jérôme Bosch nous entraînant inexorablement vers les rives du Styx entre douleur et souffrance, c’est à une enième version de la « comédie humaine », sarcastique, caustique, toujours mâtinée d’humour que se livre Saint-Oma avec une malice jubilatoire, un univers … Abracadabras… dantesque !

Si la rue fut témoin de ses premiers pas, immédiatement buzzés sur les réseaux sociaux, l’Albatros de Montreuil constituera la première étape d’un parcours en pleine accélération en 2014.
En février, Saint-Oma expose collectivement à Saint-Denis au Pavillon des artistes (le Pav’art) ancien bâtiment de la Sécurité sociale, aujourd’hui squatté, ou en termes choisis « théâtre d’une occupation citoyenne », poche de résistance coincée entre les deux mastodontes que sont le Stade de France et le centre nautique La Baleine… Saint-Oma aura l’occasion d’y céder sa toute première œuvre, peinture sur bois titrée en toute dualité « Les uns conscients »… Si le titre de l’œuvre ou le cartel, par ses jeux de maux, fait partie intégrante de l’œuvre… il laisse la porte ouverte au ressenti ou à l’interprétation de chacun.

Dès le mois suivant, Agnès b. et la Galerie du Jour relaient les lieux alternatifs en lui offrant les cimaises du Salon International du Dessin contemporain – Drawing Now – dans un Carreau du Temple enfin rénové.
L’aventure se poursuit en ce mois de juin par sa toute première exposition personnelle, au Cabinet d’amateur qui, décidément, n’en rate pas un. L’artiste présentera des œuvres nouvelles « classiques » agrémentées de quelques surprises ! Patience…
Il y a une vingtaine d’années déjà, de son « exil » spinalien, Saint-Oma, énonçait sa règle du je : « J’ai prospéré en digérant les gens, à chaque fourchetée mes biens décuplaient. »