Influences (n. fem. pluriel)
  1. Fluide provenant des astres et agissant sur la destinée humaine.
  2. Action exercée sur quelqu’un.
  3. Action exercée sur quelque chose.

Les Influences

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#Charles Péguy #Nietzsche #Rémi Brague #Zeev Sternhell

Rémi Brague, ou le nouveau chic théologien

Publié le 7 juillet 2014 par

Quand la possibilité d’une pensée fasciste nouvelle et revisitée s’immisce très précisément dans le nihilisme contemporain professé par Monsieur Rémi Brague

En mémoire de Daniel Bensaïd

jugnon.gif Mais que dire de l’homme, et n’encourra-t-il pas le commun mépris, le mépris des uns et des autres, des fidèles et des infidèles, que dire de l’homme qui veut tromper les uns et les autres, qui veut toucher aux deux guichets, qui veut jouer les deux jeux, tenir les deux termes ensemble du pari, émarger aux deux listes, figurer à la fois sur les listes temporelles et sur la liste éternelle. L’homme qui d’une main fait semblant de croire pour se faire une grosse carrière temporelle dans le monde pensant, tromper les catholiques, se faire une (grosse) clientèle catholique ; et de l’autre main. De l’autre main l’homme qui a honte, l’homme qui tremble de honte que quelque fois on ne croie qu’il croit[[ Charles Péguy, Un nouveau théologien, Monsieur Laudet, p 67, Gallimard, 1936.]].

Charles Péguy

La capacité que l’homme possède de se sacrifier montre qu’il est capable de faire passer le Bien avant l’Etre. Le sacrifice dont il est question ici est tout autre chose que le suicide. Celui-ci supprime l’être faute de voir qu’il ouvre sur le Bien. Ici, il s’agit au contraire de comprendre qu’il y a un Bien qui nous est accessible au-delà de la simple existence. Ce Bien, nous pouvons le vouloir ; voire c’est dans et par la volonté qu’il nous devient accessible. Ce rapport au Bien qui s’établit dans la volonté est la foi. On peut peut-être transposer ce qui vient d’être dit du sacrifice à ce «  sacrifice de l’intellect  » qu’est la foi[[ Rémi Brague, Les Ancres dans le ciel, p 124, Champs/Flammarion, 2013.]].

Rémi Brague

Pour Zeev Sternhell, l’historien israélien spécialiste de l’histoire des droites françaises au vingtième siècle, est fasciste et français, ce qui constitue un dénominateur commun avec tout autre fascisme, «  une velléité révolutionnaire fondée sur le refus de l’individualisme, du capitalisme, du libéralisme, du déterminisme marxiste et de sa variante social-démocrate, du désordre démocratique et de la médiocrité bourgeoise. [Les fascismes] ont tous en commun une conception de l’individu comme animal social, partie intégrante d’un tout organique [[ Zeev Sternhell, Ni droite ni gauche, l’idéologie fasciste en France, p 213, Folio/Gallimard, 2012.]] ».
Pour l’historien, le fascisme est donc français et il est un fascisme moderne depuis la fin du XIXe siècle ; le fascisme semble même d’abord français, on devrait dire : Fascisme, les français d’abord.
De plus, toujours selon Sternhell, on pourrait dire: Fascisme, terre et sang d’abord. Ce qui se déclinerait en : Dieu, Nature et Nation toujours.
L’idéologie fasciste et française est donc «  une idéologie de rupture par excellence, [elle] signifie le refus d’une certaine culture politique associée avec l’héritage du XVIIIe siècle et de la Révolution française. Il entend bien jeter les bases d’une nouvelle civilisation. Une civilisation communautaire, anti-individualiste, seule capable d’assurer la pérennité d’une collectivité humaine où seraient parfaitement intégrées toutes les couches et toutes les classes de la société. Le cadre naturel de cette collectivité harmonique, organique, est la Nation. Une nation épurée, revitalisée, où l’individu n’est qu’une cellule de l’organisme collectif ; une nation jouissant d’une unité morale que le libéralisme et le marxisme, tous deux facteurs de dissociation et de guerre, ne sauraient jamais lui assurer. Ce sont là les composantes majeures du «  minimum  » fasciste [[ Idem, p 208.]] ».
Il y a bien là, dans ces définitions du fascisme, comme une catholicité à l’œuvre. De là à ce que cet universel se fasse catholique et théologique, moderne et à la française, il n’y a qu’un pas. Que Monsieur Brague franchira lestement chaque fois que le logos l’interpellera en sujet médiatique et circassien. Le minimum fasciste est dépassé depuis longtemps dans l’idée et dans la France chrétienne de 2014.

Nietzsche est ce philosophe allemand du 19ème siècle (mort en 1900) que toutes les extrêmes droites aiment à citer et à violer dans le texte pour en faire leur garant de salubrité politique et culturelle 

remi-brague-photo.jpgMonsieur Brague, (photo ci-contre, source LaProcure.com), le philosophe catholique français, se moque chaque jour que Dieu fait du grand philosophe européen Friedrich Nietzsche. Nietzsche est ce philosophe allemand du 19ème siècle (mort en 1900) que toutes les extrêmes droites aiment à citer et à violer dans le texte pour en faire leur garant de salubrité politique et culturelle : la nouvelle droite en France, elle, se moque tous les jours que les dieux font de Nietzsche en en faisant leur inspirateur, leur grand penseur et leur philosophie de sang. On peut donc penser que le Nietzsche dont parle Monsieur Brague est le même que celui à partir duquel Alain de Benoist fait titres, images en noir et blanc années trente dans sa revue naturiste et fascisante nommée Eléments : il y a bien une culture extrême droite de Nietzsche mais c’est une culture nihiliste de l’émondage et du bouturage qui n’a rien à voir avec l’humanisme athéistique du philosophe allemand.

De fait, Monsieur Brague dit à qui veut l’entendre à la télévision et à la radio qu’il aime Nietzsche, mais c’est souvent pour le tuer de sa propre main une seconde fois, puisque mourir est un gloire. On tiendra ici que c’est d’un nihilisme très contemporain de pousser ainsi la pensée à jouir d’elle-même en s’amusant de la pensée de l’autre, en ironisant, blaguant et faisant mine de ne pas être dupe. On montrera que cette jouissance rendue publique fait tout le fascisme d’un contemporain perdu pour la véridicité et à la recherche du chef, de sa tête, de l’ordre et de sa Nature. Ce fascisme très contemporain donnera toujours dans l’ésotérisme qu’il lui faut pour avancer masqué et malin, mais la philosophie moderne saura toujours dénoncer la politique que cela fera et la théocratie que cela vendra.

Monsieur Brague travaille à deux mains en tant catholique et philosophe, professeur à la Sorbonne et théologien, ami du genre humain et chrétien.
La droite française extrêmement chrétienne refait ainsi le coup du nihilisme à la démocratie, à Nietzsche et à la vie quotidienne.
Monsieur Brague, en tant que philosophe catholique et médiatique, cite Nietzsche à tout va pour, au nom de l’antichristianisme de ce dernier, s’en servir contre lui-même en le traitant de nihiliste, de chien et d’homme de peu de foi. Ce qui dans la bouche de Monsieur Brague vaut insulte, condamnation, ironie contre l’athéisme en général et expulsion du territoire philosophique idéaliste et franco-allemand. On peut ajouter ici que le projet de Monsieur Brague est celui aujourd’hui d’une métaphysique radicale, au sens de aussi «  radical  » que le fut l’athéisme d’un Pol Pot et que l’est, selon lui, en 2014, celui d’un Alain Badiou, comme l’on se doit de «  penser  » à droite. Cela promet une philosophie française qui reprendrait le goût du sang et une métaphysique les armes : une odeur de croisade, de grand cirque christique, de goupillon et de sabre revient que même les Guaino, Zemmour et autres Barjot n’osaient voir venir. C’est Monsieur Brague qui désormais chauffe cette salle de garde.

Il y a donc un anti-nietzschéisme qui à l’usage et dans les formes qu’il prend construit la possibilité d’un fascisme français, nouveau et moderne.
On lit cela au fur et à mesure de l’utilisation des thèses nietzschéennes par Monsieur Brague en son petit livre théologique, livre paru en poche et livre à succès, nommé Les Ancres dans le ciel : le maritime ici sert la métaphore religieuse critique, perdus pour la terre, nous nous retrouvons au ciel, quand nous sommes enfin morts. Le poids de l’homme ne vaut pour Monsieur Brague que poids mort, lourdeur et misère inclus et fixées au ciel du Bien éternel et du Vrai maximum. Ces ancres mises au ciel sont celles qui laisseront tomber, remis en terre, tous les fascismes que l’on voudra puisque somme toute l’homme est coupable et sa vie ne vaut pas la peine d’être la Vie.

Il faut tenir ici que le retour de la métaphysique et la montée en puissance des extrêmes droite en Europe annonce, au-delà d’un anti-nietzschéisme de façade philosophique, un nihilisme vrai qui continuera à faire dire à Monsieur Brague que la vie sans Dieu ne vaut absolument pas la peine d’être vécue

La possibilité d’une pensée fasciste nouvelle et revisitée s’immisce très précisément dans le nihilisme contemporain de Monsieur Brague lorsqu’il cherche à mettre sur le dos de Nietzsche lui-même et le fascisme, et le nihilisme, et la Terre, et le Sang et le nazisme pendant qu’on y est : tout cela balancé avec goguenardise et gourmandise critiques mais dans l’implicite, dans la citation tronquée, dans la paraphrase mensongère et dans les jeux de mots vaguement drôles. De telles «  ancres  » font en effet de gros nuages noirs dans un ciel pavé de lourdes intentions bottées et très droitières.
Il n’est que de se souvenir de ce que les fascismes des années trente ont dit et fait de Nietzsche pour aujourd’hui soupçonner les livres, les magazines, les journalistes, les critiques et les penseurs qui en viendrait à écrire sur un Nietzsche sans matérialisme, sans anti-christianisme, sans athéistique et sans humanisme démocratique de collusion avec la réaction, c’est-à-dire avec le désir tellement légitime de valoriser dans la culture française et la politique chrétienne européenne la pensée de droite radicale, l’ordre catholique théocratique et la tradition dans sa phase ésotérique et souvent russophile ; on notera que le fascisme à la russe – selon Edouard Limonov et Alexandre Douguine – ne peut être, lui, accusé de venir ou s’inspirer du nazisme car il aurait , lui seul, et au nom du «  communisme  » et du nationalisme, bouté dehors les fascistes eux-mêmes et gagné la guerre à Stalingrad au nom de l’Europe, du Christ et de l’anti-démocratie. C’est là le spectre qui hante l’Europe de l’avenir : la confusion du langage humain.
Monsieur Brague de son côté lit Nietzsche en allemand et semble le penser en russe, en passant par Moscou et Poutine, et le christianisme originel de toutes les Russies : en 2014, on ne peut pas être plus orthodoxe et plus «  catholique  ».
On ne prendra pour finir qu’un exemple d’un tel détournement dans Les Ancres du ciel et justement sur la question du nihilisme – la question du nihilisme est donc ce qui aujourd’hui permet de faire la part du devenir-fasciste d’un certain christianisme et d’un autre progressiste, humaniste et cosmopolitique (on pensera ici à Christian Terras et la revue Golias qui réalise et rendent vivant et digne cela) –, Monsieur Brague écrit :
«  Il me faut (…) commencer par attirer l’attention sur un second phénomène de la culture européenne, parallèle à l’abandon de la métaphysique qu’il prolonge et radicalise, tout en ayant des conséquences pratiques. Je veux parler de la montée en puissance de ce que l’on appelle le «  nihilisme  ». (…) Le nihilisme reçoit enfin une orchestration et une consécration philosophique toute particulière chez Nietzsche, qui y voit le phénomène destiné à dominer l’histoire des deux prochains siècles. Pour lui, le nihilisme est «  le plus inquiétant des hôtes  », le «  danger des dangers  ». Nietzsche n’avait pas pour projet de résister au nihilisme en s’y opposant, en tentant de construire des barrières ou des digues. Il cherchait au contraire à le dépasser en le poussant jusqu’au bout [[Rémi Brague, Les Ancres dans le ciel, p 31, Champs/Flammarion, 2013.]] ».
Or, et bien entendu, Nietzsche aura résisté à l’hitlérisme dans La généalogie de la Morale, il résistait d’abord au christianisme et il résistait toujours à tous les idéalismes : autrement dit, il détruisit au nom de la vie toute la métaphysique et Monsieur Brague comme Herr Heidegger en son temps ne veulent rien en savoir, ils veulent surtout ensemble ne pas voir cette tache fasciste qu’ils ont comme marquée au dos de leur pensée, ou au coin sombre de leur philosophie méta-critique, méta-politique et méta-esthétique.

Il faut tenir ici que le retour de la métaphysique et la montée en puissance des extrêmes droite en Europe annonce, au-delà d’un anti-nietzschéisme de façade philosophique, un nihilisme vrai qui continuera à faire dire à Monsieur Brague que la vie sans Dieu ne vaut absolument pas la peine d’être vécue (ne pas faire d’enfants et ne pas se suicider non plus), que la foi est le seul moyen de faire la guerre au Mal et aux Musulmans (ne pas manifester son désir d’avenir juste et humain) et que la mort doit remplacer la vie dans la tête des pécheurs, des femmes et des enfants de la honte démocratique (ne rien attendre des autres, tout voir ancré dans le ciel et réservé aux meilleurs d’entre nous).

Il y a clairement ici tout ce qui peut constituer pour demain et en Europe chrétienne un cathofascisme au pouvoir.

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4 commentaires sur “Rémi Brague, ou le nouveau chic théologien

  1. Rémi Brague, ou le nouveau chic théologien
    Cher Alain, il y a du Karl Kraus dans ta diatribe.
    En 1933, sa 3eme Nuit de Walpurgis est nette sur Heidegger le servile versus l’irrécupérable Nietzsche. La fameuse photographie de H. devant le buste aphasique est une escroquerie médiatique qui a la vie dure :
    « Ta seule supériorité c’est qu’il a une tête en marbre et que tu es un pantin vivant » Juvénal – Satires.

  2. pour vivre heureux, vivons en pets !
    c’est pas pour lui trouver des excuses, mais il fallait bien qu’il trouve quelque chose pour faire l’original, c’est aujourd’hui jusqu’à… Gramsci, qui en toute flatulence, est mis au service de mauvaises causes.

    1. pour vivre heureux, vivons en pets !
      Le cathofascisme à l’œuvre veut se refaire une origine dans la poésie, pour se refaire une santé politique et donc philosophique : viol en direct de la pensée contemporaine en vomissant pour se faire mal à l’âme malade Bataille, Artaud, Genet, Daumal; tous suicidés de la chrétienté.

      1. pour vivre heureux, vivons en pets !
        qu’ils se suicident, tant qu’ils le veulent -on ne devrait pas les regretter. Le problème est qu’ils se voient déjà nous entraîner avec eux dans leur suicide collectif, mon dieu quelle horreur.

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