Influences (n. fem. pluriel)
  1. Fluide provenant des astres et agissant sur la destinée humaine.
  2. Action exercée sur quelqu’un.
  3. Action exercée sur quelque chose.

Les Influences

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Bilan 2014 d’une année de bande dessinée

Publié le 4 janvier 2015 par

«  5 410 ouvrages appartenant au monde du 9e art ont été diffusés dans les librairies francophones ou via Internet en 2014, contre 5 159 en 2013 (soit une augmentation de 4,64 %), sans pour autant atteindre le record de 5 565 établi en 2012.  »

Comme chaque fin d’année, Gilles Ratier, secrétaire général de l’ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée) publie son très attendu rapport sur la production annuelle de bande dessinée dans «  l’espace francophone européen  ».
Le fait d’afficher un sous-titre qui mette en avant la caractéristique principale de l’année est un projet louable, encore faut-il parvenir à bien la cerner. 2013 avait été désignée comme «  l’année de la décélération  », ce qui était parfaitement adéquat puisque signalant une décrue du nombre de nouveaux titres après une croissance ininterrompue pendant 17 ans. La désignation de 2014 comme «  l’année des contradictions  » est moins heureuse.

Les contradictions que l’auteur énumère dès le début de son rapport, dans la page de synthèse, sont les suivantes :
• «  la production de bandes dessinées est de retour à la hausse, mais les tirages moyens sont une nouvelle fois en baisse ;
• l’économie générale du secteur se maintient, mais le niveau de vie des auteurs professionnels est préoccupant ;
• le nombre d’éditeurs ne cesse de s’accroître, mais les groupes leaders du marché se démarquent de plus en plus ;
• la diversification du secteur reste dynamique, mais la vigilance et la prudence plus que les innovations dominent dans un marché en manque de visibilité  »

Bien que les assertions soient plutôt pertinentes, elles peinent à être retenues comme des faits réellement marquants.
A titre d’exemple, si l’on reprend le premier point, la hausse du nombre de titre par rapport à l’année précédente demeure un peu anecdotique : comparés au nombre de parution des trois années précédentes (5 327 titres en 2011, 5 565 en 2012, 5 139 en 2013), les 5 410 titres de 2014 induisent plutôt une relative stabilité du marché.
En revanche, même si les notules journalistiques se polarisent sur une évolution annuelle, tout l’intérêt du Rapport Ratier est de fournir des données sur un laps de temps beaucoup plus long. Lorsque l’on compare les 5 410 parutions de 2014 aux 1 563 de 2000, on subodore mieux les bouleversements en cours.
Le lien opéré entre hausse du nombre de titres et baisse des tirages, dans ces circonstances, pourrait passer comme bien trivial. Mais puisqu’il s’est trouvé contesté par un journaliste spécialisé, au mépris du plus élémentaire bon sens, on se dit que Gilles Ratier a bien raison de ne pas s’abstenir d’enfoncer des portes ouvertes. Car point n’est besoin d’avoir fait de longues études économiques pour comprendre que si le nombre de titres est multiplié par plus de 3 en 14 ans, il y a de forte probabilité pour que cela entraîne une baisse significative des tirages, sauf à ce que le marché s’accroisse d’autant. Mais, selon une étude citée par Xavier Guilbert dans un autre rapport, Numérologie 2014, la bande dessinée a plutôt perdu des lecteurs, et l’on peut tenir pour probable que ceux qui restent n’auront pas augmenté leur consommation dans des proportions suffisantes pour opérer une compensation.

Le nombre de nouvelles parutions demeure un indicateur nécessaire mais non suffisant pour juger de la bonne santé économique d’un secteur. Et c’est pourquoi Numérologie 2014 s’avère un complément de lecture bienvenu. Il se présente comme «  une analyse économique du marché  », même si son préambule avoue plus modestement se vouloir «  un état des lieux d’une réflexion qui se poursuit encore  ».

La diminution des tirages, et par ricochet des droits d’auteurs sur les exemplaires vendus, entraîne une précarité des auteurs. Le rapport Ratier rapporte que, selon le SNAC (Syndicat national des auteurs et des compositeurs), «  50 % de la profession, en France, gagnerait moins que le SMIC  ». Pour le moment, cela n’a pas eu de conséquence sur la qualité de la production. Certes, les éditeurs continuent de privilégier les séries (5 titres seulement parmi les 50 plus gros tirages y échappent, et encore, ces exceptions restent toutes en lien direct ou indirect avec d’autres volumes – Happy Parents de Zep, La Couleur de l’Air de Bilal, et de manière encore plus évidente : L’Arabe du futur de Sattouf, Moi René Tardi prisonnier de guerre au Stalag II B de Tardi, et Blast de Larcenet – mais cela n’empêche nullement la production d’une multitude d’ouvrages forts et singuliers. Rien ne prédit d’ailleurs que les éditeurs vont se concentrer sur les valeurs sûres, au détriment de la qualité et de l’innovation. Ils risquent plutôt de continuer de diversifier au maximum leur production en occupant toutes les niches. Car les statistiques du rapport Ratier montrent parfaitement que, sur dix ou quinze ans, bon nombre de leurs séries vedettes ont vu leurs tirages et leurs ventes divisés par deux ou par trois. C’est par exemple le cas de Boule et Bill, Buck Danny, Cédric, Marsupilami, XIII, Lanfeust, etc.
Autre chiffre parlant : en un an, le nombre de séries tirées à plus de 50 000 exemplaires a chuté de 20 % par rapport à l’année dernière.
Au sein de ce paysage chahuté, les éditeurs – et les auteurs – dits alternatifs sont les plus en danger, d’autant que les groupes les plus puissants, comme cela a été dit, continuent d’occuper tous les terrains. Les 50 titres retenus par les membres de l’ACBD qui clôt le rapport propose un palmarès 2014 certes partiel et critiquable mais parfaitement estimable et défendable, qui interdit de penser que les gros éditeurs concentreraient leurs efforts sur les séries les plus commerciales au détriment de la qualité.

Malgré une loi des séries qui continue de s’imposer, la production de récits en un seul volume n’a jamais été aussi nombreuse. Aucun courant ni école ne dominent et l’offre de bande dessinée est d’une diversité extrême. Cela devrait en accroître grandement le lectorat. Or, il n’en est rien. Ce n’est pas succomber au populisme que d’en faire porter la faute partielle aux médias qui, s’ils n’ont jamais accordé autant d’articles et notules à la bande dessinée qu’aujourd’hui, peinent à assurer le même travail de médiation que pour la littérature générale et le cinéma. Le seul à faire correctement son travail est assurément Le Parisien qui, en outre, ne se contente pas d’assurer la promotion des titres les plus conventionnels. Mais il n’est pas certain que ce soit le lectorat de ce quotidien populaire qui fréquente le plus assidûment les librairies. En l’absence de tout repère, nombreux sont ceux qui passent à côté de livres qui leur conviendraient à merveille.

Le rapport de Gilles Ratier n’est pas sans défauts. Il opère en effet des segmentations qui sont critiquables, soit parce qu’elles sont inutiles (par exemple, dans la distinction entre les «  trois principaux groupes  » et les «  douze autres plus importants éditeurs  »), soit parce qu’elles ne répondent pas à des critères objectifs (on ignore si les livres de Taniguchi sont classés dans la catégorie «  mangas  » ou la catégorie «  romans graphiques  », de même qu’on ignore les critères d’appartenance à la catégorie «  éditeurs alternatifs »).
Mais certaines étiquettes, fussent-elles imparfaites, peuvent au moins procurer une aide aux lecteurs en mal de repères.
Rien pourtant ne pourra remplacer la médiation d’un(e) critique ou d’un libraire qui sera seule en mesure d’orienter le lecteur a priori intéressé par les seuls romans graphiques, supposés en noir et blanc et d’un format d’un roman de littérature générale, vers d’autres rayons. Par exemple, celui des albums cartonnés/couleur où il pourra dénicher, à proximité des séries conventionnelles, les volumes de l’étonnant Blast. Ou encore, celui des comics où sont rangées, à côté des intrigues à la psychologie sommaire mais riche en bastonnades, des séries qui excellent à exposer avec intelligence les grandes problématiques de notre temps.

Hormis un grand nombre de livres sur fond de guerre de 14-18, centenaire oblige, rien ne caractérise l’année 2014. La bande dessinée continue de briller par sa diversité, en assurant une présence dans de multiples catégories : genres traditionnels (polar, fantastique…), biographies, autobiographies, reportages, sans compter tous les livres si singuliers que l’on échoue à les enfermer dans une case… Il y a tout lieu de s’en réjouir.

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