Carrefour aux mains sales
Publié le 3 février 2016 par Arnaud Vojinovic
En Corée, The Awl est la série qui a fait le buzz fin 2015. Adaptée d’un webtoon, la série se penche sur les pratiques managériales et anti-syndicales de l’enseigne de supermarchés Carrefour lors de sa présence en Corée du Sud.
Carrefour s’est installé en Corée du Sud en 1996. Après dix ans d’activités, le groupe possède 32 hypermarchés dans le pays. Mais si le français a su mettre en place sa politique « bas prix » qui lui a assuré un certain succès pendant un temps, ses concurrents ont vivement réagi et ont attaqué la chaîne frontalement à coup de guerres commerciales. De guerre lasse en 2006 Carrefour jette l’éponge et recherche un repreneur. Au final les 32 hypermarchés qui prendront l’enseigne Homeplus et les 24 galeries commerciales sont cédés à l’anglais Tesco.
Mais afin de rendre la mariée plus belle, le management de Carrefour pousse sans ménagement vers la sortie ses salariés. C’est l’émoi parmi les 6400 salariés et la colère gronde avec des menaces de grève. Si Carrefour s’habille de toutes les vertus en France, il faut croire que cela n’est pas le cas dans les pays dont la Corée du Sud où la législation du travail est plus lâche et peu regardante sur les irrégularités concernant le respect des droits des travailleurs[[Les fournisseurs ont aussi lourdement souffert de « pratiques commerciales inéquitables » comme le soulignait L’Expansion.]].
Pourtant la véritable charge contre Carrefour viendra du web. C’est un webtoon de Choi Gyu-seok (« Songgot » traduit en Awl) publié fin 2013 qui se penche là aussi sur des événements qui ont eu lieu dans un des magasins du groupe. En juillet 2007, quand le personnel temporaire est renvoyé sans ménagement, la grève est votée. Le conflit durera au final 510 jours. L’adaptation du webtoon en une série de 16 épisodes diffusée sur JTBC a fait un carton. L’histoire a pour héros Lee Soo-in ancien officier de l’armée. Quand son management lui demande de limoger le personnel intérimaire, il se rebelle et rejoint les grévistes. Choi Gyu-seok ne manque pas de faire des références au géant français de la grande distribution : le magasin où se déroule l’action se nomme Fourmis Mart, Gaston Dubois est le représentant du siège etc …

Gaston Dubois est bien plus qu’un représentant puisque c’est lui qui est en partie responsable du conflit qui éclate du fait des pressions qu’il exerce sur le management coréen :
Il ne faut pas croire que cette série est caricaturale, elle est bien le reflet des agissements du groupe Carrefour. Alors que ce dernier usait d’une novlang vertueuse, allant jusqu’à vouloir ne considérer comme offre de rachat « que des propositions émanant d’acteurs de premier plan, garantissant notamment le respect des engagements vis-à-vis de ses employés, des fournisseurs et des partenaires publics ou privés », sur le terrain les équipes françaises se sont montrées sans pitié pour les employés coréens. Entre un conflit qui dégénère, une amende pour pratique commerciale inéquitable et l’intervention du fisc coréen dont une perquisition spectaculaire menée par 50 inspecteurs de l’administration fiscale, pour bloquer le rapatriement des profits sur cessions d’actifs, les derniers mois de présence de Carrefour en Corée du Sud n’auront pas été de tout repos. Le rêve de succès à l’international du groupe dont la Corée était une étape, s’est avéré un cauchemar aussi bien du côté coréen que du côté français.