Influences (n. fem. pluriel)
  1. Fluide provenant des astres et agissant sur la destinée humaine.
  2. Action exercée sur quelqu’un.
  3. Action exercée sur quelque chose.

Les Influences

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#Lee Seung-u #Serge Safran éditeur

La Baignoire

Publié le 22 février 2016 par

La Baignoire (Serge Safran éditeur), drôle de titre pour un court roman, emblématique de l’œuvre de Lee Seung-u. Mais ne vous y fiez pas, emporté par une atmosphère tout à la fois étrange et poétique, le lecteur pourrait bien s’y noyer.

unnamed.jpg Lee Seung-u est un auteur à part dans le paysage littéraire coréen. Son écriture est souvent qualifiée de précieuse par ses détracteurs, en tout cas bien loin de la littérature populaire dont les Coréens sont si friands; à titre d’exemple La vie rêvée des plantes publié chez Zulma en 2006 s’est mieux vendu en France qu’en Corée du sud. L’intrigue importe peu pour notre romancier et seule compte la trame narrative. Comme il le souligne : « Je construis mes phrases comme un oiseau construit un nid, brindille après brindille. Une brindille seule n’a aucun sens. Seul le tout, le nid, est cohérent. » Il en ressort une œuvre complexe où l’on perçoit que l’auteur fait preuve d’une forte exigence vis-à-vis de son travail.

La Baignoire [[Publié initialement en 2006, le titre original est Chambre avec baignoire]] édité par Serge Safran éditeur est une œuvre emblématique de ce travail. En premier lieu on retrouve ce héros typique, le même profil que celui du roman Ici comme ailleurs; un homme qui semble étranger partout où il se trouve, qui ne sait jamais s’il doit y aller ou pas, un devenir suspendu entre idéal et réalité. Alors que son couple se délite, sa femme se rapprochant de son ex, le héros est nommé pour six mois dans une obscure ville de province. C’est là où réside cette femme qu’il a brièvement rencontrée au Mexique lors d’un voyage d’affaires. Il prend contact avec elle. Elle lui propose de le loger durant le temps de sa mission. Ils deviennent amants. Alors qu’elle est diplômée d’une maîtrise de psychologie et qu’elle travaille dans une association féministe, spécialiste du dialogue au sein du couple, il semble s’installer entre eux une absence de communication. La situation est pesante. A terme, il ne supporte plus de l’entendre chaque nuit prendre un bain, d’entendre l’eau couler sans cesse et décide de partir. Le récit a pour toile de fond le retour dans cet appartement qu’ils ont partagé.

Avec ce thème du héros étranger, La Baignoire aborde un des autres thèmes fétiches de l’auteur et qui est, pour celui-là, la véritable colonne vertébrale du récit: l’eau. Lorsqu’il était enfant Lee Seung-u vivait au bord de l’eau. Les vagues venaient parfois se briser sur les fondations de la maison familiale lorsque la mer pénétrait dans la cour intérieure. Il lui est resté de cette époque une fascination morbide pour l’eau, à la fois sujet de contemplation mais aussi de peur. La Baignoire en ressort très fortement marqué par cette fascination, l’eau en devient une véritable allégorie de la mort. En effet cette femme, guide de profession, travaillait au Mexique quand l’avion qui transportait son mari et son fils venus la rejoindre, s’est abîmé en mer. Cette perte apparaît insurmontable. Et lors de la première rencontre, au cours d’une promenade sur une plage, le reflet de la lune sur la mer balise le chemin pour rejoindre son mari et son fils. «  Enfouissant son visage dans votre poitrine, elle vous avait dit : « Comment les rayons de la lune peuvent-ils être aussi lumineux … » et vous aviez compris : « Je pourrais mourir maintenant ».  » De retour en Corée, bain après bain, page après page du récit, elle s’efface. Son dernier SMS : « Je t’en prie, viens chercher ton rasoir et ton cadre », est à la fois une introduction au roman et une conclusion de la relation qu’ils ont nouée avant une complète disparition. Quand il arrive chez elle, elle n’est plus là. Seule reste cette baignoire pleine et des souvenirs épars, ondes à la surface de l’eau.

L’intrigue simpliste est l’occasion d’amener à une réflexion plus profonde. Le choix d’un narrateur s’exprimant à la deuxième personne crée un terrain propice à une forme de psychanalyse, le narrateur n’étant que le miroir dans lequel se reflète les sentiments du héros. On quitte le domaine de l’introspectif pour rejoindre celui du descriptif pas si éloigné d’une analyse freudienne. Si ce procédé narratif n’est pas un cas rare dans la littérature coréenne, il reste néanmoins déstabilisant pour un lecteur francophone. Il en ressort une ambiance propre au roman, très particulière et qui ne peut laisser indifférent.

Entre autre expérimentation, l’auteur se tente à la répétition. A soixante pages d’intervalle, à l’exception d’une phrase, trois pages sont répétées. C’est un artifice dont use de temps en temps Lee Seung-u dans certains écrits. Si en coréen, une infime différence dans les deux passages peut en changer complètement le sens, en français, le résultat est bien loin de l’effet escompté.

La Baignoire est un roman à part. Un livre immersif où le lecteur doit se laisser emporter par la magie des mots, des phrases, des métaphores qui viennent sublimer cette relation entre les deux amants qui l’un comme l’autre ne sont pas en mesure de s’offrir totalement à l’autre. Seule la mort, jamais désirée, jamais nommée, est peut être la solution de ce présent suspendu entre idéal et réalité.

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