Influences (n. fem. pluriel)
  1. Fluide provenant des astres et agissant sur la destinée humaine.
  2. Action exercée sur quelqu’un.
  3. Action exercée sur quelque chose.

Les Influences

Filtré pour vous : L'actualité politique et intellectuelle

#Barack Obama #Donald Trump #Hillary Clinton #MSNBC #Primaires

Trump, le Tribun de l’Amérique

Publié le 17 mai 2016 par

salazar-3.jpg Je suis la campagne de Donald Trump depuis le mois de juin 2015 quand il s’est déclaré candidat sous cette étiquette et s’est donc mis sur les rangs des primaires du parti républicain. Matin, midi et soir, sur MSNBC, tendance démocrate, soutien de Barack Obama et pourfendeur de tout ce qui est conservateur et républicain (mis à part l’animateur de «  Morning Joe  », qui est le républicain de service). MSNBC est une chaîne intelligente avec une panoplie de journalistes aguerris et ouverts au débat, Joe Scarborough, Rachel Maddow, Chris Hayes, Chris Matthews et le superbe Chuck Todd – aux antipodes de CNN ou de Fox qui sont scotchés à des idées fixes et à un narrative. Bref un excellent observatoire des nouvelles en continu américaines telles que les Américains (plutôt cultivés, il est vrai) les reçoivent, sans le filtre des recâblages internationaux, la sauce CNN International qui est au public des hôtels ce que la verroterie était jadis aux peuples à émanciper, du troc mensonger.

Bref depuis un an je regarde, trois fois par jour, ce que MSNBC dit de Trump. Je dois regarder au moins deux discours par jour, en direct. Car c’est le genre de chaîne qui arrête un programme pour téléviser, en direct, un discours de primaire – un discours, pas le genre de commentaires verbeux superposés si chers à nos chaînes en continu qui vous empêchent d’écouter ce que dit vraiment l’orateur.

Au long de ces onze derniers mois j’ai pu observé les obstacles lancés en travers de la course à l’investiture de Trump, en fait autant de balises rhétoriques, jalonnant le parcours triomphal du tribun de l’Amérique. Chaque balise était, à l’origine, un obstacle jeté par les médias pour le faire trébucher. Il les a sauté tous, et il en est à ligne d’arrivée.

«  La primaire  »

Mais auparavant, un mot sur cette fameuse primaire. Dans l’américanomanie complexée qui est la nôtre, nous ignorons souvent que Bernie Sanders est un sénateur indépendant, pas démocrate, et qui pourtant est le formidable challenger de Hillary Clinton, papier attrape-mouches et colle-voix dont la femme de Bill n’arrive pas à se défaire. Trump, quant à lui s’est déclaré républicain, sans demander son avis au parti, et s’est mis sur les rangs. Ils étaient seize au départ. Il ne reste plus que lui.

Imaginez, en France, le scénario d’un Bayrou se portant candidat socialiste, ou d’un Montebourg candidat des Républicains. Les Américains sont moins frileux que nous le sommes. Nous imitons toujours mal cette Amérique envers qui nous sommes à la fois pétris d’envie matérialiste et de dédain culturel, nous l’imitons, sans comprendre, à la manière des enfants qui se fabriquent une fusée en carton et s’imaginent être Goldorak, genre Macron et son trio de consultants. Faute d’Elvis Presley, Johnny Halliday. Faute d’une primaire véritable, du ballon chasseur.

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Donc rappelons-nous que la primaire aux States est un phénomène très particulier où le peuple prend la parole, et casse souvent le jeu des soi-disant états majors des partis. Et là, c’est fait. Passons aux obstacles et aux balises.

«  Le milliardaire  »

Les gorges chaudes sur Donald le milliardaire ? Allez donc relire ce que la presse française disait de Ronald Reagan, les plaisanteries d’un ton supérieur en exhibant des scènes de film de série B. Sans jamais parler de sa carrière de syndicaliste et politique en Californie. Mais, pour Trump, est-il surprenant que le pays le plus riche du monde, le pays qui est le tenant indéfectible du capitalisme, et du capitalisme d’entrepreneur, où accumuler du capital est le rêve américain, celui du Mexicain qui traverse le Rio Bravo à la nage, la condition essentielle de «  la poursuite du bonheur  » auquel chacun a droit, et non pas le rêve à se caser dans la fonction publique et se retirer à cinquante ans, où, bref, la valeur travail est synonyme de la valeur capital et de la valeur bonheur, se dote enfin d’un grand capitaliste comme président? Il était temps. Il était temps aussi que la capitale du monde capitaliste, New York, donne à l’Amérique son président. Est-ce que tout cela est si surprenant ? Pourquoi en rire ?

Nous, peuple administré, avons des hauts fonctionnaires aux affaires, pourquoi les Américains, peuple de la ruée vers l’or, n’auraient-ils pas enfin un grand entrepreneur comme président ?

«  Reality show  »

La campagne de Donald J. Trump serait un reality show. Même Barack Obama, qui est incapable de donner un discours sans un téléprompteur et qui bafouille dès qu’il n’a pas sa prothèse technologique, l’a accusé de tourner la course à la présidence en un reality show – lui, Obama, qui donc fait du reality show à chaque discours, puisqu’il lit son texte en l’animant de gestes éloquents et de coups de menton impérieux afin de faire croire qu’il improvise.

Eh bien, bonne question, qu’est-ce qu’un reality show ? Ou plutôt qu’est-ce qu’un programme électoral ? Rhétoriquement un programme est une fiction : on vote sur quelque chose qui n’existe pas et qui, le plus souvent a peu de chances d’être mis en œuvre (souvenez-vous des promesses de François Hollande). Un programme présidentiel est un scénario, bref, comme dans un film, un show de réalité, pas une réalité (puisque le programme n’est pas encore réalisé). La politique est toujours un reality show. La finesse de Trump est de laisser dire les médias, et ses opposants, qui ont fini par se lasser car, en face, le show populiste de Bernie Sanders n’a rien à lui envier : parodie de Bernie, «  J’ai pour moi tous ces gens, de 17, 18, 19 ans, c’est une révolution  » – «  Oui, avec des idées de gamin de 17, 18, 19 ans  » – blague de comédien pro-Hillary. Charmant, non ?

«  Il n’a pas le ton présidentiel  »

Lors d’une réunion électorale, alors qu’un autre domino de primaire allait tomber en sa faveur, Donald Trump s’adressa au public et se mit à mimer un «  ton présidentiel  » : «  Demain, après les avoir battus à plate couture, je dirai, sur un ton sérieux, ‘Ils ont été des adversaires de grande valeur, j’ai tellement de respect pour eux, et bla bla bla’  », c’est ça que vous voulez entendre de moi, pré-si-den-tiel-le-ment ?  » La foule, comme toujours par milliers, s’exclame «  Non !  » Et lors d’un autre meeting électoral : «  Hillary dit que je n’ai pas le ‘bon ton’ à propos du désastre total en politique étrangère … pas le ‘bon ton’ ? Ils coupent des têtes, et je n’ai pas le ‘ton’ qu’il faut ? Give me a break  » (à peu près : arrête ton char). Ce genre de parodie du «  politicien  » (terme favori de Trump) passe mal dans les élites de Washington qui sont toujours là à se guinder de componction patricienne, et paupières liftées, mais passe très bien là où sont les vraies votes des primaires : les gens normaux.

En parodiant le faux langage et le faux semblant de l’élite politique ( «  ah, l’é-li-te  », dit-il) Trump parle vrai, et du coup parle, en tribun, comme le président du peuple, et non pas en «  politicien  ». Il démontre surtout, ce qui est le nerf de la guerre, sa capacité à manier les langages, à passer d’un registre à un autre, à faire «  comme si  », car personne dans son public n’est dupe qu’il appartient à l’élite new-yorkaise – faire «  comme si  » est l’art même du politique, le mimétisme selon les situations et le public. Cela lui servira lors de sa première réunion au sommet avec Vladimir Poutine, un autre prestidigitateur du langage.

«  Il n’a pas de specifics, seulement quatre ou cinq mots  »

Les specifics sont un leitmotiv anti-Trump. Médias et classe politicienne veulent des choses précises, un cahier des charges – ce qu’on ne demande pas à Madame Clinton, parce qu’elle a de l’ «  expérience  », un argument tautologique comme l’a rejeté de manière cinglante Bernie Sanders : «  Oui, elle a de l’expérience, mais elle manque de jugement  ». Il est exact qu’il dispose de quelques mots clefs : «  Obama est un désastre total  », «  Le Mexique doit payer, pas nous  », «  L’Amérique doit être grande  », «  Ramenez les jobs ici  », «  La Chine nous prend pour des pigeons  ». Chaque meeting électoral est ponctué par ce mantra rhétorique, avec toujours, côté positif et en direction du public : «  Vous, les gens de X êtes des gens formidables ; je viens ici à X tout le temps, j’ai plein de copains ici à X, et des tas de propriétés  ».

Peu importe la répétition : l’enfermement médiatique américain (chaînes radio-télé très locales, lectorat national quasiment inexistant hors les grands centres) est tel que les gens de X ne savent pas ce qu’il a dit à Y. Avantage : il peut tenir une heure sans aucune note. Il improvise, sur quatre ou cinq termes clefs. Et il ajoute des chiffres qu’en homme d’affaires il connaît sur le bout des doigts (taux de chômage, délocalisations). Mais ce mantra fonctionne parce que précisément d’Etat à Etat, et plus encore de district à district, il fabrique une argumentation simple qui tient la route, la route de la campagne, une méthode de compréhension : à savoir, une présidence désastreuse fait que les pays étrangers nous font payer pour eux, nous prennent nos jobs, et nous traitent par dessus la jambe.

Mais Trump, une fois que les quatre ou cinq mots clefs sont lancés et ancrent l’argumentation comme autant de repères, prend un ton plus amène et enchaîne sur autre chose, toujours : «  Laissez-moi vous raconter une histoire intéressante  ». D’un coup il fait basculer le public d’un patelin au fond du Midwest, ou d’une banlieue pavillonnaire, dans le vif du sujet, au cœur de la story, au mitan du film en train de se jouer sur l’écran hollywoodien de l’élection 2016 : le public entre en scène, devient l’acteur d’une histoire, celle du destin de l’Amérique. C’est très fort. Il raconte l’Amérique. Ce sont là ses specifics : il en est le conteur né. Ses adversaires n’ont rien compris.

«  Il n’a pas de programme  »

Un programme est, dans la théorie établie de political campaigning, ce qui permet un candidat à la primaire de «  pivoter  » (tout le monde parle de «  pivot  » depuis un an, le terme est emprunté au vocabulaire de la stratégie militaire) vers la phase finale de la campagne, contre l’adversaire démocrate. Pas de programme, pas de pivot. La classe médiatico-politique attendait donc Trump au pivot, le mois dernier, quand il était déjà bien en tête de la primaire, avant de décaniller ses adversaires. Quand va t-il enfin énoncer un programme digne de ce nom c’est-à-dire en … lisant un discours préparé d’avance ? La forme est aussi importante que le fond.

Improviser est signe de populisme. Lire, entonner, haranguer avec un téléprompteur est signe de maîtrise du verbe politique, et de la capacité à édicter un programme qui permet de pivoter vers la phase finale. Problème : Trump à la date d’aujourd’hui, parmi les centaines de discours qu’il a commis depuis juin dernier, n’a prononcé que deux discours programmatiques, donc lus sur un téléprompteur, sans improvisation. Des discours sérieux.

Le plus crucial fut évidemment son premier discours lu – allait-il «  pivoter  » vers l’Elite ou se prendre les pieds dans l’obstacle ?

Lieu de la catastrophe espérée, une salle genre Palais des Congrès, bourrée à craquer, à Washington, organisé par le principal lobby politique juif américain. Timing de la catastrophe attendue : quelques minutes avant le début de ce qui allait être le test de «  Trump peut-il être sérieux et lire un programme digne d’un président  », un aréopage de journalistes sur MSNBC expliquait doctement et toujours avec ce sourire condescendant dès qu’il s’agit de Trump (depuis les sourires sont jaunes) que devant ce public-là, «  des avocats, des médecins, des universitaires, pas n’importe qui, des gens qui sont bien informés, et à qui on ne fait pas croire ce qu’on veut  » (évidemment le peuple des fermes, des usines et des houillères sont des idiots, donc votent Trump – mais tout cela peut être dit sans choquer personne aux States ), «  il aura du mal  ». Ce fut un triomphe. Un chroniqueur connu, démocrate, qui y était allé «  pour s’amuser  », s’est découvert debout applaudissant à pleines mains, «  malgré moi, subjugué par son élan oratoire  ». Or Trump lisait. Il n’était pas «  oratoire  », il lisait.

C’est dire que la puissance tribunicienne ne tient pas à cinq mots, à une narration et à l’improvisation mais à une capacité à créer un terrain commun entre l’orateur Trump et tel public, à tel moment, dans telles conditions. Pour preuve de sa dextérité : un des observateurs avait averti, «  il fera mieux de ne pas leur passer de la pommade (pandering)  ». Trump monte sur l’estrade où pour la première fois il va lire un discours «  présidentiel  » devant des gens «  cultivés, à qui on ne la fait pas  », et voici sa première phrase, qu’il lit sur son téléprompteur : «  Je ne vais pas vous passer de la pommade  ». Stupéfaction dans la salle. Prélude à des ovations. Leçon : il écoutait avant d’entrer en scène ce qu’on disait de lui.

Personne n’a autant le doigt sur la gâchette des médias digitaux que lui. Le discours fut un triomphe. «  He has done it again  ». Il a encore réussi son coup.

J’oubliais sa dernière phrase, lue au téléprompteur : «  Et, à propos, ce soir est un grand soir : ma fille va probablement accoucher, d’un beau petit bébé … un petit garçon juif  ». Ovation. Bref, pandering peut-être savamment préparé, au téléprompteur, y compris un accouchement. Tout cela ne s’improvise pas. C’est du métier. Du très grand métier. Un pro plus pro que les professionnels de la politique.

Le second discours «  présidentiel  », solennel et didactique, point par point, de politique étrangère fut tout aussi réussi, prononcé devant le fin du fin des spécialistes des relations internationales : il sema la panique à Bruxelles, au GQG de l’Otan, dans les chancelleries, fit trembler les généraux américains du Pentagone. Il paniqua les observateurs, qui n’observent qu’eux-mêmes, et ravit les électeurs qui ne voient de la subtile doctrine des néo-conservateurs sur l’Afghanistan et l’Irak, et de la sublime diplomatie Clinton-Obama qu’une chose : le déculottage en Crimée, le désastre en Syrie-Irak, et la terreur djihadiste. Ce fut la semaine où Trump pria un étoilé de quitter son bureau quand celui-ci vint lui offrir ses conseils : «  Votre expertise ? Après ce que vous avez fait là-bas ? No, thanks  ».

«  Self-promotion  »

Ces jours-ci on a repêché des enregistrements datant de vingt-neuf ans où, apparemment, Trump jeune financier téléphonait lui-même aux médias pour vanter ses succès en affaires. Self-promotion. L’ironie, évidemment, est que tout le système facebook twitter est fondé sur la self-promotion : parler de soi. Trump, pré-Internet, avait simplement trente ans d’avance. Il fait de la self-promotion depuis trente ans. A côté, les autres avec leurs cui-cui en sont encore à la maternelle. Et cela explique le côté percutant de ses tweets. Trois mots. Une réplique. Immédiatement. Coupant l’herbe sous le pied. Recadrant un événement. Trump manie l’art de la formule, comme De Gaulle au demeurant. Les chefs ont toujours eu l’art de la formule. La formule cadre, recadre, encadre.

Voilà pourquoi, et les médias le reconnaissent, il a su créé des monikers, des surnoms qui collent à la peau de ses adversaires, et les définissent de manière indélébile : «  Lyin’ Ted, Liddle Rubbio  », et, pour Hillary Clinton ce label criant de vérité car elle souffre d’un déficit d’authenticité, «  Crooked Hillary  », Hillary la ripou. Ses adversaires ont essayé de lui rendre la pareille, sans succès, car leurs équipes de comm’ ne se rendent pas compte que le moniker est efficace seulement relié aux autres techniques du franc parler, de l’improvisation, de la proximité avec le public, et d’une capacité immédiate à sentir un public, et qu’avec trente ans de pratique Trump a des longueurs d’avance.

«  My own money  »

Un des arguments populistes et populaires de Trump est qu’il finance lui-même sa campagne et qu’il dépense le moins possible, face aux millions jetés aux orties par Jebb Bush, pour quelques pourcentages de voix, et les milliards de Hillary Clinton, «  puisque les médias me donnent tout ce temps d’antenne gratis  ». L’argument plaît : comme citoyen je n’ai pas besoin comme Hillary des dîners de levée de fond à milliers de dollars par tête avec ce bellâtre de Clooney pour écumer. Conclusion logique : «  Je ne dois rien ni à la haute finance de Wall Street, ni aux entreprises (pharmaceutiques en particulier), ni à quiconque : on ne peut pas m’acheter.  »

Trump est allé plus loin dans l’utilisation de l’argent personnel comme argument politique : tout Américain devrait être capable de se présenter à une élection, sans tout ce gaspillage monstre. Du coup quand surgit la litanie habituelle avant chaque élection présidentielle, «  rendez public votre déclaration d’impôts  », qui avait plombé le milliardaire Mitt Romney à l’élection précédente, Trump oppose un refus temporaire qu’il aménage avec un argument neuf, et en prise avec l’électorat massif qu’il a attiré vers le parti républicain, comme jamais personne avant lui: «  Vous verrez que je fais tout pour payer le moins d’impôts possible  » – raison : nous payons trop d’impôts. L’électorat applaudit.

Du même coup Trump renverse le piège, idiot, où ses adversaires veulent le faire tomber, à savoir révéler qu’il est moins riche qu’il ne le dit, et donc que son expertise en affaires n’est pas ce qu’il en dit, et donc qu’il n’est pas présidentiable, etc. Trump a vu le piège, et l’a refermé sur eux en utilisant l’argument inattendu que de toute manière il fait ce que tout Américain doit faire : cesser d’engraisser un Etat qui est un «  désastre total  ».
À propos, «  Donald  » en gaëlique c’est Vladimir en russe, celui qui dirige, comme on disait «  rex  », jadis. CQFD.

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