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#Politique

Touraine et Macron, qui est l’ancien monde?

Publié le 8 mars 2018 par

L’idée : Le sociologue Alain Touraine essaie de décrypter ce que dit l’élection d’Emmanuel Macron de la société française.

Par Raphaël Llorca

Macron par Touraine, Entretiens avec Denis Lafay, L’Aube, 176 p., 17,40 €. Paru février 2018.

couve-touraine.jpg Politique. Il y a tout juste 16 mois, Alain Touraine publiait Le nouveau siècle politique (Seuil, 2016). À l’époque, «  l’Ancien monde  » s’agitait autour de la candidature d’Alain Juppé, et le Parti Socialiste s’interrogeait sur les chances de réélection du Président Hollande. Dans son ouvrage, le sociologue percevait déjà que le champ politique se structurait au-delà du clivage gauche-droite … mais sans jamais mentionner Emmanuel Macron, devenu entre-temps démiurge du « Nouveau monde.  »
C’est dire si la pensée politique de Alain Touraine, bousculée par le «  phénomène Macron», nécessitait d’être actualisée : c’est chose faite avec Macron par Touraine, qui se présente sous la forme d’un dialogue avec le journaliste et essayiste Denis Lafay, grand habitué du genre . On connaissait l’enthousiasme qu’Alain Touraine, fidèle de la pensée rocardienne, manifestait à l’égard d’Emmanuel Macron ; tout l’intérêt de cet ouvrage est de nous aider à comprendre ce que son élection dit de la société française, à savoir ce qu’elle révèle de son «  état intellectuel, culturel, psychanalytique, démocratique et même civilisationnel  ».

La compréhension macronienne de l’essoufflement du système politique

Tout d’abord, Emmanuel Macron a mis fin au dérèglement sémiotique d’une classe politique trop longtemps figée dans des débats idéologiques stériles : «  Ce qui définit le mieux sa démarche est de montrer la faiblesse et la perte de sens des déclarations de la plupart des politiques.  » Face à une classe politique sans objectif, sans cap et sans cohérence, Emmanuel Macron marquerait la «  résurrection du sens  » en politique. S’il n’a pas «  cassé  » le système politique, comme on l’entend souvent, il en a mieux que quiconque compris l’essoufflement : pour le sociologue, Emmanuel Macron est un «  porteur de sens  » en ce qu’il incarne la rencontre d’une éthique de conviction avec les besoins d’une société en crise.

Ensuite, le président français a pris la mesure de l’interdépendance des destins nationaux et européens, comprenant que «  les deux échelles géographiques interagissent et s’interpénètrent.  » Pour Alain Touraine, «  c’est l’accomplissement d’un sens européen qui peut conditionner l’éclosion d’un sens national  ». C’est qu’au-delà de la reconquête d’un statut mondial, l’Europe permet de parer au sentiment d’impuissance ressenti à l’échelon national, à cette «  impression d’être dépossédé des pensées, des concepts, des ressorts, des langages qui expriment les problématiques fondamentales et qui permettent de participer à leur résolution dans le cadre de la mondialisation  ».

Enfin, l’avènement d’Emmanuel Macron marquerait l’entrée de la France dans la modernité. Pour le sociologue, spécialiste des mouvements sociaux et de l’action sociale, la victoire du plus jeune président de la V° République signe le passage d’une «  société d’ordre  », fonctionnant à partir de cadres stables et de règles visibles, à une «  société de mouvement  », caractérisée par la volonté et la capacité de se transformer, et donc de créer l’histoire. Dans une France profondément marquée par la période préindustrielle, on mesure la transgression culturelle, voire même civilisationnelle, qu’a constituée la promesse d’une start-up nation promettant d’embrasser la mondialisation.

Le dernier chapitre de l’ouvrage voit neuf intellectuels, de champs disciplinaires variés, interroger Alain Touraine. Après s’être efforcé, sur plus d’une centaine de pages, de retranscrire l’élection d’Emmanuel Macron dans des échelles temporelles et spatiales très amples, on s’étonne de tomber brusquement dans des raisonnements politiques de petit boutiquier : «  Il faut donc qu’il gagne d’abord un peu de terrain à droite, pour pouvoir, ensuite, c’est-à-dire en 2022, faire de même plus à gauche.  » (sic) Sors de ce corps, Christophe Barbier !

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Il faut parfois lire entre les lignes pour saisir les aspects les plus stimulants de la réflexion d’Alain Touraine sur Emmanuel Macron.

On l’aura compris, à première vue le tableau dressé par Alain Touraine est très bienveillant, exprimant un vif soulagement de voir «  enfin un pilote dans l’avion.  » En réalité, s’il insiste – parfois lourdement – sur «  l’importance, exceptionnelle, de l’apparition soudaine et si vite victorieuse de Emmanuel Macron  », il alerte aussi, en creux, sur sa grande fragilité. Il faut parfois lire entre les lignes pour saisir les aspects les plus stimulants de la réflexion de Alain Touraine sur Emmanuel Macron : c’est bien une typologie des fragilités du projet macronien que l’on pourrait, en rassemblant des éléments épars, mettre en lumière.

Fragilité idéologique. Le projet de Emmanuel Macron souffrirait de l’absence d’un dessein susceptible de créer un sens commun : «  On ne bâtit pas un projet politique et une vision sociétale sur la seule notion d’efficacité  », estime Alain Touraine. Si le constat qu’un certain nombre de sujets échappent à toute interprétation partisane semble, à très court terme, donner du crédit au positionnement ‘ni droite ni gauche’ cher au président de la République, «  à plus long terme et en profondeur, il fragilise la revitalisation de la démocratie.  »
Fragilité politique. La «  France moderne  » étant minoritaire, comment une politique réformatrice peut-elle obtenir un appui majoritaire ? Alain Touraine rappelle qu’au XIXe siècle, c’est la «  plèbe urbaine  » qui a fait accepter le principe des réformes nécessaires. D’où le danger pour Emmanuel Macron de se couper des classes populaires et de donner le sentiment que seuls les «  premiers de cordée  » bénéficieront de ses velléités transformatrices.
Fragilité stratégique. En appliquant une réelle stratégie de neutralisation politique, Emmanuel Macron permet certes d’accroitre sa capacité d’action – l’anesthésie de toute opposition politique accélérant d’autant l’application du programme présidentiel. Ce faisant, il néglige cependant l’importance du conflit, composante essentielle au fonctionnement de la démocratie et de la société dans son ensemble : «  Toute atonie excessive, tout effacement des conflictualités (…) risque de déformer le ‘phénomène Macron’  » avertit le sociologue.

5_pin_s-unpeudecu_120dpi.jpg Au fond, semble s’interroger Alain Touraine, toute la question est de savoir si Emmanuel Macron sera un président passeur, correspondant à un moment de transition, ou un président fondateur, inaugurant une ère politique radicalement nouvelle. La réponse tient certainement beaucoup à sa capacité à surmonter ou non ces trois fragilités.

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