Le réveil douloureux et somptueux de François Muratet
Publié le 17 mars 2018 par Rédaction LI
L’idée : passer des polars gauchistes à un roman sur la complexité de la guerre d’Algérie.
François Muratet, Tu dormiras quand tu seras mort, Joëlle Losfeld Éditions, 256 pages, 18,50 euros. 22 mars 2018.
Histoire. Depuis quinze ans, François Muratet faisait silence radio. Après le prometteur Pied-Rouge (1999) déjà sur fond de guerre d’Algérie et de mouvement mao français, Stoppez les machines (2001) et La révolte des rats deux années plus tard, plouf, plus rien. La vie l’a tiré par la manche (prof, élu local), l’écriture l’a avalé pour une odyssée interminable – et toujours pas achevée. François Muratet n’avait rien publié et c’est tant mieux, car le roman qui s’annonce prend tous les risques. Son titre Tu dormiras quand tu seras mort précise bien la volonté insomniaque du récit.
François Muratet déroule avec ce récit efficace et haletant comme une chasse à l’homme, la fresque humaine de la guerre d’Algérie
Dans cette Europe des années soixante où l’on aspire à la modernité et à la grande consommation, André Leguidel, est un jeune officier qui rêve d’héroïsme dans le renseignement militaire. De façon aussi inattendue que concertée en haut lieu, il se retrouve muté de sa planque à Fribourg dans l’Allemagne de la Guerre froide à l’Algérie des Aurès. On le charge d’une mission d’infiltré dans une section car la suspicion règne dans les troupes françaises. Le chef de section du commando de chasse, Mohamed Guellab, d’origine musulmane, et dans lequel Leguidel est versé, ferait-il double jeu, et a t-il tué l’officier français qui l’avait remplacé ? À Leguidel de trier le vrai du faux. Mais dès le départ, tout part mal. Le jeune espion découvre lui-même brutalement que son propre roman familial et l’héroïsme paternel durant la seconde guerre mondiale n’étaient qu’une légende arrangée par l’institution militaire. L’approche de Mohamed Guellab, guerrier charismatique, ne se passe pas comme prévue: rude, abrupte mais admirative. Le commando part à la poursuite d’un commando FLN.
François Muratet déroule avec ce récit efficace et haletant comme une chasse à l’homme, la fresque humaine de la guerre d’Algérie. Les soldats du commando constituent une micro-société de la société franco-algérienne, avec ses doutes à voix haute, ses clivages, ses points de rupture et ses fidélités jusqu’aux-boutistes, une société toujours prête à l’implosion mais qui tient par la fidélité pour Guellab. Des pro-FLN se transforment en traitres massacreurs de civils, des Algérie Française eux se révèlent soudainement comme des fédérateurs, tandis qu’interfèrent la raison d’État et celle cynique et calculatrice de l’état-major. Les aventures militaires encouragent les fraternités d’armes mais pour aussitôt les voir disparaître par la mort, le trouble, la ruse, les choix personnels des uns et des autres.
François Muratet décrit sans pathos, cet inextricable nid de scorpions que fut la guerre d’Algérie et dont le vainqueur absolu est le temps qui passe, blanchit et disperse tout sur son passage, érode et corrode jusqu’à la mémoire même du héros Mohamed Guellab.