Jordane Saget : une craie en quête de l’inaccessible étoile
Publié le 4 octobre 2018 par Jean-Luc Hinsinger
Bonnet de laine et backpack en bandoulière, il arpente infatigablement rues, places et passages, couloirs souterrains, allées branchées et recoins solitaires…
Le CV de Jordane Saget pourrait tenir dans les cinq mots de Daniel Buren : « Vit et travaille in situ. »
L’improvisation comme seul programme confèrera à tel décrochement, recoin, cassure, colonne, façade ou sol le statut de “spot”.
Dans la lignée des Keith Haring [[« Dessiner à la craie sur ce papier noir et tendre, c’était une toute nouvelle expérience pour moi. C’était une ligne continue, on n’avait pas besoin de s’interrompre pour tremper un pinceau ou quoi que ce soit d’autre dans la peinture. C’était une ligne continue, une ligne vraiment très puissante sur le plan graphique, et on était astreint à des limites temporelles. Il fallait travailler aussi vite que possible. Et on ne pouvait rien corriger. Il ne pouvait donc pour ainsi dire pas y avoir d’erreurs. »
Keith Haring]], Philippe Baudelocque ou Jean-Charles de Castelbajac, le bâton de craie « tableau » servira de relais.
Une gestuelle, une chorégraphie, les mains décrivent de lascives arabesques du danseur étoile, valse viennoise de l’odyssée d’un espace méticuleusement choisi, où le motif n’aura pour but que de magnifier le support en remerciement de son accueil et de son abri.
« Et avant que le monde ne se défasse, imaginer le partage de la beauté… Et en superbe, une architecture qui trace les périodes et marque les lieux, joue avec les ombres et les angles, pointe des aspérités sous les courbes, marie le bois et la pierre, lustre la brique, polit le verre, fait étinceler et danser la céramique. » [[Christiane Taubira, Murmures à la jeunesse, Philippe Rey, 2016]]
Musique répétitive, phrasés reproduits à l’envi, toujours semblables mais jamais pareils. Inlassablement les notes se jouent d’une partition non dogmatique, générant des portées qu’une ondée, une semelle ou une paume brouilleront naturellement, par inadvertance ou délibérément.
Poignet souple et attentionné, douce craie inexorablement érodée par la rugosité du support : c’est la langoureuse étreinte d’un ménage à trois.
Car de trinité il s’agit. Compagne depuis la nuit des temps des civilisations chinoises et celtiques, Sainte, p’tits cochons et ours de contes, Grâces, triades et triplets, sœurs des Parques maîtresses de la destinée humaine, périodes du Taï Chi… Toutes correspondances et bien d’autres encore justifiant à l’évidence l’amovible pseudo J3.
Trois lignes parallèles matricielles placentant le fœtus de Sébastien Lecca, trois lignes d’art spatial irriguant les colonnes Buren du Palais-Royal, trois lignes intemporelles, ombre projetée de la pyramide de Yeoh Ming Pei au Louvre.
Trois lignes parallèles virevoltant au gré de l’imaginaire, de l’inattendu, free-hand, s’incurvant d’un parcours toujours renouvelé même si çà et là parvient à s’insinuer, le temps d’un éclair, le doute ou l’incertitude ?
Qu’importe l’origine ou le destin du tracé si entre l’œuvre, l’artiste et les passants il n’est plus question que d’harmonie.
Exposition du 4 au 14 octobre 2018
Cabinet d’amateur
12, rue de la Forge-Royale 75011 Paris