Trust, la madeleine de fer d’une génération
Publié le 24 mai 2019 par Rédaction LI
L’Idée : Pascal Paillardet dans De rock et de métal (Le Castor astral) essaie de retrouver le goût du hard-rock français des années 1980 qui l’a constitué.
Culture. Son récit sur la génération hard-rock a la belle allure d’une chambre d’adulescent en bordel, dans laquelle brillent micas, éclats de fer, mitraille et affiches luisantes d’AC/DC, Iron Maiden, Motörhead, Kiss. Il se souvient qu’il y a quarante ans, son bracelet à pointes d’acier glissait « comme un écrou mal vissé » tout le long de son bras maigre. Que dans la région d’Albertville, l’ado électrisait son tempérament au feu de Black Sabbath et Saxon, avec vue impassible sur les vaches, les prés verts et les montagnes blanches.
Pascal Paillardet, lui, a le métal dans le sang depuis son adolescence du début des années 1980. Le vrai, le hard, celui de Trust qui a tout « dynamité » le 30 mai 1980, avec son disque Répression. Déclaration d’amour : « On a longtemps grandi, puis mûri quand il fut déjà l’heure de vieillir, avec l’idée bien ancrée que l’on était atteint d’une maladie handicapante, mais non incurable : l’amour du hard-rock, qui passerait avec les années, comme tous les caprices, et donc se soignerait avec l’âge. » Bernique Bonvoisin.
En une volée de chapitres érudits et compacts, il brosse le portrait charmant d’une cohorte de jeunes qui se faisaient saigner les tympans de bon cœur dans une sous-culture métalleuse. Il fait pogoter tout un monde, aujourd’hui disparu mais qui a suffisamment électrocuté les belles âmes pour laisser son empreinte. Suivant la trajectoire de Trust, il jumpe sur des LP injustement oubliés, au milieu de disquaires passeurs, de producteurs avisés et de musiciens magnifiques, d’artisans de presse spécialisée (le fanzine Enfer qui mériterait un livre à lui tout seul, et Metal Attacks) et de petites salles pionnières. Il slame sur des concerts d’anthologie, des pochettes mythologiques, des K7 saturées dans des Walkman tout pourris.
Contre le hard-rock, le consensus des critiques rock libéraux et de la droite religieuse
Dans ce panoramique truffé d’anecdotes, il y a de la discorde dont on fait les bonnes foudres : « Le heavy metal, c’est du bruit, un point c’est tout. Ce n’est pas de la musique, mais de la distorsion pure » flingue Lester Bangs, musicien, écrivain et longtemps critique à Rolling Stone. La sociologue Deena Weinstein remarque dans son étude, Heavy Metal (Cambridge, 2000) que cette animosité pour le métal, a fait consensus chez les critiques rock libéraux et la droite religieuse américaine. Paillardet propose également une belle séance de headbanging avec la sociologie qui explique la bande-son du hard par la désindustrialisation, le chômage de masse juvénile, la colère du désœuvrement et de l’avenir aussi sexy qu’une enclume sur le crâne. « Tu bosses toute ta vie pour payer ta pierre tombale », chantait Bernie. on était donc mieux en Enfer. Des chercheurs français, Fabien Hein, Christophe Guilbert, ont réalisé des enquêtes de terrain intéressantes, pour dessiner au fil des années, le portrait-robot social du métalleux français – qui devient peu à peu métalleuse, Bac+2, avec désormais, une forte minorité d’employés, d’ouvriers et de chômeurs.
Il se pose des questions terriblement années 1980, comme à la recherche d’une justification mais qui est du charabia en 2019 : le hard français est-il de gauche ? Pour Bernie Bonvoisin, l’aède d’Antisocial, c’est plié, et l’auteur a trouvé le héros durable d’une génération qui vieillit, se déplume mais accrocherait à son vieux cuir, un pin’s d’espérance. Mais pas sur que son doudou métallique ait fait beaucoup d’autres petits dans cette zone politique. Trump aujourd’hui sait recruter chez les Wisigoths. Le 666 est devenu une jolie fête foraine déconfessionalisée. Allons tous s’en griller une en Enfer, ça y est encore autorisé.