Influences (n. fem. pluriel)
  1. Fluide provenant des astres et agissant sur la destinée humaine.
  2. Action exercée sur quelqu’un.
  3. Action exercée sur quelque chose.

Les Influences

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Une leçon de marin pour aborder le confinement

Publié le 18 décembre 2020 par

L’idée : En cette fin d’année confinée, où nous devons adopter de nouvelles façons de vivre et les supporter, l’expérience des marins peut apporter quelques éclairages utiles.

marin-mer.jpg PSYCHOLOGIE. Dimanche 8 novembre, une flotte de trente-trois voiliers a pris la mer pour une aventure humaine unique et exceptionnelle : le Vendée Globe. Rappelons qu’il s’agit d’une course autour du monde, sans escale, en solitaire et sans assistance. Passant les trois caps de Bonne Espérance, Leeuwin et Horn, traversant les trois océans Atlantique, Indien et Pacifique, des calmes du Pot-au-Noir aux 40e rugissants et les 50e hurlants, chaque navigateur va se trouver seul durant un peu plus de deux mois confronté aux vents du globe, dans des conditions limites. Libéré du confinement ? Pas certain.

Il ne porte plus de masque, et la distanciation est intrinsèque. Et après ? Il a fait un choix, celui de partir, seul, loin, dans un face à face avec la mer, où son bateau, son voilier le porte. Il est confronté à la solitude, à une lutte permanente pour survivre dans un environnement hostile, dans un volume minimal, au confort inexistant : pas de douche dans un environnement salin agressif, pas de petits plats, pas de distractions, un bruit incessant accompagnant une instabilité due à des mouvements, voire des chocs, violents, une angoisse dans le gros temps d’assister à la chute de son mât quand ce n’est pas la peur du chavirement. Il passe des jours, des semaines à ne parler qu’à lui-même ou à son bateau, éventuellement à échanger avec son univers terrestre lors de vacations radios ou téléphoniques, à peu dormir et donc parfois se trouver sujet à des hallucinations. Il puise dans sa volonté de finir la course, les forces lui permettant de résister à l’abattement, au désespoir. Il se découvre des réserves de patience, de résilience, de puissance mentale souvent insoupçonnées. La mer lui apporte pourtant une sérénité et il profite de cette immensité pour philosopher, réfléchir, projeter. Ces moments sont fréquents mais courts car la marche du voilier le rappelle sans cesse à des réalités salées. Il est en compétition, et doit non seulement se protéger, mais préserver sa machine dans des conditions de vitesse optimales pour boucler le tour du monde et enfin vaincre. Lorsqu’il revient au port, souvent éreinté, il éprouve la satisfaction d’avoir réussi, d’avoir gagné à commencer contre lui-même.
Pour cette édition, après environ neuf semaines de concentration, de confinement, de télétravail sans pouvoir aller faire le tour du pâté de maison, il sera de retour aux Sables d’Olonne dans un environnement sanitaire incertain, et vraisemblablement proche de celui qu’il aura quitté. Les effusions du retour, les embrassades, accolades et bains de foule seront sans doute placés sous le signe de mesures sanitaires encore restrictives.

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On pourrait penser que se trouver avec trois cents types dans le même bâtiment permet de ne pas se sentir seul, il n’en est rien.

Le marin navigue toutefois en équipage la grande majorité du temps. Navires du commerce ou bâtiments de combat, bateaux de pêche côtière ou chalutiers de haute mer, tous sont armés par des hommes et des femmes rassemblés dans un espace restreint où ils sont supposés constituer une équipe sans faille. Chaque individu compte pour lui-même, pour son coreligionnaire et pour le navire.
Sur les bâtiments de combat, cas extrême où l’équipage est le plus volumineux, il n’est pas rare de partir pour de longues durées. Il n’était pas rare, faut-il écrire, car pour des raisons économiques et sociales, les périodes en mer ont été de nos jours réduites et normalisées dans les années 2000, pour se situer aujourd’hui à une centaine de jours de mer par an, à l’exception des SNLE et du porte-avions. Dans un passé encore proche, il arrivait aux de passer plus du double de ce temps en opérations. On pourrait penser que se trouver avec trois cents types permet de ne pas se sentir seul, il n’en est rien.

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Inventer sa discipline constitue une astreinte vitale, pour tenir dans une période où une forme de laisser-aller pourrait être une tentation.

La vie à bord est bien sûr rythmée par les quarts et les exercices, voire les opérations. Mais 24h sur 24 avec ses hommes, même si on les apprécie particulièrement, n’est pas tenable dans la durée. C’est pourquoi les carrés, locaux dédiés à la détente de chaque catégorie de personnel, donnent aux marins une capacité de lâcher-prise. Dans une promiscuité continue, il est important de préserver des espaces de repas, de loisir, de tranquillité, et des moments où l’on se retrouve avec soi dans le calme. On éprouve parfois une forme de solitude, d’éloignement, notamment lors de missions longues. Pas de nouvelles de la famille, peu d’informations générales en dehors des messages venant des états-majors, la saturation de croiser toujours les mêmes têtes, de devoir supporter les différences de culture, le quotidien peut devenir insupportable. En termes de confinement, il existe une situation où le bâtiment est totalement étanche, et où l’équipage est inconditionnellement maintenu à l’intérieur : le stade «  zéro  » pour la traversée d’une zone à l’atmosphère nocive, en raison d’une radioactivité ou d’une attaque chimique. Tout ce qui donne sur l’extérieur est alors verrouillé, avec interdiction d’ouvrir. L’air à bord est en circuit fermé, renouvelé par des dispositifs de régénération, et une légère surpression est provoquée de manière à éviter toute infiltration d’air vicié. En exercice, cela dure quelques minutes, mais en temps réel, une telle configuration pourrait prendre plusieurs jours. Avec la tension des opérations réelles de surcroit. La dimension dangereuse est un stress qui s’ajoute au confinement. Comment cacher sa peur face à des menaces d’armes ou dans le gros temps ? Le danger, comme dans la crise sanitaire que nous traversons, représente le fondement du processus de distanciation sociale, traduite par le confinement dans nos domiciles.

Le point commun à tous les marins est la recherche d’une hygiène de vie, en mer, la plus régulière et la plus compatible avec les contraintes du métier. Le rythme de vie est un facteur fondamental de la durée : savoir se ménager des temps de relâche et de loisir, savoir se reposer, récupérer et accepter des moments courts de sommeil, sous la forme de siestes brèves mais réparatrices. Le marin apprend à s’assoupir quelques minutes lorsque nécessaire et il optimise son temps de repos. Se nourrir sainement, se laver malgré des situations particulières comme celles du navigateur solitaire, prendre soin de soi pour mieux assurer ses responsabilités sont des clés pour tenir dans une période où une forme de laisser-aller pourrait être une tentation. Cette discipline personnelle constitue une astreinte vitale, un effort pour conserver son intégrité physique et morale.

Nous avons recommencé une traversée de quelques semaines, en des eaux presque inconnues puisque nous nous reconfigurons après une expérience «  printanière  ». Que ce soit en solitaire ou en équipages, célibataire ou en famille, nous devons de nouveau faire face à des peurs, des agacements, des saturations, des espérances, des abattements. Nous devons supporter l’autre, et faire en sorte que l’autre nous supporte. Trouver un rythme, se préserver des espaces, observer une hygiène de vie, accepter les évolutions de la situation, trouver la patience, et durer. Car il est une donnée que personne ne maîtrise : quand cette crise sanitaire se terminera-t-elle ? Il va nous falloir une patience extrême, une sagesse que nous ne nous connaissons pas, il va nous falloir une tolérance parfois surhumaine pour durer au-delà de ce que nous imaginons en respectant les règles dictées par nos dirigeants. Et endurer ce que la transition entre deux modes de vie nous ordonne.

Alors le confinement est-il plus maniable pour le marin ? Il est clair que le monde maritime apporte des éclairages sur la façon de gérer le confinement auquel nous sommes confrontés. Comme en mer, chacun doit trouver en lui-même les ressources pour tenir moralement et physiquement devant l’océan d’incertitudes qui ne cesse de brouiller notre horizon. Et comme au retour des périodes en mer, la résilience individuelle permet de rebâtir une ambiance collective pour que le groupe, au sens le plus large, retrouve sa capacité à avancer et vivre. Marin un jour, confiné toujours.

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