Influences (n. fem. pluriel)
  1. Fluide provenant des astres et agissant sur la destinée humaine.
  2. Action exercée sur quelqu’un.
  3. Action exercée sur quelque chose.

Les Influences

Filtré pour vous : L'actualité politique et intellectuelle

La pensée conservatrice en 10 leçons

Publié le 27 décembre 2020 par

COMMENT RAISONNENT-ILS ? Relayé par le petit manège médiatique depuis quelques années, le concept de conservatisme défile trop vite pour être compréhensible. Arrêt sur une idée politique anglo-saxonne et ses théoriciens.

conservatisme.pngUne expression tourne sur les chevaux de bois médiatiques depuis trois ou quatre ans : «  conservateur  ». Vous savez, ces manèges de chevaux de bois, un qui monte hennissant, l’autre qui descend avec la crinière raide, et les gamins mi terrifiés mi enchantés qui se faufilent pour escalader ces monstres avant que le drelin-drelin de la musique en boîte, si joyeuse, si entraînante, ne signale le départ de la sarabande bien réglée – car personne ne s’est jamais pris un sabot dans la tête. C’est une illusion de cavalcade.
Le manège fournit une allégorie du tour de parole médiatique des idées du jour, réglé comme du papier musique – voyez comment «  grand remplacement  » cavalcade de mag en mag. Les chevaux de bois ce sont les porteurs d’idées, comme on parle de porteurs d’affaires, les journalistes. Les gamins c’est vous et moi : relisez les forums de lecteurs et vous aurez une bonne idée de la chevauchée, en rond, à pure perte, mais on se donne du frisson – on a payé 1€ l’accès au manège, alors on monte sur son poney favori, on cravache sa marotte. Bref on se donne l’illusion qu’on est bien en selle sur une idée qui trotte bien et même galope hard.
«  Conservateur  » ? Depuis quatre ou cinq ans «  conservateur  » est le nouveau manège enchanté. Inutile de citer des noms de chroniqueurs et d’essayistes qui se revendiquent du «  conservatisme  ». Idée politique vague s’il en est en France où traditionnellement on parlait plutôt naguère de «  réactionnaire  », jadis du «  parti de l’ordre moral  ». Conservatisme  » est une idée politique anglo-saxonne, née tout armée lors de la chute de la monarchie française sous la plume d’Edmund Burke, dans ses acides Réflexions sur la Révolution de France (1790).
Burke lança à la fois le conservatisme comme pensée politique et comme genre littéraire.

De fait l’écriture «  conservatrice  » se plaît à l’essai tranchant, orné de citations choisies dans des autorités prestigieuses. Dès sa naissance le conservatisme n’est pas une «  philosophie  » du politique, mais une interprétation de l’actualité dans le prisme d’idées appartenant à la tradition religieuse, politique et juridique anglaise. Son style d’écriture est typiquement anglo-saxon, qui côtoie le grand journalisme d’opinion. En France la pensée du politique est par contre proche d’une histoire argumentée, et érudite, des idées (L’Esprit des Lois de Montesquieu), sinon carrément métaphysique (Sartre, Critique de la raison dialectique) mais avec de brutales applications politiques (Sartre, lui encore). Dans le monde anglo-saxon, pragmatique, l’essai prime, combiné à un goût très clair pour l’ «  executive summary  », du genre : les cinq ou six, ou dix points clefs. Imaginez Montesquieu donnant une liste des «  trois idées clefs de la république  ». Ou Robespierre, de l’Être Suprême et de la Terreur. Ou Jaurès, du socialisme et du pacifisme. Impensable.

L'essayiste conservateur Russel Kirk (Russel Kirk Center)
L’essayiste conservateur Russel Kirk (Russel Kirk Center)
Par contre parcourez les livres de l’Américain Russell Kirk (années cinquante et toujours un best seller), du Britannique récemment disparu Roger Scruton ou du dandy «  commentator  » Douglas Murray : il appert aussitôt qu’ils écrivent dans le genre mixte, très anglo-saxon, de l’essai focalisé sur «  current affairs  », la politique en général, soutenu d’une belle verve de stylistes, souvent polémique, et d’un indéniable effort pour acclimater leurs idées dans un public élargi, outre une solide culture générale acquise dans les meilleures écoles – d’où le titre ironique et original du Petit Guide du Conservatisme de Kirk : Guide du conservatisme à l’intention des dames intelligentes (1957).
Kirk, et on est là à la source effective de ce qui se dit en France du conservatisme, part de l’idée de base (inspirée de Burke) que «  le conservatisme se méfie des abstractions  ». Une abstraction, en politique, c’est «  le divorce entre des dogmes absolus et l’expérience pratique de circonstances particulières  ». Quel en est l’exemple fondateur, qui enragea Burke et «  donna sa forme au conservatisme actuel  » ? La Révolution française, qui incarne le triomphe du dogme sur l’expérience, bref, ce terme détesté des conservateurs, «  l’idéologie  ». La France post-Ancien Régime incarne le primat, honni par les conservateurs, des idées sur l’expérience pratique.

Ce qui n’est jamais explicitement argumenté est que le conservatisme américain, car c’est vraiment aux EUA que la pensée de Burke a pris racine au 20e siècle, avant de revenir, boomerang, en Angleterre voilà vingt ans, distingue entre une bonne république, l’Américaine, et une mauvaise, la Française. La Révolution américaine incarne le conservatisme en action. La Révolution française incarne le dogmatisme en actes. C’est la base.
Voilà pourquoi les white nationalists ou les race realists ou les white supremacists américains célèbrent la Révolution américaine et sont acharnés à défendre leur Constitution, pure et dure – et abhorrent la Révolution française, source de toutes les idées universalistes et humanistes qui ont depuis détruit, selon eux, leur bonne République. Les Britanniques composent avec ce républicanisme fondamentaliste américain car ils trouvent, chez eux, son équivalent dans leur tradition politique garante des libertés fondamentales proclamées, voilà neuf siècles, dans la Magna Carta et soutenues depuis par l’extraordinaire adaptabilité du common law, protection contre les abus de pouvoir et l’État. Tout se tient.

Alors, quelle est l’affiche du conservatisme ? Le manège a dix chevaux de bois, et pratiquement toute la littérature du conservatisme anglo-saxon fait inlassablement tourner ce merry go around, parfois répétitif, souvent brillant, et toujours very entertaining car ce sont des essayistes de talent passionnés par leur défense de ce qui n’est pas un «  dogme  » (à la French), mais dix idées. Tenez ferme la barre, le manège démarre.

1 «  Les individus et les peuples sont régis par des lois morales qui ont leur origine dans une sagesse supérieure – la justice divine. Les problèmes politiques sont, à la base, des problèmes moraux et religieux. Par conséquent nous n’avons le droit de changer la nature humaine ou l’organisation sociale  ».

2 «  Variété et diversité caractérisent un degré élevé de culture. Les conservateurs résistent au consensus uniforme du ‘despotisme démocratique’  ».
3 «  La justice requiert que tout homme et toute femme ont le droit d’avoir ce qui leur convient le mieux, à savoir qu’une société est un grand partenariat où tous ont des droits égaux mais non pas un droit aux mêmes choses  ».

4 «  La propriété et la liberté sont indissociables ; l’égalitarisme économique n’est pas un progrès. Les conservateurs affirment que si le droit de propriété possède à l’évidence une valeur en soi il possède une valeur supplémentaire, protéger la liberté contre un gouvernement qui se veut omnipotent  ».

5 «  Le pouvoir est dangereux. Autant que faire se peut le pouvoir politique doit être exercé par des individus privés et des institutions locales  ».

6 «  Un conservateur sait que nous devons être guidés par les traditions morales et l’expérience de la société léguées par ceux qui nous précèdent, ce que Chesterton appelle ‘la démocratie des morts’. Un conservateur sait qu’il n’est pas né d’hier  ».

7 «  La société moderne a un besoin pressant d’un vrai sens de communauté. Une vraie communauté est régie par l’amour et la charité, pas par des besoins immédiats. Par des actions associatives, volontaires, au niveau local, les conservateurs font que leur communauté reste saine  ».

8 «  Dans les affaires internationales il existe une loi politique comme c’est une loi de nature que tout être vivant aime par dessus tout, et même au prix de sa vie, posséder une identité à soi, qui le différencie des autres. Un conservateur n’aspire pas à un monde réduit à un seul et unique modèle de société et de culture  ».

9 «  Les êtres humains ne sont pas perfectibles, nous, conservateurs, le savons. Et pas plus ne le sont les institutions politiques. Nous nous méfions des utopies. Nous pouvons rendre ce monde tolérable, mais presque parfait, non. Il peut exister une amélioration de notre condition, mais seulement en admettant les limites de la nature humaine  ».

10 «  Le changement et les réformes ne sont pas synonymes, nous, conservateurs, en sommes convaincus. L’innovation par arrogance et par engouement provoque des catastrophes. Les conservateurs comprennent que hommes et femmes sont vraiment satisfaits de leur situation quand ils ressentent qu’ils vivent dans un monde stable avec des valeurs durables  ».
Voilà ce qu’est le conservatisme, étalon pur sang. Est-il adaptable à la culture politique française ? Non. Est-ce un manège de chevaux de bois que certains, ici, ont enfourchés par un désir, acceptable, de vouloir sortir de l’autre manège tournant à la manivelle depuis l’après-guerre ? Oui. Mais c’est en réalité un problème de mots : on dit «  conservatisme  » car le mot fait neuf, moderne, tendance. Mais ce n’est qu’une idée vague, en France. Si on la précise, comme on vient de le tenter, on s’aperçoit rapidement que se dire «  conservateur  » impose d’appliquer une pensée allogène, qui se vivifie du monde anglo-saxon et reste étrangère à ce que nous sommes – en appliquant ironiquement le critère 8.

Voilà le paradoxe d’un conservatisme à la française : s’il est conservateur il ne peut plus être français. Même Vichy le comprit : l’État français se déclara «  Révolution nationale  », pas «  Révolution Conservatrice  » (une idée allemande), ou «  État Conservateur  » – les technocrates de Vichy qui peuplèrent ensuite la technostructure européenne n’auraient pas aimé.
La culture politique française est malade de termes d’emprunts, chevaux de bois du manège de ce que j’ai déjà nommé ailleurs l’Etat médiatique, ces montures factices qui montent et qui descendent sur leurs pistons, la bouche hennissant, au rythme gai de la même musique en conserve. Ce n’est pas ainsi qu’on renouvelle les idées politiques. Ni une république.

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