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Renaud van Ruymbeke, un juge au paradis fiscal

Publié le 12 janvier 2021 par

L’idée : découvrir les dégâts mondiaux de la fraude fiscale et de la corruption à grande échelle à travers la carrière du juge Renaud van Ruymbeke.

Le juge Renaud van Ruymbeke by David Atlan-Editions Tallandier.
Le juge Renaud van Ruymbeke by David Atlan-Editions Tallandier.
JUSTICE. Dans le jargon de la justice, on appelle ces conversations confidentielles, la «  foi du Palais  ». Un livre vient de prendre le relais, les confidences sont devenues des souvenirs. Après 40 ans de bons, loyaux et très énervants services, Renaud van Ruymbeke (né en 1952) publie, avec l’aide technique du journaliste Jean-Marie Pontaut, ses mémoires. Elles constituent le traceur chimique assez sûr de la corruption à grande échelle, de la réalité affolante des paradis fiscaux, de l’argent sale dans tous les recoins de la planète et son cortège de pressions. Tous les sujets inflammables de la société française et de la mondialisation financière depuis un demi-siècle.
Il n’y a pas de grande révélation, et la silhouette intime du juge d’instruction est tout juste esquissée à la mine sèche, mais la mise en perspective de son travail, claire et robuste, elle, constitue un utile livre de chevet pour le citoyen. Urba, Elf, Les Frégates de Taîwan, l’affaire Clearstream, l’attentat de Karachi, mais aussi le trader Jérôme Kerviel et le ministre du Budget Jérôme Cahuzac, sans oublier Patrick Balkany scandent la carrière de Renaud van Ruymbeke. C’est l’affaire Boulin qui à l’âge de 27 ans, lui échoit en tant que tout neuf juge d’instruction. Un «  juge ambitieux, haineux de la société, considérant a priori , un ministre comme prévaricateur  » le qualifie dans sa lettre, Robert Boulin avant sa mort. Le récit met à plat l’enquête réalisée par ce juge tenace qui a suivi les traces d’un escroc de haut vol, l’homme d’affaires Henri Tournet, mais aussi son réseau d’influences construit notamment dans la résistance et l’engrenage dans lequel s’est engagé Robert Boulin.
Cette première affaire politico-financière catalyse tout ce qui va faire sa réputation dans les années 1980-2000 : une certaine prise de risque en même temps qu’une méthode patiente et méticuleuse. Ses premiers pas dans ce champ de mines ont agacé sa hiérarchie. La gauche lui en voudra tout autant : Renaud van Ruymbeke rappelle pourquoi et comment le garde des Sceaux Robert Badinter, mais qui a eu maille à partir avec ce juge en tant qu’avocat dans l’ affaire du casino de Trouville, s’opposera longtemps à sa nomination de professeur à l’École de la magistrature. Ou comment le Parti socialiste et ses hiérarques, lors de l’affaire Urba, sera vent debout contre ce petit juge «  politisé  ». Des conseils de discipline, mais aussi des coups fourrés, des gels de carrière émailleront la solitude de ce juge spécialisé au fil des années dans la délinquance financière. À chaque fois, la méthode van Ruymbeke est accablée mais à chaque fois, on lui confie les investigations sur ces affaires poisseuses et multifacettes. Aux origines de sa singularité : «  Mon père m’a inculqué un sens aigu du service public. Durant la guerre, il a participé au débarquement en Provence en août 1944 et a obtenu la Silver Star, une médaille américaine prestigieuse. Je suis très admiratif de son courage.  » Apprenant que son fils souhaite embrasser la carrière judiciaire, le père, grand commis de l’État, sera déçu : « Les magistrats qui ont condamné pendant la guerre les résistants sont les mêmes que ceux qui ont jugé les collaborateurs à la Libération. Des lâches. » D’où une double promesse du fils à lui même, «  le rejet de toute pression et une méfiance envers le corps de la magistrature  ». La musique l’aide à s’évader et nourrit son imagination.

«  Le premier fléau, c’est la fraude fiscale  »

Renaud van Ruymbeke tout juste à la retraite n’en reste pas moins inattentif aux réformes qu’il imagine d’une part dans la lutte internationale contre la fraude fiscale, d’autre part dans la justice française. Parce que «  le premier fléau, c’est la fraude fiscale  » (à distinguer de l’évasion fiscale), il estime que pour la rendre inopérante en Europe, il faudrait que la législation fiscale soit la même pour tous ses États. Ce ne serait qu’un premier pas. Les trusts «  fruits du génie britannique  », ou les biens mal acquis africains constituent autant de détournements qui «  abasourdissent les enquêteurs  » découvrant les richesses accumulées. Récupérer les sommes colossales est un défi. Dans son récit, il explique comment des transactions passées en quelques secondes de paradis fiscal en paradis fiscaux nouveaux (Singapour, Dubaï) mettent des années à être tracées, et encore plus à être récupérées mais pas intégralement. «  Cet argent doit être traqué par nos démocraties  » préconise t-il, celles-ci doivent s’en donner les moyens politiques et techniques. Il y a vingt-cinq ans, sur l’impulsion du journaliste Denis Robert, Renaud van Ruymbeke fit partie des signataires de «  L’Appel de Genève  », groupe de juges et de procureurs spécialisés dans les délits financiers. La lutte et la transparence ont évolué, mais la fraude fiscale elle aussi a des moyens et une ingénierie puissante pour continuer ses ravages.
Les réformes nécessaires pour la justice, Renaud van Ruymbeke aurait pu les proposer dans une mission pour le nouveau garde des Sceaux, Éric Dupont-Moretti, comme il le lui a été proposé cet été, mais le juge a estimé que le timing n’était pas le bon, les mesures ne pouvant pas être prises dans la dernière ligne droite du quinquennat. Dans son livre, il propose l’indépendance nécessaire du Parquet, la réforme du Conseil supérieur de la magistrature, et quoi qu’il en soit et quoi qu’il en coûte, de conserver et même conforter «  l’indépendance d’esprit  » du magistrat.

lu_et_approuve_120dpi.jpg Mémoires d’un juge trop indépendant, Renaud van Ruymbeke, avec Jean-Marie Pontaut, Tallandier, 301 p., 20,90€. Paru janvier 2020.

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