Paris 8 : apprendre à rédiger une offre d’emploi en intersectionnel postcolonial

D’ordinaire, c’est le genre de petite annonce universitaire qui passe inaperçue. Mais depuis que la ministre de l’Enseignement supérieur réclame une enquête sociologique sur les savoirs favorisant l’épanouissement d’un «islamo-gauchisme» à l’université, les documents écrits en novlangue inclusive, intersectionnelle et postcoloniale, provoquent une certaine électricité sociale. Le Monde fait ainsi état d’une fiche de poste modifiée de l’université Paris-Est-Créteil sur le site du ministère. Au départ, il était question de prendre en compte « les discriminations ethnoraciales, les questions de genre ou les inégalités sociales ». Dans la fiche d’emploi réécrite (par on ne sait trop qui d’ailleurs, du rectorat, de l’université, de l’Institut supérieur du professorat et de l’éducation), on édulcore avec des expressions plus largement acceptées comme « inégalités sociales » ou «toute forme de discrimination avec un accent spécifique sur l’égalité homme/femme».
Pas vue pas reprise : celle-ci que nous reproduisons relève de l’UFR Arts, philosophie, esthétique de Paris 8 et n’a pas eu le droit à son opération cosmétique, même si elle est également mise en ligne sur le site gouvernemental : elle réclame un profil de poste qui doit répondre aux mots clés : « émancipation, violence, intersectionnalité, subjectivation politique, féminismes, études postcoloniales ». Dispo pour le 1er septembre 2021 ? Paré pour le job ? Pop pop pop, retiens ta respiration.

On en attendra une pratique de l’intersectionnalité réfléchie, non comme méthodologie régionale, mais comme mode de problématisation générique, transversale, susceptible de complexifier l’analyse des logiques de domination, dans leur épaisseur généalogique comme dans leurs configurations contemporaines

Le profil du poste chargé d’enseignement aux niveaux licence et master doit répondre d’abord à quelques défis « sur les logiques discursives et subjectives de l’émancipation, dans le champ des épistémologies “mineures” et des études subalternes, féministes, et postcoloniales, dans la diversité de leurs ancrages intellectuels et géographiques et de leurs trajectoires politiques. On en attendra une pratique de l’intersectionnalité réfléchie, non comme méthodologie régionale, mais comme mode de problématisation générique, transversale, susceptible de complexifier l’analyse des logiques de domination, dans leur épaisseur généalogique comme dans leurs configurations contemporaines, et de transformer les conditions de lisibilité des trajectoires individuelles et collectives de la subjectivation émancipatrice, des inventions de corps, de mémoire et de langage opérant dans la reconstruction d’une capacité politique ».

L’heureuse élue ou l’élu heureux décrochera la timbale en parvenant à faire toucher du doigt, « les nouvelles frontières de l’émancipation » que seraient « les violences, les subjectivités et les intersectionnalités ». Les personnes à contacter pour le job sont les philosophes Guillaume Sibertin-Blanc (né en 1977), auteur d’un Politique et État chez Deleuze et Guattari. Essai sur le matérialisme historico-machinique (Actuel Marx) et Michèle Cohen-Halimi (née en 1963), auteure notamment avec Jean-Pierre Faye, d’Une histoire du nihilisme (La Fabrique), sans oublier Stridences spéculatives (Payot, 2014). Un talent d’écriture et de liberté qui fait plus qu’envie.