Le féminisme des méchantes filles
Publié le 10 mars 2021 par Les Influences

Un petit bestseller est en train de s’épanouir dans les milieux libertaires : La Terreur féministe. Petit éloge du féminisme extrémiste, un essai signé Irene (Divergences) et disponible depuis le 12 février vient d’être porté en quelques semaines à 10 000 exemplaires de tirage. Idée : « Le féminisme n’a jamais tué personne », disent les féministes dans une phrase-slogan pleine de douceur, comme pour n’effrayer personne et encore moins les hommes. Or l’histoire du féminisme est pleine de femmes violentes, rétorque l’auteure, une jeune militante originaire du pays basque, aujourd’hui très active dans les collages d’affiche contre les féminicides et sur Instagram. « Que se passerait-il si la Terreur féministe devenait réelle ? interroge t-elle. Si les hommes commençaient à avoir vraiment peur ? Une peur intense, profonde, viscérale. Puisque la raison, l’empathie et la honte ne permettent pas de mettre fin à la violence misogyne, à l’oppression patriarcale, aux viols, aux agressions sexuelles et aux féminicides. La seule issue pourrait être de susciter la crainte. »
Et d’ouvrir sa galerie de femmes qui n’ont pas tremblé, utilisant le meurtre et les violences, les menaces, le scandale, les bombes et le kérosène. On y retrouve la première peintre Artemisia Gentileschi (1593-vers 1656), violée par son prescripteur et réalisant Judith décapitant Holopherne, Valerie Solanas, auteure du Scum manifesto. Association pour tailler les hommes en pièces, sa propre grand-mère Ita qui a menacé de mort son mari qui l’avait battue ou castagnait les amateurs d’attouchements dans les lieux publics, la jeune Soudanaise Noura Hussein qui se rebelle et finit par poignarder son mari violeur, les suffragettes britanniques du Women’s Social And Politic Union, et Edith Garrud leur professeure de ju-jitsu, le black bloc féminin ou encore le groupe féministe d’action directe allemand Rote Zora.
L’essai est intéressant par son opposition à l’avalanche d’ouvrages du moment, marketés 8 mars. « Ce qu’il y a de curieux avec les détracteurs du féminisme, c’est qu’ls emploient souvent les termes “extrémiste”, “violente”, “misandre” à l’égard de féministes qui, ma foi, sont plutôt réformistes, plutôt institutionnelles et pas toujours radicales », remarque Irene qui s’inscrit, elle, dans ce très vieux débat sur la violence et la non-violence en politique qui a resurgi à la faveur du mouvement des Gilets jaunes.
Emblématique des féministes CSP+ et d’une position réformiste, Marie-Cécile Naves, directrice adjointe de l’IRIS, chargée de l’observatoire « Genre et géopolitique », vient de publier La Démocratie féministe (Calmann-Lévy, 281 p., 18,50 €). Les femmes au pouvoir permettraient, à condition de respecter les piliers de la démocratie et du libéralisme qui offrent la perspective d’une société inclusive, d’effacer à tout jamais l’autoritarisme viriliste de la politique. Mais il faut se méfier des trompe-l’œil, indique la directrice de recherche. Dans l’un de ses meilleurs chapitres, concernant le leadership féminin, elle dispute la notion du « féminisme apaisé » en vogue dans les discours véhiculés par le monde économique marchand, pour mieux le distinguer de celui trop bruyant des militantes de rue : « Le capitalisme ne cesse de se rénover en intégrant les critiques qui lui sont adressées » rappelle l’auteure. Un leader, homme ou femme, terme épicène, n’est jamais seul. « Le leadership politique, économique, intellectuel ou militant résulte d’un long processus, insiste Marie-Cécile Naves. Acquérir une autorité légitime s’inscrit dans une dynamique de réseaux, d’influence, au sein d’un contexte culturel, politique, historique, mais aussi médiatique donné.» Alors, « déconstruire » ou démolir ?