Influences (n. fem. pluriel)
  1. Fluide provenant des astres et agissant sur la destinée humaine.
  2. Action exercée sur quelqu’un.
  3. Action exercée sur quelque chose.

Les Influences

Filtré pour vous : L'actualité politique et intellectuelle

Le vaccin Bueno et le fondamentalisme scientifique

Publié le 12 mars 2021 par

Un année Covid sous la férule de l’avis scientifique : c’est le moment de relire et repenser avec Gustavo Bueno.


Et la HAS, la Haute Autorité de Santé, hein, la HAS dit quoi, hein ? « Hein ! » est un terme opératoire d’information, comme « Allô » jadis, que deux journalistes féminines de France Info télé en ligne rajoutent à toutes leurs questions, comme « Où en est le taux d’infection, hein ? » « Hein ! » ou le hennissement médiatique devant la Science.
La science, hein, depuis l’injection du virus venu de là où il est interdit de le dire sous peine de dissolution pour incitation à la haine, est au premier plan des affaires publiques. La dernière fois que la Science a autant été célébrée comme la solution à tous nos problèmes ce fut lors du crime d’Hiroshima (30 000 enfants japonais liquéfiés, d’un coup, mieux que le virus). Controverses en termes scientifiques autour des traitements, de la prévention, des vaccins, de la jauge, des taux de ceci et de cela, et les demi-habiles qui y vont de la « biopolitique », bref depuis plus d’un an, nous sommes pendus aux paroles tombées de la bouche à demi masquée des Blouses Blanches et de leurs acolytes.
Mais la Science, dans cette foire aux questions, cet appel hennissant « aux scientifiques », n’est en fait que l’idée qu’on se fait d’elle. Mais comment se fait-on une idée de la science opérant en société ?

La réponse vient d’au-delà des Pyrénées, comme aurait dit Pascal. De fait, de temps à autre, l’Hispanidad produit un philosophe de taille, un nouveau Sénèque, un autre Grand d’Espagne des Idées. Et là Gustavo Bueno vient à notre aide pour cerner le montage rhétorique autour de « la Science ». Récemment disparu (1924-2016), Bueno est un matérialiste humaniste, laudateur du pluralisme contre le dogmatisme scientifique. Sa philosophie du « Monde » est un athéisme supérieur, qui s’étend à de nombreux domaines, érudits, comme sa Métaphysique présocratique (1974), ou en prise sur l’actualité, tels son Idée du sport (2014) et Téléordures et démocratie  (2002). Il fonda en 1978 la revue de philosophie matérialiste El Basilisco. Quand l’université d’Oviedo le déchut de sa chaire émérite en 1998, ses étudiants entrèrent en révolte. Un collègue : « Être de cette intelligence et ne pas s’en cacher est une faute inexcusable aux yeux de la plus bête des institutions espagnoles : l’université. » De sa trentaine d’ouvrages aucun n’a été traduit en français ; en anglais et en allemand, oui, évidemment. Aucune notice en français dans le baromètre de la pression intellectuelle, Wikipédia, c’est dire à quel point nous sommes tontos pour ne pas dire c**os.

Gustavo Bueno, philosophe espagnol et Sénèque du XXe siècle. (D.R Source El Mundo).

Alors, la Science en société, pour Bueno qui est un matérialiste et donc a son mot à dire sur le sujet ? Il le dit dans ¿Qué es la ciencia? En quatre bottes dans la grande tradition des bretteur espagnols.

Première botte : « Pour commencer on a l’idée de science comme savoir faire, comme on parle de la science d’un artisan, et par extension de la “science politique”. “Savoir” et “science” s’avoisinent, comme quand on parle du savoir d’un sommelier qui discerne justement des “saveurs”, un savoir de la langue qui différencie. Historiquement c’est le premier sens, “savoir faire”, et on l’utilise toujours couramment. » Et Bueno de noter que les Indiens Yanomamö dont la culture est orale, donc sans aucun recours à des textes explicatifs, des protocoles et des questionnaires, savent distinguer entre des saveurs et sont donc « savants ».
On voit où Bueno veut en venir : nous nous comportons aussi comme des peuples pré-écriture face aux questions qui rameutent des connaissances scientifiques. Nous savons distinguer entre un mauvais rhume et un début d’une infection coronavirus, mais c’est tout : on a acquis un savoir faire. Mais alors, comme nous sommes des peuples de l’écrit, nous nous reposons sur l’expertise médicale, et ses relais (médias), pour interpréter les bons signes. Bref on en a une idée, et on déblatère des mots qui se réfèrent  à des choses que, en fait, nous ne comprenons pas plus qu’un Yanomamö comprendrait une table de propriétés chimiques pour expliquer que cette racine-ci a un goût différent de celle-là. Nous avons un « savoir faire » avec le virus chinois. Pas plus.

Deuxième botte : « Ensuite il existe l’idée de la science comme “système ordonné de propositions dérivées de principes”. À l’évidence une telle idée (scolastique, médiévale) n’a pu se former que dans un monde médiatisé par la culture où l’écriture, la confrontation de points de vue et la logique existent. Cette idée de la science inclue bien sûr la géométrie mais aussi la philosophie et la théologie, et même la réflexion sur  la science elle-même. Cette idée de la science s’est mise en scène dans l’idée de l’école – tandis que le savoir faire relève lui du scénario de l’atelier. La distance ainsi créée entre l’atelier et l’école a produit l’ascension vers l’air raréfié des mots et des idées dénuées de souillure matérielle. Physique, géométrie, théologie dogmatique et doctrine juridique en sont des variantes, toutes mises par écrit, dans des livres d’école, si bien que la science devient un Livre, notre traduction du Livre de la Nature et même du Livre de la Révélation. Après la Renaissance cette idée de la science a perdu son hégémonie, mais on continue à y avoir recours constamment ».
Application : Bueno parle de « escenario », à la fois mise en scène, scénario, théâtre même. Dit autrement  la science, à la fois dans ses procédures et dans la manière dont elle est débattue, se présente comme un système cohérent d’idées testées et comme une mise en scène de ses procédures et de ses résultats. On est là de plain pied dans les passes d’armes entre le professeur Raoult et la « Faculté », ou le documentaire Hold Up où interviennent des Blouses Blanches. Le Livre de la Nature, cher à cette deuxième idée de la science, médiévale, est devenu le plateau télé où des scolastiques quasiment en toge font la parade pour nous expliquer le Monde, en écoles qui s’affrontent et débattent, devant nous, badauds. Tout en n’en sachant que des connaissances fragmentées, expertes, pointues, transitoires, hypothétiques, cloisonnées, que le discours officiel politique ramène cependant  à la fiction d’une lecture unique, celle de la « gestion » rhétorique des informations par le rappel constant des graphes et des indices. Le virus est une mise en scène médiévale du savoir. D’où l’infernal blabla de « « plus de pédagogie ».

Troisième botte : « L’idée de faire référence aux soi-disant “sciences positives” est apparue avec la révolution industrielle. Contenus et institutions ont changé. La mise en scène de la science s’est déplacée de l’atelier primitif converti en école vers le laboratoire. Si la science au sens médiéval recherchait (par le raisonnement géométrique) une universalité de raison, Big Science moderne a réalisé cette universalité en fournissant son ossature (« esqueleto ») à notre civilisation industrielle. »
Traduction : si le laboratoire scientifique est la scène du savoir et si « notre Monde » est structuré par ce scénario, alors nous sommes des cobayes objets d’expérience, puisque cette science « au sens strict » est logico-expérimentale. Ou plutôt : les scientifiques, sous leurs airs matois et leurs paroles de confiance à la télé, nous traitent comme des rats de laboratoire. Des rats qui parlent, oui, mais qui parlent soit sur le mode de l’atelier primitif (« moi je crois que ma toux c’est un peu différent de cette toux-là », question de « savoir faire » avec la situation virale : votre auto-questionnaire !), soit sur le mode de l’école (relisez les échanges sur les forums de lecteurs où on s’échange du wiki-savoir comme si on débattait sur des faits établis avec des procédures logiques). Bref : le public parle et pense la Science soit sur le mode primitif d’un acquis de savoir pratique, soit sur le  mode scolaire du par cœur.

Mais il y a pire encore, et c’est l’estocade : « La quatrième idée de la science c’est la reconstruction des traditions d’amateurs en antiquités, des chroniqueurs, des voyageurs, des romanciers et des mystiques, en  “sciences humaines” (sociales) sur le modèle des sciences positives. Ces (nouvelles) sciences académiques protègent scrupuleusement leur autonomie scientifique et font constamment parade de leur dévouement à la science positive, leur socle. »  Voyez le CNRS où même la philo a ses « laboratoires » affublés d’acronymes dignes des Précieuses Ridicules.

Résultat : face à ces spécialistes socio-psycho-géo-histo-anthro nous sommes encore plus démunis à cause d’une illusion rhétorique. Comme il semble qu’un sociologue, un psychologue, un économiste, un géographe parle de choses de terrain, de choses que nous vivons puisque nous en sommes les sujets de « recherche » (et ils ne nous paient pas pour ça, en plus), la ruse du discours social-scientifique est de nous pousser à établir des liens « allant de soi, vécus », bref entre les théories des spécialistes en sciences humaines et sociales avec ce que nous vivons. Ainsi, parce qu’ils parlent à propos de, autour de ce que nous vivons, mais mieux puisqu’ils ont la méthode parée de l’estampille des sciences exactes (auxquelles ils empruntent le prestige et le masque), nous en arrivons  à croire que leurs idées sont des faits.
Comme le dit un lycéen du scénario à succès d’Alan Bennett (2006), The History Boys : « I’m a Jew, I’m small, I’m homosexual, and I live in Sheffield … I’ m fucked ! » Face au discours des Scientifiques, nous sommes fucked, semble-t-il, puisque nous ne voyons pas ceci : les quatre modes de parole de Science opèrent en même temps, deux qui sont archaïques, celles que nous parlons, et une qui hégémonique, celle que les Blouses Blanche parlent entre elles ou devant nous, avec en acolyte les sciences sociales. Ce montage rhétorique exprime ce que Bueno nomme un « fondamentalisme ou intégrisme scientifique ».

Bueno propose donc un cadre d’interprétation : ces quatre idées de la science sont des « cultures matérielles ». Il veut dire par là que chacune des quatre idées de la Science, projetée sur le public, a non seulement son langage propre (le savoir faire artisanal ou technique par exemple), mais est une culture qui se matérialise dans des comportements, des habitudes et, bien entendu, des objets qui signalent leur champ d’activité (un médecin est en blouse) : se superposent ainsi, tout autour de nous,  quatre idées pratiques, vécues, de la Science qui s’activent en même temps par des scénarios et des mises en scène.
Le cas du virus chinois est typique. Quatre scénarios existent, côte à côte : le scénario artisanal du « comment je fais avec dans mon quotidien », le scénario pédagogique du « je m’informe », le scénario médical du « dernier rapport de la HAS  », et le scénario de « l’enquête de terrain menée en X ». Bueno nous dit : ces quatre idées que nous nous faisons de la Science coexistent comme des modulations. Tantôt donc on nous donne une version atelier, tantôt une version école, tantôt une version laboratoire, tantôt une version science sociale. Mais comme on ne nous dit jamais que ces modulations opèrent en même temps, sur registres différents, et qu’une seule tend à prendre le dessus tout en s’appuyant sur les trois autres, nous, le public, devenons des pantins pendus à ces quatre ficelles. Un coup c’est dire comment se débrouiller au quotidien, un coup c’est l’école (il faut de la pé-da-go-gie), un coup c’est l’ordre médical (un masque ! pas de masque ! une étude prouve que), un coup c’est le terrain (tel groupe est plus exposé sociologiquement, etc.). Et nous voilà pris dans une mise en scène à quatre plateaux en rotation dans un même théâtre, l’« escenario » comme dit Bueno : car un médecin qui parle pédagogie n’est plus sur le mode science positive, mais sur le mode école, hors sa compétence ; un sociologue qui donne un conseil de vie se met sur le mode savoir faire, hors de son champ ; et ainsi de suite. Imaginez, au-dessus du théâtre, ces quatre tireurs de ficelles : l’artisan, le prof, le docteur, le socio-psycho-éco qui se refilent leurs ficelles les uns aux autres, en tirant sur elles, sans que nous sachions vraiment avec clarté et netteté laquelle est activée en priorité, comment les autres s’actionnent, par qui, et à quelle fin, et avec le pouvoir de rétorquer, « c’est pas votre domaine, docteur, hein ».

Ce « fondamentalisme » scientifique, allié au « fondamentalisme démocratique »  produit nécessairement, selon Bueno, une société corrompue où les mots prennent le dessus sur les faits, et se stabilisent  ou se « fondamentalisent » en « mythes », eux-mêmes instrumentés par des groupes de pouvoir. Mais c’est un autre sujet, « hein » ?

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