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Antisémitisme, islam : la guerre fait rage autour de la liberté académique en Angleterre

Publié le 17 mars 2021 par

David Miller, professeur de sociologie politique à l’université de Bristol et figure sulfureuse de la recherche, une nouvelle fois accusé d’antisémitisme en février dernier, divise, comme en France, la communauté scientifique.


David Miller, professeur de sociologie politique à l’université de Bristol. DR.

Le vendredi 26 février 2021, un courrier adressé au président de l’université de Bristol pour protester, au nom de la liberté d’expression et du droit à la liberté académique, contre l’éventualité du limogeage du professeur Miller a été signé par plus de deux cents universitaires et chercheurs britanniques et américains. Si la liste de ces premiers signataires est introuvable sur Internet, les noms de Noam Chomsky et de Judith Butler ont immédiatement circulé.

« Des étudiants juifs utilisés comme des pions politiques par un régime étranger violent et raciste, engagé dans un nettoyage ethnique. »

Les détracteurs de David Miller lui reprochent de tenir régulièrement des propos antisémites : la Jewish Society de l’université de Bristol n’a pas donc laissé passer les déclarations proférées par le sociologue, le 13 février, à l’occasion d’une visioconférence consacrée à la campagne du Labour pour la liberté d’expression. Il a notamment affirmé soutenir « la fin du sionisme en tant qu’idéologie de fonctionnement » et précisé que la campagne menée par les étudiants de cette association confessionnelle en réaction à ses prises de position antérieures était un abus « de la part d’étudiants juifs […] utilisés comme des pions politiques par un régime étranger violent et raciste, engagé dans un nettoyage ethnique »
Le président du Board of Deputies of British Jews (la plus importante organisation communautaire juive du Royaume-Uni) a immédiatement réclamé son licenciement.
La confrontation entre le professeur Miller et les étudiants juifs du campus remonterait en fait à une autre conférence, sur l’islamophobie, donnée deux ans auparavant. Miller avait alors suggéré que les juifs britanniques utilisaient les événements interconfessionnels avec les musulmans (comme la confection d’une banale soupe de poulet…) pour renforcer l’acceptation du sionisme chez ces derniers.

Les recherches du professeur Miller portent sur les « concentrations du pouvoir dans la société et la manière dont elles devraient être démocratisées et responsabilisées ». Il s’intéresse plus particulièrement à la lutte contre le terrorisme, qu’il n’hésite pas à assimiler à l’islamophobie, à la diffusion de la propagande (du gouvernement britannique et des think tanks) et au conspirationnisme qui semble exercer sur lui une étrange fascination. Écarté du Parti travailliste (Labour Party) en 2020 avant d’en démissionner, il est membre du Groupe de travail sur la Syrie, la propagande et les médias (WGSPM) qui est à l’origine de la publication d’un document remettant en cause la version d’un bombardement chimique, à Douma, par les hélicoptères du régime en avril 2019 et soulignant le rôle « plus que trouble des Casques blancs ». 
Obsédé par les Juifs et Israël, M. Miller professe que le mouvement sioniste serait un réseau transnational d’organisations qui travaillent sans répit pour justifier la dépossession de la Palestine au profit d’Israël et qui bénéficient de l’appui des puissances impérialistes (États-Unis et Grande-Bretagne principalement). Grâce à ce mouvement, Israël chercherait à « imposer sa volonté partout dans le monde » et à encourager l’islamophobie et le racisme anti arabe. Cette grille de lecture le conduit naturellement à soupçonner que les juifs de la diaspora cultivent une double loyauté.

Compte tenu de sa personnalité sulfureuse, le débat au sujet de son limogeage potentiel par l’université de Bristol fait rage. Pour certains de ses détracteurs, il faut condamner ses engagements et ses déclarations antisémites qui, si elles ne relèvent pas de la loi, sont blessantes et s’inspirent de théories complotistes. Pour les autres, ce sont bien ses recherches qui doivent être fermement remises en cause et combattues. Pour la majorité de ses « soutiens », ce sont les droits à la liberté d’expression et à la liberté académique qui sont largement invoqués : il faut à tout prix défendre la possibilité de critiquer Israël et d’évoquer ou d’étudier l’islamophobie.

Selon les pro Miller, comme Malia Bouattia, l’universitaire est la cible emblématique du lobby israélien qui chercherait à intimider les universités britanniques osant critiquer Israël.

Ces menaces d’entraves à la liberté académique qui planeraient sur la recherche anglo-saxonne sont longuement argumentées par l’activiste Malia Bouattia, ex-présidente de l’Union nationale des étudiants (NUS – « l’équivalent » de notre Unef en Grande-Bretagne) – à qui il est également reproché des propos antisémites. Dans une tribune publiée sur le site d’Aljazeera le 28 février dernier, elle se livre à une défense en règle des positions de M. Miller.
C’est notamment parce qu’il s’intéresse aux attaques institutionnelles, de plus en plus nombreuses, dont font l’objet les mouvements pro palestiniens et à la surveillance de plus en plus étroite exercée sur les communautés musulmanes par les gouvernement occidentaux au nom de la guerre contre le terrorisme que David Miller serait la cible des violentes campagnes d’accusation de la part des associations juives britanniques. Mme Bouattia partage également avec les défenseurs « modérés » de David Miller l’idée que tout ceci participe d’une vague d’intimidation, qui se répand dans les universités britanniques, ciblant tous ceux qui osent critiquer Israël. Plus largement, cette vague serait la conséquence directe d’années d’attaques répétées de la part du gouvernement britannique et du lobby israélien contre les mouvements de solidarité avec la Palestine présents dans les universités.

Malia Bouattia, ex-présidente du NUS. DR.

Au-delà du cas Miller et de ses péripéties chroniques, le danger viendrait surtout de l’adoption, par les institutions publiques britanniques, de la définition de l’antisémitisme promue par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’holocauste (IHRA). Cette organisation intergouvernementale fondée en 1998, « qui regroupe gouvernements et experts dans le but de renforcer et promouvoir l’enseignement de la Shoah, la recherche et la mémoire », a adopté en 2016 une définition « non contraignante » de l’antisémitisme. En Grande-Bretagne, alors même que de nombreux juristes, universitaires, groupes d’étudiants et activistes pro palestiniens n’ont de cesse que de mettre en garde l’opinion publique contre cette définition qui selon eux, créerait une confusion entre préjugés anti juif et débat autour de la question israélo-palestinienne, de nombreuses universités britanniques l’ont adoptée cédant à une pression politique et financière (le secrétaire à l’Éducation Gavin Williamson a menacé, en octobre dernier, les récalcitrants de mise au pas). Avec, pour conséquences immédiates, que toute forme de soutien à la Palestine, toute critique d’Israël et de la politique britannique, seraient de plus en plus considérées comme des marqueurs de « radicalisation » par les autorités.
Et, au-delà de la sphère anglo-saxonne, cette victoire du lobby sioniste imposant sa définition de la liberté d’expression trouverait une de ses plus belles démonstrations en France avec les théories complotistes de l’islamo-gauchisme qui visent à diaboliser les musulmans, théories qui ont été précédées et accompagnées par des perquisitions judiciaires et un acharnement contre des organisations caritatives musulmanes ou contre des mosquées. Dans le cas de David Miller, les défenseurs sincères et « utiles » de la liberté d’expression et de recherche finiront, comme toujours, par se retrouver piégés par des activistes qui, prétextant lutter contre la définition « subjective » de l’antisémitisme et pour le droit des Palestiniens, ressuscitent encore et toujours les pires théories nauséabondes du complot.

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