Êtes-vous ipsédixitiste ou ultracrépidarianiste ?
Publié le 18 mars 2021 par Jean-Frédéric Pianelli
Avec Le Goût du vrai, le physicien Étienne Klein examine toutes les maladies modernes qui altèrent ou détruisent notre sensibilité pour la vérité scientifique.

Un effet secondaire, mais peu débattu, du virus qui joue avec malice de toutes les failles et limites de notre modèle de développement mondial, est une solide « gueule de bois » collective. Tous les référentiels ont été ébranlés en ouvrant large le registre des peurs, et c’est dans une cacophonie planétaire que les politiques et les chercheurs ont tenté d’apporter des réponses à une crise « sanitaro-existentielle » qui ouvre une profonde crise sociale et économique. La « parole scientifique », ne pouvant dans l’instant répondre aux questions qui imposent travail et temps, un formidable vide a invité chacun, politiques compris, à s’autoproclamer expert ès Covid-19, à la grande joie des médias. Pas de vérité scientifique opposable ? Rien n’est vrai ? Donc tout est vrai et que le bal commence. Phénomène exceptionnel, comme sa cause, ou paroxysme de mécanismes plus profonds qui régissent à la fois l’individu et notre société dans le temps et dans l’instant ?
Étienne Klein nous offre avec Le Goût du vrai, la saveur vivifiante d’un cocktail qui marie avec bonheur les acquis distanciés des sciences sociales et la rigueur méthodologique des sciences exactes. Prenez un large tiers d’intelligence clairvoyante, un autre tiers de solide érudition, mélangez avec douceur l’ensemble avec un dernier tiers d’humilité, et vous disposez là d’un expédient salutaire pour continuer à penser clair.
Juste en avant-goût, dévoilons les quatre mécanismes que l’auteur identifie en introduction et qui concourent à notre propension à fonder notre avis sur toutes choses, indépendamment de données plus « objectives ». Quatre travers qui nous font si humain : accorder du crédit aux thèses qui nous plaisent ; adhérer à la voix du maître sans esprit critique (l’ipsédixitisme) ; parler avec assurance des sujets que l’on ne connaît pas (l’ultracrépidarianisme) ; et, enfin, accorder de la confiance au bon sens et à l’intuition personnelle pour émettre un avis sur les sujets scientifiques qui, pourtant, échappent souvent à l’un et à l’autre. Après cette mise en bouche, l’auteur nous offre toutes les nuances de son raisonnement par l’éclairage d’angles sociologiques, psychologiques, politiques, historiques qu’il croise et agence avec bonheur.
Avant d’obtenir ce goût du vrai, il s’agirait d’échapper à la chimie des parfums artificiels dont s’intoxique en premier lieu la science elle-même. L’auteur aborde le chapitre du rapport entre le « politique » et le « scientifique » et montre comment les sciences encombrent parfois le pouvoir. Le triomphe de la science et de ses corollaires paradoxaux que sont la méthode et le doute se trouve limité par de nombreux courants qui, aujourd’hui, combattent les « savoirs », le relativisme au premier rang de la prédation. D’autres écueils : la force de la communication qui donnerait l’avantage au blogueur sur le chercheur à la parole officielle, et la notion républicaine de progrès qui serait supplantée par celle de l’innovation dont les ressorts échappent à l’intérêt collectif. La perte de goût du vrai, rappelle Étienne Klein, conduit à une agueusie du pouvoir d’émerveillement de la science et du plaisir qui l’accompagne.
Le Goût du vrai, Étienne Klein, Gallimard, Tracts , 48 p., 3,90 €.